Cinquante jours après sa démission, le Premier ministre sortant, Saad Hariri, s’est décidé: il ne veut pas diriger la prochaine équipe ministérielle. Qui lui succédera ? Il faudra attendre la décision du bloc parlementaire du Futur, lors des consultations parlementaires contraignantes, prévues en principe aujourd’hui à Baabda, pour le savoir. Premier bloc parlementaire à être reçu par le président de la République, Michel Aoun, après les anciens Premiers ministres, le groupe haririen devra donner le ton.
En jetant l’éponge, M. Hariri répondait favorablement à une des demandes de la rue qui plaide pour un nouveau gouvernement épuré de toutes les figures politiques. Mais ce n’est pas le seul motif de sa décision. Il y a, surtout, son échec à obtenir la couverture chrétienne dont il avait besoin : les deux partis chrétiens majoritaires, le Courant patriotique libre et les Forces libanaises, ont déjà annoncé qu’ils ne nommeraient pas le Premier ministre sortant pour former la nouvelle équipe. Cela signifie que M. Hariri n’aurait bénéficié que d’une majorité parlementaire étriquée et qu’il lui aurait été impossible d’imposer ses conditions, notamment la formation d’un cabinet exclusivement formé de spécialistes.
C’est d’ailleurs par ce dernier point que Saad Hariri a expliqué sa décision de se retirer de la course. « Depuis ma démission, il y a cinquante jours, en réponse aux demandes des Libanaises et des Libanais, j’ai œuvré pour répondre à leur demande de former un gouvernement de spécialistes, dans la mesure où il est le seul à même de résoudre la dangereuse crise économique et sociale que traverse le pays », a déclaré M. Hariri dans un communiqué publié hier. « Mais j’ai constaté qu’en dépit de ma détermination à former un cabinet de spécialistes, certaines prises de position exprimées récemment contre ma désignation n’allaient pas changer », a ajouté le Premier ministre sortant dans une claire allusion au veto des FL et du CPL à sa reconduction à son poste. « Je déclare que je ne suis pas candidat pour la présidence du Conseil. Je participerai demain (aujourd’hui) aux consultations parlementaires à la lumière de cette position », a ajouté M. Hariri, insistant sur « la tenue des consultations dans les délais, sans report sous aucun prétexte ».
(Lire aussi : Qui a ordonné la répression dans le centre-ville de Beyrouth ?)
Cet appel lancé par le Premier ministre sortant en direction de Michel Aoun a suscité une vive réaction dans les milieux du tandem Baabda-CPL. C’est dans ce cadre que s’inscrit un tweet posté hier par le ministre d’État sortant pour les Affaires présidentielles, Salim Jreissati. À l’adresse de Saad Hariri, il a écrit : « Excusez-moi M. le Premier ministre (sortant), il ne vous appartient pas d’insister pour le maintien des consultations parlementaires. Selon la Constitution, cela relève des prérogatives du président de la République exclusivement. Vous vous êtes toujours plaint de l’empiétement sur les prérogatives du Premier ministre ». Salim Aoun, député CPL de Zahlé, a de son côté appelé M. Hariri à ne pas « se rebeller contre les prérogatives du président de la République ». Mais jusqu’à hier soir, le palais de Baabda n’avait pas annoncé de report des consultations, le président Aoun n’ayant vu aucune raison valable pour cela, selon notre correspondante Hoda Chédid.
La décision surprise de Saad Hariri a rebattu les cartes aussi bien pour ce qui est de l’identité du Premier ministre que de la forme de son équipe. Le suspense, notamment pour ce qui est du successeur de M. Hariri, se maintient donc jusqu’à la tenue de la réunion du bloc parlementaire haririen, prévue ce matin à 9h30, l’écrasante majorité des blocs parlementaires préférant attendre la décision du Futur avant de se prononcer en faveur d’une personnalité ou d’une autre. Sauf que les milieux du courant du Futur maintiennent le flou autour de leur candidat, à l’heure où notre correspondante Hoda Chédid indique que le bloc haririen pourrait s’abstenir d’appuyer un candidat bien défini.
