La question de transferts de fonds qui auraient été, selon la presse, effectués récemment par certains dirigeants politiques libanais vers des banques suisses, pour un montant de plusieurs milliards de dollars, a été longuement évoquée jeudi lors d'une réunion rassemblant plusieurs responsables des secteurs financier et bancaire libanais. Le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, a notamment annoncé qu'il allait prendre toutes les mesures nécessaires pour faire la lumière sur cette affaire, notamment en créant une commission d'enquête.
Des informations diffusées dans la presse libanaise, citant des sources à Berne, font état depuis mardi de transferts effectués par neuf responsables politiques vers la Suisse, au cours des quinze derniers jours. Selon des informations rapportées par le quotidien britannique The Independent dans sa version en arabe, le Parlement suisse doit étudier prochainement l'origine de ces transferts.
La question de ces transferts a fait polémique au cours des derniers jours alors que, dans le cadre de la sévère crise de liquidités que traverse le Liban, les clients des banques sont soumis à d'importantes restrictions monétaires, des plafonnements de leurs retraits en livres libanaises et de grandes difficultés pour obtenir des dollars américains dans les établissements bancaires. Face à cette crise, le taux de change de la livre libanaise a grimpé en flèche auprès des changeurs, atteignant jusqu'à 2.000 livres pour un dollar, tandis que le taux officiel observé par les banques reste stable, entre 1.515 et 1.520 livres le dollar.
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S'exprimant à l'issue d'une réunion, ayant rassemblé M. Salamé, le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, le président de la commission parlementaire des Finances, Ibrahim Kanaan, et le président de l'Association des banques du Liban, Salim Sfeir, le gouverneur de la BDL a annoncé qu'il prendrait toutes les mesures nécessaires pour enquête sur les versements effectués vers l'étranger en 2019. "Évidemment, les gens sont libres de faire ce qu'ils veulent de leur argent, mais si certains fonds sont suspects, nous devons le savoir", a-t-il ajouté. "Nous devons d'abord confirmer que ces transferts ont effectivement quitté le Liban, puis nous prendrons des mesures judiciaires, si nécessaire", a-t-il encore souligné.
Interrogé par ailleurs sur la possibilité d'une modification du taux de change entre la livre et le dollar, M. Salamé a déclaré : "Personne ne peut savoir" ce qu'il va se passer. Un peu plus tard, des sources au sein de la BDL ont indiqué que les propos de M. Salamé "ne signifient en aucun cas un changement dans le taux de change officiel de la livre libanaise établi à 1507.5 mais concernaient les taux de change pratiqués par les cambistes". "La politique de la BDL est toujours en vigueur et elle consacre la stabilité de la livre dans les transactions bancaires", poursuivent ces sources.
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Onze milliards
Pour sa part, le président de l'ABL a affirmé n'avoir aucune information concernant des transferts de fonds vers l'étranger.
Le député Hassan Fadlallah (Hezbollah), qui a assisté à une réunion de la commission des Finances et du Budget à laquelle a participé Riad Salamé, s'est, lui, interrogé : "Sera-t-il possible de faire revenir ces fonds qui ont été virés" en Suisse ? Selon M. Fadlallah, des versements suspects de 9 milliards de dollars auraient été faits dans des banques suisses, en plus de deux milliards associés à des prêts contractés au nom de personnes résidant au Liban. Le gouverneur de la BDL "s'est engagé à former une commission d'enquête" sur cette affaire, a poursuivi le député. "S'il s'avère que ces fonds sont illégitimes, c'est à dire qu'ils proviennent de la corruption ou d'opérations d'enrichissement illicite, il faudra s'assurer qu'ils seront renvoyés au Liban", a-t-il dit. "Si ces fonds reviennent au Liban et viennent s'additionner aux fonds présents dans les banques, cela créera assez de liquidités pour permettre aux citoyens ordinaires de récupérer leur argent et rétablira la confiance entre les citoyens et les banques", a ajouté le député Fadlallah. Il a encore souligné que la crise des liquidités que connaît le Liban est fortement liée "à l'augmentation indécente du taux de change entre la livre et le dollar" chez les agents de change.
Une commission parlementaire a par ailleurs été mise sur pied afin de suivre les procédures financières effectuées par les déposants des banques libanaises, en coopération avec la BDL et l'ABL.
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commentaires (21)
Il faudrait vraiment être stupide pour avoir fait ces transferts. Ils sont corrompus certes, mais loin d'être bêtes... Mais s'il s'avère que ces informations sont fondées, nous allons avoir des émeutes violentes. Connaissant la Suisse, je peux aussi dire que la probabilité est importante que ces fonds, s'ils existent soient gelés en attendant qu'un gouvernement crédible soit en place au Liban et dispose du temps nécessaire pour déposer une demande d'entraide judiciaire.
El moughtareb
15 h 44, le 27 décembre 2019