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Société - Épidémie

Le corps en Italie, le cœur et les pensées au Liban

« La psychose, c’est un état d’alerte dans un cerveau mal informé. On court au supermarché et on pense avoir résolu le problème. »

Gilbert Halaby : « Nous combattons un ennemi invisible. Le seul médicament dans ce cas, c’est de rester chez soi. »

Ce sont des leçons de sagesse qui nous viennent d’Italie, via des Libanais installés dans la péninsule. Tous sans exception ont une pensée, ou plutôt un souci, pour le Liban, où vivent leurs familles ou leurs amis. Presque tous pensent qu’ils sont en sécurité en Italie, ou le système de santé marche à merveille, alors qu’au Liban, malgré l’excellence du corps médical, les structures sanitaires sont insuffisantes. De ce fait, tous redoutent pour leurs proches un manque fatal de lits et de respirateurs, en cas de grande épidémie.

« Comment vivez-vous au quotidien cette crise sanitaire planétaire ? », a-t-on demandé à nos interlocuteurs, joints au téléphone. « Tranquillement, répond sans hésiter Gilbert Halaby, créateur de sacs, poète et sculpteur, installé Via de Monserrato, dans le cœur historique de Rome.

Cela fait cinq jours que nous avons choisi, avec des amis commerçants, de rester chez nous, pour protéger nos aînés. Vous savez que l’Italie est le second pays, après le Japon, à avoir le pourcentage le plus élevé de personnes âgées, par rapport à la population totale. J’ai fait de même pour mes parents au Liban. Je leur ai demandé de rester à la maison ; j’ai dit à ma mère de ne plus aller à l’église, à mon père de rester tranquillement à domicile. »

« Nous avons agi par sens des responsabilités », ajoute cet ancien étudiant en archéologie de l’Université libanaise, installé en Italie depuis 1999. « J’ai décidé de ne sortir qu’une fois par semaine, pour faire mes courses, en attendant que le gouvernement nous avertisse que le danger est passé. Vous savez, on peut être porteur asymptomatique du virus – sans en manifester les symptômes – et le transmettre quand même. Nous combattons un ennemi invisible. Le seul médicament dans ce cas, c’est de rester chez soi. Il faut le dire aux jeunes : ils ne doivent pas se sentir invincibles, car ils peuvent le transmettre à leurs grands-parents. Qu’ils profitent plutôt de cette pause. Ce temps peut les aider à se calmer, à réfléchir, à lire un livre abandonné, à reprendre contact avec leur famille et à se remettre du rush et du stress des mois de révolution. Tout compte fait, ils peuvent tirer bon parti de ce moment. »


En Sardaigne

Agent maritime dans le petit port d’Oristano, en Sardaigne, David Sfeir (48 ans) continue de se rendre à la capitainerie, où son agence sert d’intermédiaire entre les armateurs et les autorités portuaires. Son domaine : les céréales et les produits de première nécessité. Il ne chôme pas ces jours-ci, mais il témoigne du climat d’anxiété qui plane sur cette petite ville de 40 000 habitants.

Marié à une Italienne, David Sfeir a deux filles de 11 et 13 ans. Leur école est fermée jusqu’au 3 avril et elles étudient à la maison, précise-t-il. Sa femme, fonctionnaire, travaille alternativement au bureau et à la maison.

« Avez-vous peur ? » À cette question, il répond franchement « oui ». Il s’inquiète d’un système hospitalier insuffisamment développé dans cette partie de l’Italie. Il souffre aussi de la froideur que l’épidémie a installée dans les rapports personnels. « Chacun regarde l’autre de façon louche, se plaint-il. On se méfie les uns des autres. Dans les bureaux, on nous demande d’attendre dehors. »


(Lire aussi : Coronavirus: l'humour, vaccin contre la psychose dans le monde arabe)


Réaction trop tardive

« Le Liban a réagi trop lentement à l’épidémie, il a fermé trop tard ses campus universitaires, ses restaurants, ses aéroports et ses frontières terrestres », estime Diya Achikbache, un ancien de la FAO qui se trouve en Sardaigne avec son épouse pour surveiller des travaux de réparation dans sa résidence secondaire. « Je n’ai plus de famille au Liban, mais j’y ai gardé beaucoup d’amis, confie-t-il, des gens avec qui nous cherchions des moyens de survivre à la guerre. »

« Je suis très inquiet pour vous, avoue cet universitaire de haut vol. S’il vous manque de l’argent pour acheter de la farine et des carburants, comment allez-vous faire pour combattre l’épidémie ? »

Diya Achikbache, dont les aïeux viennent d’Ourfa (Turquie), s’inquiète aussi de la psychose qui a précipité les Libanais dans les supermarchés et les denrées alimentaires. « J’ai lancé des messages sur WhatsApp, précise-t-il. La psychose, c’est un état d’alerte dans un cerveau mal informé. On court au supermarché et on pense avoir résolu le problème. Mais ce n’est pas la faute de la population. Elle a été insuffisamment avertie et mise en condition de comprendre. La population doit être informée avec les mots qu’il faut et alors elle réagira dans le bon sens. La panique, par contre, conduit à des actes inadaptés. Il faut que les leaders d’opinion s’y mettent », conclut sur ce sujet cet ancien bénévole de la Croix-Rouge libanaise.

« Mes enfants sont grands, mais ils sont à Rome, tandis que nous sommes bloqués ici. Nous sommes venus là avant la grande explosion de l’épidémie. Nous attendrons ici qu’elle recule », ajoute-t-il.

Berthe M. vit à Milan. Mariée à un Libanais, elle a deux enfants en âge universitaire. Elle dit s’être adaptée sans difficulté aux directives du gouvernement italien et confirme que seuls les commerces de produits alimentaires et de première nécessité, ainsi que les pharmacies, sont ouverts. « Avant de sortir, on remplit un document dans lequel nous précisons le but de notre course, visite à un parent âgé, courses, médecin, etc. Si nous sommes contrôlés, nous la présentons au policier », dit-elle. Le reste du temps, nous le passons à la maison, souvent derrière l’ordinateur, pour les besoins de la fonction. Elle précise en outre que l’entrée dans les supermarchés se fait à tour de rôle, et que les files d’attente s’y forment à la porte, avec obligation de garder, à l’intérieur, une certaine distance par rapport aux autres clients ou à la caisse.

Berthe M. continue pourtant de vivre au rythme du Liban, dont elle suit les nouvelles sur des sites internet.

Elle s’inquiète de l’annulation d’un vol de la MEA pour Beyrouth au départ de Milan, alors que beaucoup d’étudiants libanais souhaitent rentrer au pays, plutôt que de rester en Italie en attenant la fin de la crise. « Pourtant, le gouvernement a donné 4 jours aux Libanais souhaitant rentrer au pays », proteste-t-elle. « Nous avons peur pour le Liban », confie doucement cette femme qui vit en sécurité à Milan, mais dont le cœur est resté à Beyrouth.

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