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Les invités du soir

Kassem Soleimani, Carlos Ghosn, quel rapport ? Aucun, bien sûr, sinon qu’en ce début de l’an 2020, et chacun à sa manière, ces deux personnages figurent au centre de l’actualité internationale. Mieux encore, et sur des registres une fois de plus fort différents, ces extraordinaires destinées viennent corser, par leurs suites éventuelles, une chronique libanaise qui se résumait, depuis plus de deux mois, à un singulier duel : celui engagé entre les foules entrées en rébellion et un pouvoir sclérosé, momifié dans la gangue de ses mauvaises habitudes, totalement déconnecté de ladite, et pourtant brûlante, actualité.


Tué à Bagdad sur ordre exprès de Donald Trump, à l’aide de missiles américains, Soleimani était en quelque sorte le Che Guevara de l’Iran. C’est lui qui, depuis une vingtaine d’années, veillait, souvent sur place, à l’exportation de la révolution islamique aux quatre coins du Proche et du Moyen-Orient. Dans une toute récente interview, le chef de la Force al-Qods, unité d’élite des pasdaran, révélait avoir supervisé, à Beyrouth même et un mois durant, les opérations du Hezbollah lors de la guerre de l’été 2006. Comme par prémonition, il se félicitait d’avoir échappé de peu, avec Hassan Nasrallah, aux bombes de l’aviation israélienne qui les suivaient à la trace.


Un peu partout, la brutale liquidation de Kassem Soleimani n’a pas manqué de susciter de vifs remous. En Amérique même, elle a été dénoncée par l’opposition démocrate. Non contente d’alarmer la Chine et la Russie, elle a inquiété les pays de l’Alliance atlantique comme de l’Union européenne. En même temps qu’il faisait voler en éclats une discrète et laborieuse médiation entreprise par le sultanat d’Oman, le raid US augurait d’une dangereuse escalade dans la spirale des représailles et contre-représailles entre les États-Unis et l’Iran.


Vengeance, réclamaient, hier déjà, les manifestants à Téhéran. Vengeance, décrétait à son tour Nasrallah, appelant à cette tâche les camarades à travers le monde entier. La menace d’attentats antiaméricains revêt ainsi une amplitude planétaire et, comme on s’en doute, elle est loin d’exclure du théâtre des opérations le microcosme libanais : cela à l’heure où notre pays se débat dans une crise socio-économique et politique d’une gravité sans précédent et place tous ses espoirs dans une providentielle assistance internationale. Faut-il dès lors prévoir un durcissement du Hezbollah et de ses alliés locaux face à un soulèvement populaire qui a défié tous les centres de pouvoir, déclarés ou occultes ? Une telle crispation rendra-t-elle encore plus réfractaire au changement, plus inacceptable, le gouvernement que l’on s’efforce de former en ce moment ? On en saura sans doute davantage demain, dimanche, avec une allocution annoncée du chef de la milice pro-iranienne.

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Non moins attendue est l’apparition devant la presse, la semaine prochaine, de Carlos Ghosn, qui incarna l’une des success stories les plus fracassantes dans les annales de l’industrie automobile. Sans doute laissera-t-il sur sa faim le public, quant aux circonstances de cette rocambolesque évasion qui a enflammé toutes les imaginations : et qui, au gré des perceptions que l’on a du personnage, a fait de lui, tour à tour, un émule de James Bond, du comte de Monte Cristo, de Houdini, ou alors d’Arsène Lupin. Par contre, et outre son magistral pied de nez administré à un système judiciaire nippon qui lui a réservé la pleine mesure de son extrême sévérité, Ghosn tient enfin l’occasion – à lui déniée par un système judiciaire rejetant la présomption d’innocence – de s’expliquer : plus encore, de se poser en accusateur, perspective qui en inquiète probablement plus d’un, à Tokyo comme à Paris.


Sans évidemment préjuger du bien-fondé des accusations de malversations financières portées contre le fugitif, on peut penser que d’aussi vertigineuses ascensions que la sienne impliquent pas mal d’orteils impitoyablement écrasés ; ou que certaines de ses princières extravagances ont fatalement suscité bien des jalousies et inimitiés. Mais même s’il a pu prêter le flanc aux traits de ses adversaires, il demeure clair que l’ancien patron a littéralement été piégé par les Japonais, affolés par son projet de transformer carrément l’alliance Renault-Nissan en une fusion qui faisait la part belle au partenaire français. C’est dire que le Liban de ses ancêtres, où il a trouvé un refuge sûr malgré une notice rouge émise par Interpol, pourrait bien se retrouver, lui, au croisement d’un faisceau de démarches (pour ne pas dire de pressions) diplomatiques en relation avec une affaire qui promet de faire encore bien de bruit.


Quant à l’acteur du drame, sa performance aurait pu connaître des temps meilleurs, à l’époque où nombre de Libanais rêvaient d’un redressement du pays dans le style cost killer à la Nissan, impliquant un massacre de tous ces frais parasitaires et fraudes qui ont saigné à blanc la République. C’est de totale, d’absolue, d’immaculée transparence dans la vie publique que rêve aujourd’hui le peuple.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Kassem Soleimani, Carlos Ghosn, quel rapport ? Aucun, bien sûr, sinon qu’en ce début de l’an 2020, et chacun à sa manière, ces deux personnages figurent au centre de l’actualité internationale. Mieux encore, et sur des registres une fois de plus fort différents, ces extraordinaires destinées viennent corser, par leurs suites éventuelles, une chronique libanaise qui se résumait,...