Pour le moment, les milieux de la Maison du Centre assurent à L’Orient-Le Jour que le retrait de M. Hariri n’est pas une manœuvre politique. Ils précisent aussi que depuis le report des consultations parlementaires, lundi, M. Hariri est parvenu à marquer plusieurs buts, notamment convaincre le Hezbollah, par l’intermédiaire du président de la Chambre, Nabih Berry, d’accepter la formation d’un cabinet de spécialistes.
(Lire aussi : Ô douce nuit, L'impression de Fifi Abou Dib)
Bassil s’en prend à Hariri
En attendant la réunion du bloc parlementaire haririen, et dans une volonté manifeste d’éviter toute confrontation avec la communauté sunnite, le leader du CPL, Gebran Bassil, a invité le Premier ministre sortant, de par sa position de représentant majoritaire des sunnites, et par souci de conformité au Pacte national, à « nommer une personnalité crédible qui bénéficierait d’une entente politique pour former un gouvernement qui obtiendrait la confiance des Libanais et de la communauté internationale, et l’appui des groupes parlementaires importants », comme l’a affirmé un communiqué publié hier par le bureau de presse de M. Bassil. S’il se félicite de la « position responsable » de Saad Hariri, le leader du CPL ne manque pas d’attaquer le chef du Futur, laissant entendre qu’il pourrait pousser le pays vers l’inconnu. Appelant M. Hariri à se décider rapidement au sujet de son candidat, Gebran Bassil a estimé que « le Premier ministre ne devrait pas plonger le pays et les Libanais dans l’inconnu, comme il l’a fait lorsqu’il a annoncé sa démission (le 29 octobre), en faisant son choix à la dernière minute, et en demandant le report ou la tenue des consultations, conformément à ses intérêts, à l’heure où cela relève de la compétence du président de la République ».
(Lire aussi : Tripoli marche contre la sédition)
Spéculations
Tout comme le CPL, le Hezbollah attend la décision du Futur pour se prononcer au sujet du prochain Premier ministre, comme le souligne à L’OLJ une source proche du parti, expliquant que cette position émane du respect de la formation chiite pour le poids de Saad Hariri dans les milieux sunnites. La source souligne toutefois que le parti de Hassan Nasrallah s’oppose à la nomination de Nawaf Salam, ancien ambassadeur du Liban à l’ONU et actuellement juge au sein de la Cour internationale de justice. Un nom déjà proposé par le Futur et appuyé par les Kataëb et Michel Mouawad, député de Zghorta. Quant au mouvement Amal de Nabih Berry, il avait annoncé qu’il nommerait Saad Hariri avant le retrait de ce dernier, alors que les FL campent sur leur décision de n’appuyer aucun candidat.
Entre-temps, les noms de probables successeurs à Saad Hariri circulaient dans les milieux politiques. Outre Nawaf Salam, on évoquait hier les noms de Khaled Kabbani et Hassan Diab, tous deux anciens ministres de l’Éducation. Quant à Fouad Makhzoumi, député de Beyrouth, il semble exclu dans la mesure où il se heurterait à un veto haririen. Tammam Salam, ancien chef du gouvernement, a, lui, refusé de se voir confier cette tâche à nouveau.
Lire aussi
À Kfarremane et Nabatiyé, la détermination des manifestants face aux agressions
... Et des larmes, maintenant, l'éditorial de Issa GORAIEB
Comment une vidéo circulant sur internet a failli provoquer une discorde sunnito-chiite
Un mur de béton installé près de la Place Riad el-Solh dans le centre de Beyrouth
commentaires (9)
Si pas Nawaf Salam + cabinet techno > Liban kaput ...
Remy Martin
12 h 55, le 19 décembre 2019