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Économie - Dette

Eurobonds de mars : l’État a-t-il demandé une période de grâce ?

Le député Chamel Roukoz veut obliger les banques à récupérer les eurobonds qu’elles ont cédés à des « étrangers ».

Le député Chamel Roukoz. Photo d’archives

Le gouvernement a-t-il demandé de repousser d’une semaine l’échéance pour le paiement des 1,2 milliard de dollars d’eurobonds – titres de dette émis en devises – arrivant à échéance le 9 mars prochain ? Rien ne permettait hier soir de répondre clairement à cette question, à l’issue d’une journée au cours de laquelle des informations allant dans les deux sens ont été relayées par différentes sources proches du dossier.Dans la matinée, une source gouvernementale citée par Reuters a d’abord assuré que l’exécutif, qui a choisi cette semaine deux cabinets de conseil pour l’épauler dans sa prise en charge d’une très probable restructuration de la dette publique sur fond de grave crise économique et financière, avait demandé un délai supplémentaire de sept jours pour laisser plus de temps aux conseillers fraîchement recrutés. Mais, quelques heures plus tard, cette information a finalement été démentie par une autre source du Grand Sérail, relayée cette fois-ci par la chaîne locale LBCI. La même source a également indiqué que le Liban prendra une décision définitive concernant cette échéance avant le 7 mars. À l’heure de mettre sous presse, L’Orient-Le Jour n’avait pu obtenir de réponse officielle sur la question.


Préparation du gouvernement
Ces informations contradictoires et informelles concernant un hypothétique délai demandé par les autorités interviennent dans un contexte déjà bien chargé. Le Liban traverse actuellement sa pire crise économique et financière depuis la fin de la guerre civile en 1990, doublée d’une crise bancaire et de change due au resserrement par la Banque du Liban (BDL) de la circulation du dollar dans l’économie.

Mal géré depuis des années, le pays doit en outre composer avec une dette publique devenue insoutenable, qui a flirté fin 2019 avec la barre des 92 milliards de dollars, soit un ratio dette/PIB de 150 %. Près de 37 % de cette dette est libellée en dollars, et a été contractée via plusieurs émissions d’eurobonds par le passé, avec des échéances à court et long terme. Un chantier dont a finalement hérité le gouvernement Hassane Diab formé le 21 janvier, soit presque trois mois après la démission de celui de Saad Hariri, peu après le début d’un vaste mouvement de contestation contre la classe politique le 17 octobre.



(Repère : I – Qu’est-ce qu’un eurobond ?)



Le pays faisant en plus face à une baisse de ses réserves en devises – détenues par la Banque du Liban –, les cercles économiques et politiques au Liban débattent depuis plusieurs semaines de l’opportunité de rembourser la série d’eurobonds arrivant à échéance le 9 mars. Certains milieux prônent de négocier dès à présent avec les créanciers de l’État une restructuration (réduction des montants empruntés et des intérêts) de la dette, tandis que d’autres appellent à rembourser les eurobonds de mars pour procéder ensuite à un rééchelonnement des montants dus restants (baisse des intérêts en repoussant les échéances).

Face à cette situation, le gouvernement a officiellement annoncé mardi la sélection des cabinets Lazard pour le volet financier, et Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP pour le volet légal, pour l’épauler dans ses négociations avec les créanciers, qui de leur côté avaient déjà commencé à s’organiser. En février, le fonds d’investissement spéculatif Greylock Capital Management a par exemple formé un groupe avec d’autres détenteurs d’eurobonds afin de négocier avec l’État libanais en cas de restructuration.



(Lire aussi : Restructuration de la dette : les dessous de l’appel d’offres remporté par Lazard et Cleary Gottlieb)



Proposition de loi
D’un autre côté, le fonds Ashmore, une société de gestion londonienne active sur les marchés émergents, a noué un accord avec des banques libanaises vers fin janvier, qui lui a permis de devenir le détenteur, à présent, d’un milliard de dollars d’obligations du Liban, dont près de 300 millions d’eurobonds de mars 2020. Interrogée par Reuters, cette société a défendu sa stratégie d’investissement dans des dettes à court terme dans deux pays, le Liban et l’Argentine, où il a investi un quart de ses fonds, ce qui représente un motif sérieux pour obtenir du gouvernement libanais le paiement de l’échéance de mars.

Le fonds a d’ailleurs formulé cette exigence vers mi-février, lors d’une réunion de négociations entre le gouvernement et le fonds londonien. Une négociation dans laquelle le fonds est en position de force, puisqu’il possède plus de 25 % des eurobonds dus le 9 mars après que plusieurs banques du pays se soient débarrassées d’une partie des titres de leur portefeuille pour débloquer des liquidités.

Le fait que plusieurs acteurs du secteur bancaire libanais – qui détient traditionnellement avec la Banque du Liban la majorité de la dette publique en devises du pays, ce qui limitait l’influence des créanciers étrangers – se soient débarrassés de leurs eurobonds récemment, a fait grincer pas mal de dents au Liban. La semaine dernière, la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, a ainsi demandé à obtenir des informations concernant ces opérations.



