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À La Une - Contestation

L'Irak s'enfonce dans un imbroglio politique, la rue hausse le ton

Preuve que la pression de la rue est inédite : pour la première fois, le grand ayatollah Ali Sistani, qui passe pour avoir fait et défait tous les Premiers ministres depuis 2003, se tient à l'écart.

Des étudiants irakiens brandissant des pancartes annonçant qu'ils ne retourneront pas encore cours tant que toutes leurs revendications ne sont pas entendues par les autorités, lors de manifestations à Bagdad, le 22 décembre 2019. Photo AFP / SABAH ARAR

Excédés par leurs dirigeants qui jouent la montre et par le grand voisin iranien qui refuse de céder du terrain en Irak, les manifestants ont durci dimanche leur mouvement, décidés à mettre à bas le système tout entier.

Dimanche, pour la troisième fois, le délai légal pour nommer le nouveau Premier ministre a été dépassé. D'un côté, les pro-Iran alliés au chef du Parlement Mohammed al-Halboussi font pression pour faire accepter leur candidat, de l'autre, le président de la République Barham Saleh gagne du temps en multipliant les demandes d'éclaircissement. Et la rue, elle, qui estime avoir déjà patienté 16 ans depuis l'installation du pouvoir actuel après la chute du dictateur Saddam Hussein, a laissé exploser son ras-le-bol.

Après avoir placardé les photos des premiers ministrables barrés d'une grande croix rouge, les manifestants ont désormais un nouveau cri de ralliement: "Halboussi, Barham, votre tour est venu".

Dimanche, les autorités n'ont pas cessé de se renvoyer la balle. La Cour suprême, que M. Saleh avait saisie pour délimiter la majorité parlementaire, lui a renvoyé le dossier, laissant toutes les options ouvertes. M. Saleh a alors une nouvelle fois demandé au Parlement de désigner la "plus grande coalition" en son sein --la seule ayant le droit de proposer un candidat pour diriger le gouvernement. 


(Lire aussi : Le grand ayatollah Sistani réclame des élections pour sortir de la crise en Irak)



Qui a la plus grande coalition?

Car, avec l'Assemblée la plus éclatée de l'histoire récente de l'Irak, M. Saleh assure avoir déjà reçu trois réponses. L'une émane des pro-Iran qui affirment avoir coalisé assez de partis au Parlement pour présenter le ministre démissionnaire de l'Enseignement supérieur, Qoussaï al-Souheil, au poste de Premier ministre.

Une autre de la liste du leader chiite Moqtada Sadr qui se dit "la plus grande coalition" car elle est arrivée en tête aux législatives. Et une troisième, énigmatique, indique que la "plus grande coalition" est celle qui a nommé le Premier ministre démissionnaire Adel Abdel Mahdi... qui n'avait été officiellement désigné par aucune coalition!

Pendant que les politiciens s'échangent des missives officielles, les manifestants -pour beaucoup des étudiants- hurlent par milliers leur lassitude face à des dirigeants "corrompus", "incompétents" et qu'ils accusent maintenant de "procrastiner".

Au-delà des arrangements avec les formules et les délais constitutionnels, habituels en Irak, les protestataires qui dénoncent la mainmise de l'Iran sur Bagdad conspuent également M. Souheil. "C'est ça qu'on refuse : le contrôle iranien sur notre pays, que Qassem Soleimani gère tout", s'emporte Houeida, étudiante de 24 ans. Car régulièrement en Irak, quand des décisions majeures doivent être prises, c'est le puissant général iranien Qassem Soleimani qui est aux commandes.

(Lire aussi : En Irak, les partis négocient un nouveau Premier ministre, la rue le refuse déjà)


Un homme "intègre"

Pour la formation du gouvernement, l'émissaire de Téhéran s'est adjoint les services d'un dignitaire du Hezbollah libanais pour négocier avec les partis sunnites et kurdes, nécessaires aux chiites --auxquels revient de fait le poste de chef de gouvernement-- pour obtenir la majorité au Parlement. M. Halboussi, un sunnite, a d'ailleurs discuté dimanche à Erbil "de la succession de M. Abdel Mahdi", selon la présidence du Kurdistan autonome.

Le camp sunnite anti-Iran, lui, a mis en garde M. Saleh qu'il allait " plonger le pays dans le chaos sanglant en choisissant une personnalité que le peuple a déjà refusée". Le président a encore une carte en main: la Constitution l'autorise à décréter le poste de Premier ministre vacant et à l'occuper de fait.

"Des centaines de martyrs sont tombés et ils ne tiennent toujours pas compte de nos revendications", abonde Mouataz, étudiant de 21 ans. "On veut un Premier ministre intègre, mais ils nous ramènent un corrompu comme eux qui va les laisser continuer à nous voler". Depuis 2003, la corruption a englouti plus de la moitié des revenus du pétrole du pays, deuxième producteur de l'Opep.

Après près de trois mois d'une révolte inédite parce que spontanée, près de 460 morts, 25.000 blessés, des militants assassinés et des dizaines d'autres enlevés par des "milices" selon l'ONU, "la révolution continue", lance un manifestant à Diwaniya.


"Pays en travaux"

Dans cette ville du sud, les protestataires ont fermé les administrations, y installant des banderoles "Le pays est en travaux : veuillez excuser cette perturbation".

Ailleurs dans le sud, des pneus en feu bloquent les autoroutes, notamment celle menant au port d'Oum Qasr --vital pour les importations-- près de Bassora, et des ponts sur l'Euphrate, alors que des banderoles barrent l'entrée des écoles.

Preuve que la pression de la rue est inédite : le grand ayatollah Ali Sistani, qui passe pour avoir fait et défait tous les Premiers ministres depuis 2003, se tient à l'écart. Car plus rien n'arrête la rue, prévient Houeida: "il faut que l'Irak redevienne irakien et si le président ne nous aide pas, on le dégagera lui aussi".


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