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Politique - Psychanalyse, ni ange ni démon

Révolution et violence

« Le Droit est la force d’une communauté, la violence est le droit d’un seul. »

Jamais plus qu’en ce moment cette citation de Freud (Totem et tabou) n’aura été appropriée. Habituellement, on oppose le Droit aux jeunes et moins jeunes qui recourent à la violence. Même lorsque la société se trouve dans une situation troublée comme l’est la société libanaise en ce moment. Or nous ne pouvons pas opposer la violence des manifestants à celle des forces de l’ordre : elles sont du même ordre.

En témoigne ce geste maintes fois répété par les forces de l’ordre : la pierre lancée par les manifestants leur est retournée de la même manière exactement. Un membre des forces de l’ordre se baisse, ramasse une pierre et la jette sur les manifestants. Cette symétrie que les psychanalystes appellent « en miroir » indique qu’il n’y a pas de tiers entre les manifestants et les forces de l’ordre. Ce tiers devrait être l’État, ce qui permettrait aux forces de l’ordre d’agir au nom de l’État et de ne pas répondre aux manifestants de façon symétrique.

Or au Liban, l’État est défaillant.

Et s’il manifeste son pouvoir, c’est de manière arbitraire, comme par caprice. En témoigne le temps qu’il a fallu aux forces du 8 Mars, pourtant homogènes, pour accepter de faire partie d’un gouvernement. Comment le citoyen, quelle que soit son appartenance communautaire, régionale, civile, militaire et autre, pourrait réagir ? Par la violence. Imaginons une maison en feu, les enfants cherchant à s’enfuir pendant que le père et la mère se disputent pour savoir où ranger la vaisselle. Imaginons un bateau en perdition sur une mer déchaînée pendant que le commandant compte les fraises pour savoir quel membre de l’équipe a triché (c’est le sujet d’un film, Ouragan sur le Caine, de 1954, avec Humphrey Bogart dans le rôle principal). La mutinerie devient nécessaire, la légitimité prenant le pas sur la légalité.

« Pile je gagne, face tu perds »

Un autre exemple cinématographique montre bien comment la violence est suscitée par un pouvoir, ici militaire, un pouvoir qui rend fou. Catch 22 (1970), film réalisé par Mike Nichols d’après l’œuvre de Joseph Heller, raconte l’histoire d’une base militaire américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Face aux bombardements quotidiens auxquels il est obligé de participer, devant l’horreur, l’officier Yossarian cherche à se faire réformer. La hiérarchie refuse sa demande et le renvoie systématiquement au code : l’article 22. Yossarian demande à consulter l’article 22 et la réponse est toujours la même : l’article 22 comprend un article qui interdit de le consulter.

Prenons un autre exemple tiré de la clinique psychiatrique.

Une mère offre à son fils deux cravates, une noire et une rouge. Lorsqu’il met la noire, elle lui dit : « Tu n’aimes pas la rouge ? » Et lorsqu’il met la rouge, elle lui dit : « Tu n’aimes pas la noire ? » Désemparé, le fils finit par mettre les deux en même temps. Dans la rue on le traite de fou. Alors sa violence explose.

C’est ce que l’école de Palo Alto en Californie nomme un double bind, ou message paradoxal. Le message paradoxal est différent du message contradictoire : dans l’un, le message contradictoire, le choix est possible. Dans l’autre, le message paradoxal, le choix est impossible. Devant la répétition de ce genre de message paradoxal, le fils a le choix ou de devenir fou ou de devenir violent.

Toutes ces situations montrent bien que face au discours paradoxal qui pervertit le jeu du pile ou face, « Face je gagne, pile tu perds », le citoyen libanais n’a plus d’autre choix que de recourir à la violence.


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