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Environnement - Environnement

À Bchennine, le fleuve emporte les ordures au milieu des protestations des habitants

Le caza de Zghorta est le théâtre d’une crise de déchets sans précédent depuis le mois d’avril, date de la fermeture de la décharge sauvage de Adwé.

Les déchets s’amoncellent dans le petit village de Bchennine au Liban-Nord. Photo Ornella Antar

Avant la création d’une décharge sauvage à Bchennine dans le caza de Zghorta au Liban-Nord, rares étaient ceux qui avaient entendu parler de ce petit village d’environ 300 habitants, dont 160 électeurs. À l’entrée du village, l’un des plus petits de tout le caza, deux portraits du député des Marada Tony Frangié, frappés du slogan « demain nous appartient » sont accrochés sur le portail d’un terrain agricole. Un peu plus loin est accroché un portrait jauni de Sleiman Frangié, ancien député et président du courant des Marada, avec le slogan « le symbole de l’honnêteté ».

En novembre dernier, dans une tentative de débarrasser les rues de Zghorta des déchets amassés, le président des Marada a pris la décision de les stocker sur un terrain à Bchennine au grand dam de ses habitants. Alors qu’ils tentaient de protester contre cette mesure, certains ont affirmé avoir été agressés par des partisans armés de M. Frangié qui étaient présents sur place lors de l’arrivée des camions. Et cela, bien que la majorité écrasante des habitants de Bchennine soient des partisans et sympathisants des Marada.


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Le fleuve des déchets

Avec les pluies diluviennes qui se sont abattues sur la région la semaine dernière, les déchets ont été charriés par l’eau de la rivière de la Qadicha qui aboutit à Tripoli. Le fleuve serpente désormais entre plusieurs régions dans un crissement sinistre de plastique, de bouteilles et autres sacs de déchets qui s’écrasent les uns contre les autres. Réagissant aux vidéos du fleuve massivement partagées sur les réseaux sociaux, le président de la municipalité de Zghorta-Ehden, Antonio Frangié, a publié un communiqué assurant que la municipalité avait pris les mesures nécessaires pour empêcher que l’eau du fleuve ne charrie les déchets de la décharge et avait certifié que ces déchets provenaient d’une autre source. Rappelons que la décharge sauvage de Bchennine est édifiée directement au-dessus de la source d’eau du fleuve.

Joint au téléphone par L’Orient-Le Jour, le président de la municipalité de Tripoli, Riad Yamak, a affirmé que la capitale du Liban-Nord est en train de payer le prix de l’incompétence des autorités locales à Zghorta doublée de l’absence de l’État. « La municipalité de Zghorta n’a malheureusement pas réussi à trouver une solution à la crise de déchets qui frappe le caza et trois autres depuis avril dernier », a déclaré M. Yamak. « Les responsables à Zghorta auraient dû trouver une solution à cette crise sachant qu’il existe des terrains vastes dans le caza, notamment dans d’anciennes carrières, qu’ils peuvent transformer en décharges sanitaires au lieu de recourir à des zones limitrophes entre Zghorta et Tripoli », a-t-il poursuivi, faisant allusion à la tentative de créer une décharge à Terbol l’été dernier.

Selon M. Yamak, la municipalité de Tripoli veut à tout prix éviter que la tension ne monte entre les habitants de Zghorta et de Tripoli. Le souci de calmer les esprits fait suite à un incendie qui avait éclaté dans un terrain à Mejdlaya, village limitrophe entre Zghorta et Tripoli, où un centre de tri doit être aménagé par la municipalité de Zghorta. Cet incendie dans le terrain utilisé actuellement comme zone de stockage des déchets supposément triés avait suscité la colère des Tripolitains.


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« Notre dignité avant toute chose »

À Bchennine, Kfarchakhna et Kfarkahel, trois villages voisins concernés par la création de la décharge sauvage, les habitants n’arrivent pas toujours à encaisser le coup. S’ils se révoltent contre la mise en place de la décharge pour des raisons écologiques et sanitaires évidentes, il n’en demeure pas moins qu’ils se sentent humiliés par la façon dont les déchets ont été transportés dans le village de Bchennine.