(Repère : II. Qu’est-ce qu’une restructuration de la dette ?)



Le sujet a également fait réagir le député Chamel Roukoz, auteur d’une proposition de loi revêtue du caractère de double urgence datée d’hier et rendue publique. Le texte vise à obliger « les personnes physiques ou morales » de nationalité libanaise, qui ont cédé des eurobonds « de manière directe ou indirecte » à des contreparties « étrangères » à les récupérer, en les remboursant intégralement avec les intérêts, sous peine de se voir infliger une amende équivalente à deux fois les montants concernés. L’argent récolté sera transféré dans un compte spécial à la BDL afin de retirer ce montant de la dette à rembourser. La proposition cible plus précisément les banques, elle vise « toutes les émissions d’eurobonds », mais ne donne pas d’indication concernant la période pendant laquelle le fait de les avoir cédés à des étrangers pourrait être incriminé.

Le but de cette mesure est, toujours selon le député, de ramener la part des détenteurs étrangers d’eurobonds libanais à 40 % du total, ce qui était le cas d’après lui, avant que les banques décident de s’en débarrasser. Il demande également à la BDL d’informer le ministère des Finances des noms des porteurs d’eurobonds de toutes les maturités, et requiert des nouveaux détenteurs étrangers qu’ils portent à la connaissance des deux institutions libanaises le nom du précédent détenteur.

Si la proposition contrevient à plusieurs principes défendus par la Constitution, dont celui de la protection de la propriété privée ou de l’égalité de traitements des citoyens devant la loi, il est tout à fait possible, selon un juriste contacté par L’Orient-Le Jour, que le Parlement puisse adopter une telle mesure, à condition que ses effets soient strictement limités aux circonstances exceptionnelles actuelles.



L'avis des experts

Les enjeux juridiques de la restructuration de la dette, selon Nasri Diab et Karim Daher

Le Liban et la doctrine de la dette odieuse, par Nasri Antoine Diab

Crise économique au Liban : un plan d'action pour éviter de perdre une décennie



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commentaires (4)

Nous vivons en principe dans un état de droit, dans lequel une loi ne peut pas être rétroactive. On peut nationaliser, taxer, saisir, mais one ne peut pas obliger des entités à acheter quoi que ce soit. Les Eurobonds ont pris cette proportion parce que pour attirer des devises et de capitaux, il fallait payer des intérêts exorbitants. Ceci est à son tour la conséquence d’un état failli et corrompu jusqu’à la moelle. Tous ceux qui ont « profité » pendant des années de ces taux d’intérêt auraient du se douter que ces taux reflétaient la confiance des marchés sur l’économie libanaise. Quand c’est trop beau pour être vrai, c’est que ça ne l’est probablement pas.

Bachir Karim

11 h 49, le 28 février 2020

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Commentaires (4)

  • Nous vivons en principe dans un état de droit, dans lequel une loi ne peut pas être rétroactive. On peut nationaliser, taxer, saisir, mais one ne peut pas obliger des entités à acheter quoi que ce soit. Les Eurobonds ont pris cette proportion parce que pour attirer des devises et de capitaux, il fallait payer des intérêts exorbitants. Ceci est à son tour la conséquence d’un état failli et corrompu jusqu’à la moelle. Tous ceux qui ont « profité » pendant des années de ces taux d’intérêt auraient du se douter que ces taux reflétaient la confiance des marchés sur l’économie libanaise. Quand c’est trop beau pour être vrai, c’est que ça ne l’est probablement pas.

    Bachir Karim

    11 h 49, le 28 février 2020

  • La précipitation de céder les Eurobonds à des étrangers est la preuve que ces détenteurs n’étaient autres que des corrompus du pouvoir qui voulaient, un, effacer toute trace de leurs implications, deux, éviter de tout perdre ou une grande partie des sommes volées. Même bradés ces titres payés avec de l’argent volé leur apporterait de l’argent facilement gagné puisque pillé. Comment et pourquoi les noms des ex détenteurs n’ont jamais été dévoilés aux grands damnes des libanais qui se retrouvent au milieu de ces mafieux obligés de couvrir leurs crimes avec leurs comptes épargne et leur salaires qui rétrécissent comme peau de chagrin jour après jour? A circonstances exceptionnels, lois exceptionnelles alors qu’attendent nos justiciables et notre président avec ses alliés qui prêchent la vertu et les mains propres ne demandent pas à lever le secret sur ces comptes pou le moins flous pour faire toute la lumière une fois pour toute? ON SE LE DEMANDE.

    Sissi zayyat

    11 h 47, le 28 février 2020

  • Une loi peut-elle être rétroactive?

    Gros Gnon

    02 h 45, le 28 février 2020

  • LA COMBINE DES PROPRIETAIRES DES BANQUES NE DOIT PAS PASSER. LSSSSOUSSSS ! LSSSSOUSSSS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    01 h 11, le 28 février 2020

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