« Nous ne paierons pas nos prêts bancaires », annonce le mouvement de contestation, sur l’une de ses pages Facebook.
Deux semaines après avoir invité les citoyens à ne pas payer leurs factures d’électricité à EDL (Électricité du Liban), institution considérée comme une antre de la corruption, une partie de la contestation populaire passe aujourd’hui à la vitesse supérieure. Et annonce son intention de ne pas honorer non plus ses engagements envers les banques commerciales. « Nous ne paierons pas les prêts bancaires », est-il écrit sur la page Facebook du mouvement qui a lancé l’idée de cette désobéissance fiscale, comme il l’appelle. Et ce jusqu’à ce que les banques revoient leur politique de taux d’intérêt et libèrent les avoirs des petits épargnants, soumis à une « politique sauvage » de contrôle des capitaux. Cette mesure, qui part d’une volonté de faire preuve de solidarité envers les citoyens qui ne parviennent plus à régler leur dû depuis l’aggravation de la crise économique, s’accompagne de sit-in réguliers devant la Banque du Liban, l’Association des banques ou d’institutions bancaires dans la capitale et en province. Institutions dont les murs sont désormais tagués du slogan « Nous ne paierons pas ».
De connivence avec la classe politique
Au cœur de cette campagne avec d’autres militants, la chercheuse et activiste politique Zeina Hélou montre du doigt « un État incapable de protéger les droits des citoyens » et « un secteur bancaire de connivence avec la classe politique », qui « prive les citoyens de leur argent » et « baisse les intérêts des déposants sans pour autant réduire les intérêts débiteurs ». D’où l’initiative d’un groupe de contestataires, notamment de l’Observatoire populaire contre la corruption, de l’association Li Haqqi, en coopération avec le Comité de protection des petits épargnants, de « se solidariser avec les plus vulnérables », de « mettre la pression sur les banques » afin de les pousser à réduire les taux d’intérêt débiteurs. « Nous appelons les citoyens à ne plus rembourser leurs prêts pour leur éducation, l’achat d’un logement ou d’une voiture », lance la militante qui invite les protestataires à répondre massivement à l’initiative. Elle estime d’ailleurs qu’au vu des taux d’intérêt élevés, un citoyen qui a payé la moitié de son prêt s’est déjà acquitté de sa dette. « J’ai moi-même décidé de ne plus payer les traites de ma voiture. Et s’ils font mine de la confisquer, je la brûlerai », martèle-t-elle. Alors que le groupe peaufine sa stratégie pour la protection des personnes pratiquant la désobéissance, il laisse entrevoir une prochaine étape : « Très bientôt, non seulement nous refuserons de payer la taxe mécanique, celles sur le revenu, sur les bâtiments construits et la taxe municipale, mais nous lancerons de plus une campagne de désobéissance civile », promet-elle.
Tout aussi sévère envers le pouvoir et le secteur bancaire, l’activiste Camille Mourani se demande « pourquoi faut-il payer factures et taxes, si l’État et les banques privent les Libanais de leurs propres deniers ». Évoquant le dernier scandale en date, « le transfert par neuf dirigeants libanais de quelque 11 milliards de dollars vers les banques suisses », il estime « inadmissible » que le citoyen peine à retirer 200 dollars par semaine, alors que les politiciens transfèrent leurs milliards en toute impunité. « Des milliards qui proviennent, estime-t-il, d’enrichissement illicite. » À cette crise de confiance entre la rue et le pouvoir, s’ajoute « l’incapacité d’une population d’honorer ses engagements, tellement elle est touchée par la crise », fait remarquer le militant. D’où la nécessité de faire preuve de solidarité avec les plus démunis. « Avec un groupe de réflexion, nous mettons en place une stratégie organisationnelle et une campagne de communication (Mech Def3in) », précise-t-il.
(Lire aussi : « Nous ne paierons pas ! » : des contestataires appellent à la désobéissance fiscale)
« Si l’ensemble des citoyens s’engagent »
Visiblement, l’applicabilité de l’initiative et ses répercussions possibles ne sont plus un frein. Car le pouvoir continue d’afficher le même niet à la contestation populaire au bout de 60 jours, alors que le pays s’enfonce tous les jours un peu plus dans la crise économique. Les protestataires n’ont alors d’autre option que l’escalade et la désobéissance, comme ils le disent clairement. Parviendront-ils à leurs fins ? « Nous comprenons tout à fait le citoyen qui refuse de payer ses factures. Nous ne pouvons que le soutenir », affirme le coordonnateur politique du Bloc national Amine Issa. D’autant que c’est ce même citoyen qui paie le déficit de l’État, tout en sachant pertinemment que ses deniers sont dilapidés. M. Issa rappelle que l’État verse 1,6 milliard de dollars à EDL et qu’en une trentaine d’années, il a déjà payé au fournisseur d’électricité quelque 40 à 45 milliards de dollars de la poche du contribuable, selon les estimations. Observant que « tous les indicateurs économiques sont dans le rouge », et que les hommes au pouvoir « continuent de se chamailler », le coordonnateur politique assure que « l’initiative est applicable si l’ensemble des citoyens s’engagent » dans ce sens. « Nous ne sommes toujours pas dans un schéma de changement, mais bien de contestation, souligne-t-il encore. Une contestation qui se refuse d’être violente et demeure pacifique. Elle doit alors utiliser un nouveau moyen de pression comme la désobéissance civile. » Et cette désobéissance civile peut prendre diverses formes, « les cessations de paiement, les manifestations, les blocages temporaires de routes, l’occupation de bâtiments publics, mais aussi la décision de ne plus payer ses impôts ».
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Avoir pu être débiteur au Liban est une chance inouïe. À leur place j'aurais fait pareil. Les banquiers ont été et sont infects.
19 h 48, le 27 décembre 2019