« Que peut-on faire en l’absence d’un État puissant ? Ils sont plus nombreux et plus forts que nous », déplore le moukhtar de Bchennine, Raymond Habkouk, évoquant le courant des Marada et ses partisans. « Nous avons fait de notre mieux et nous avons protesté deux ou trois fois mais la décharge a été imposée aux habitants par la force », explique M. Habkouk qui s’inquiète pour la santé des habitants de son village d’autant que la décharge est édifiée au bord du fleuve dont l’eau est utilisée pour l’irrigation de tous les terrains agricoles.

Lichaa Challita, un habitant de Bchennine dont la maison est perchée sur une colline surplombant la décharge sauvage, évoque un crime environnemental : « Le soir, nous ne pouvons pas sortir de la maison ou ouvrir une fenêtre tellement l’odeur est nauséabonde. » Vue de sa maison, la décharge fait intrusion dans un paysage plutôt vert et agréable, caractéristique des petits villages du Liban. M. Challita affirme avoir participé aux protestations et tentatives d’arrêter les camions transportant les déchets de Zghorta dans leur village.

Lors de l’arrivée des camions à Bchennine en novembre, suite aux tweets du leader des Marada annonçant avoir trouvé une solution « écologique » à la crise des déchets dans son village, les protestataires, hommes et femmes, ont affirmé avoir été agressés par les partisans de M. Frangié qui accompagnaient les camions. Quatre protestataires au moins ont été transportés vers les hôpitaux de la région. Selon des témoignages, plus d’une centaine de camions et autant de partisans sont entrés à Bchennine en cette nuit de novembre. « L’entrée des camions accompagnés d’éléments armés visait à terroriser les habitants des villages concernés », affirme à L’OLJ un groupe de jeunes de Kfarchakhna, qui avait rédigé un communiqué de presse dénonçant ces mesures.

Ce communiqué n’a cependant pas été diffusé en raison d’une visite du député Tony Frangié à Kfarchakhna. Selon le groupe, le député avait promis aux habitants qu’il a rencontrés que la décharge serait temporaire et qu’il trouverait une solution à la crise d’ici à quatre mois. M. Frangié ne s’est cependant plus rendu à Bchennine où la grogne des gens est la plus importante. « Nous avons refusé de recevoir des aides qui nous ont été envoyées par le courant des Marada à l’occasion des fêtes », raconte un habitant de Bchennine. Les habitants du village avaient déjà refusé la création d’une décharge sanitaire dans leur région l’été dernier lorsque les quatre cazas de Zghorta, Bécharré, Koura et Denniyé essayaient de trouver un emplacement à la décharge.

La décharge de Bchennine est en principe temporaire et devrait être fermée dès que la décharge sanitaire de Hwakir, à Denniyé, sera autorisée et aménagée par le gouvernement, assure une source proche du dossier. Elle estime que cependant qu’en raison des atermoiements dans ce dossier, la décharge ne devrait pas voir le jour prochainement. Rappelons que le site de Hwakir est l’un parmi plusieurs proposés par le ministère de l’Environnement ces derniers mois, sachant que toutes ces propositions visant à régler la crise dans les quatre cazas se sont heurtées au refus systématique des populations.

Pour les habitants des trois villages concernés, notamment ceux de Bchennine, la violence qui a été pratiquée contre eux est de loin plus grave que la création de la décharge. L’affaire n’a pas reçu une grande couverture médiatique, et les reportages effectués en novembre par deux chaînes locales n’ont jamais été diffusés, en raison de pressions politiques selon les habitants. « Les habitants de Bchennine ont peut-être accepté la pauvreté et la misère, mais ils n’accepteront jamais l’humiliation et l’atteinte à leur dignité », affirmait l’un d’eux dans un de ces reportages dont la vidéo a été partagée sur les réseaux sociaux.



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