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Société - Reportage

Au Liban, les centres commerciaux, victimes du virus de la panique

Les clients étaient rares hier et beaucoup de magasins avaient leur rideau de fer baissé.

Les centres commerciaux, qui ont gardé leurs portes ouvertes avant de fermer dans l’après-midi, étaient désertés par les clients. Photo Blandine Lavignon

Après l’annonce mercredi soir par le gouvernement d’une série de mesures de protection renforcées contre le coronavirus, englobant la fermeture de tous les restaurants et lieux publics, les Libanais étaient nombreux à se précipiter dans les supermarchés pour faire le plein de provisions, par peur d’une aggravation de la crise liée à la propagation du virus. Jusqu’en milieu de journée hier, les mesures gouvernementales n’étaient pas encore appliquées partout. Les centres commerciaux continuaient d’accueillir des clients plus ou moins inquiets de l’aggravation de l’épidémie après l’annonce d’un troisième décès en début de journée.

Les allées presque désertes tranchent avec l’immensité des lieux. Ils sont quelques dizaines à parcourir les allées du « Mall », situé à l’ouest de Beyrouth. Le rideau de fer baissé de certaines boutiques traduit l’inquiétude qui s’est emparée de beaucoup de Libanais. Angoissés à cause de l’épidémie de coronavirus, dont le nombre de cas ne cesse d’augmenter, les Libanais préfèrent éviter les lieux. Seul magasin qui tranche avec le calme inhabituel : le supermarché du Mall, où les clients continuent à affluer. Certains sont venus remplir leurs caddies par crainte de devoir observer un confinement dans les prochains jours. Mohammad, chariot rempli de bouteilles d’eau, est en train de piocher dans les paquets de pâtes, dont le rayon a été dévalisé. « C’est mieux de venir faire des réserves plutôt que de ne rien avoir du tout, parce que nous n’avons pas une vision claire de ce qui va arriver dans les prochains jours. Je veux être capable de répondre aux besoins de ma famille, je préfère me prémunir », explique-t-il à L’Orient-Le Jour. « Le gouvernement ne nous donne pas d’aides particulières dans ce genre de situation, donc c’est à nous d’être prévoyants. Je ne cède pas à la panique, mais je suis en train de me procurer ce dont j’ai besoin pour faire face à cette crise », ajoute-t-il. Si les rayons du supermarché sont encore remplis pour leur majorité, certains produits ont été pris d’assaut comme le rayon viande et le rayon féculent. Ranine, un masque sur le visage, regarde consciencieusement les offres promotionnelles. « Après l’annonce du gouvernement, je suis venue acheter ici beaucoup de nourriture, car nous resterons à la maison à partir de maintenant, et jusqu’à la prochaine déclaration » officielle sur l’épidémie, confie cette mère de famille.

Du côté des commerçants, l’inquiétude se généralise. La baisse de la consommation des ménages, couplée au contrôle des capitaux qui mine l’importation des commerces, a déjà douloureusement affecté leur chiffre d’affaires. L’épidémie de coronavirus est à présent la cerise sur le gâteau. « Tout le monde est inquiet. Ils évoquent la fermeture du centre commercial, mais nous n’en sommes pas certains. Nous attendons que la direction du Mall décide définitivement. Certaines boutiques ont déjà fermé », déclare Jenny, vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter, quelques heures avant que les centres commerciaux ne ferment leurs portes. Interrogée sur d’éventuelles mesures obligatoires prises par la direction pour protéger les employés, la vendeuse répond : « Certains portent des masques, j’ai choisi de porter des gants pour me protéger moi-même, mais cela n’est pas une obligation. »


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Des colosses aux pieds d’argile

Les malls constituent des repères dans la ville, et leur fréquentation ne désemplit pas habituellement, à hauteur de plusieurs milliers de personnes par jour. Il y a quelques années, pouvoir y décrocher un emplacement était alors le sésame assuré pour une boutique. Aujourd’hui, la situation est moins idyllique pour les commerçants. Sur la devanture de la plupart des magasins, des affiches aux couleurs criardes « -50 % », « -70 % » indiquent des prix bradés dans l’espoir d’inciter le consommateur. « J’ai eu beaucoup de personnes aujourd’hui, environ une vingtaine, mais la grande majorité se contente de regarder. Les gens n’achètent pas » déclare à L’Orient-Le Jour Diana, 25 ans, vendeuse depuis deux ans dans un magasin de lingerie. Du côté des restaurateurs, la situation est similaire. Sur la terrasse d’un café d’un centre commercial de Beyrouth, un unique client est attablé. Joseph, assistant du directeur, explique : « Nous avons observé une grande baisse de notre chiffre d’affaires depuis octobre 2019. Elle est de l’ordre de 50 à 60 %. » Une réduction exacerbée par l’absence de touristes, le secteur étant particulièrement affecté par le contexte de crise politique et économique.

Depuis le début des années 2000, les centres commerciaux démesurés ont fleuri dans Beyrouth et sa banlieue. Leur multiplication répondait alors à une demande croissante de ce mode de consommation à l’américaine. À l’époque, le concept séduit particulièrement, en ce sens qu’il permet d’allier loisirs et emplettes. On se surprend à aimer flâner des heures l’après-midi dans les allées, et pour cause : leur architecture est pensée pour inciter le consommateur à la déambulation. Les centres commerciaux ont été peu à peu apprivoisés par les Beyrouthins comme de nouveaux espaces publics, une véritable ville dans la ville. L’épidémie de coronavirus, couplée à la crise économique profonde que traverse le pays, pourrait bien les mettre définitivement en péril.


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