L’armée a tenté de contenir les frondeurs pro-Amal et Hezb sur le Ring. Anwar Amro/AFP
Il y a quelques jours, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Naïm Kassem, assurait à l’agence Reuters que sa formation ne voyait « pas de signes d’une guerre civile au Liban » et qu’il était « déterminé à ne pas se laisser entraîner dans le conflit ». Le spectacle de violence qui s’est déroulé dimanche soir sur le pont du Ring et dans les quartiers environnants prouve le contraire, même si le Hezbollah continue de nier toute responsabilité dans les affrontements.
L’afflux progressif de près de 400 frondeurs brandissant les drapeaux d’Amal et du Hezbollah au niveau du Ring et l’échange virulent de slogans à connotation éminemment politique, n’ont pu se faire sans au moins la bénédiction implicite du Hezbollah, assurent plusieurs analystes dont certains issus de la mouvance du parti.
Le mutisme observé hier par le parti chiite après des violences d’une extrême gravité en dit long sur la dichotomie entre sa volonté d’envoyer des messages dissuasifs, voire même menaçant, aux contestataires, tout en s’abstenant de les signer.
Ce n’est pas la première fois que le parti pro-iranien ou son allié Amal prétextent l’ignorance, démentant tout lien direct avec les attaques perpétrées, depuis le début du mouvement de révolte, contre les protestataires. L’agression qui s’est produite sur la place des Martyrs le 29 octobre dernier avait été, rappelons-le, complètement occultée par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui s’est contenté de demander à ses sympathisants de se retirer de la rue, après un discours dans lequel il a accusé une partie des contestataires d’être téléguidés par l’étranger.
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Hier, Rana Sahili, responsable adjointe des relations médias du Hezbollah, a démenti à L’OLJ toute implication du parti dans ce qui s’est passé, soulignant que les frondeurs sur le pont du Ring « font partie du peuple ». « Aucune décision n’a été prise d’envoyer les hommes du parti dans la rue, a-t-elle ajouté. Ce n’est pas de cette manière que les partisans du Hezbollah, extrêmement disciplinés, investissent les rues. » Et d’insister : « Il est hors de question que nos partisans profèrent des insultes comme cela s’est passé dimanche soir. C’est contre nos croyances, contre notre religion. »
L’image de jeunes chiites survoltés, qui cherchaient vraisemblablement à provoquer aussi bien les protestataires du 17 octobre que l’armée en proférant des insultes, est incompatible avec l’image que le Hezbollah souhaite véhiculer, soulignent leurs milieux. D’où une confusion « voulue » sur l’identité des casseurs.
« Les partisans du Hezbollah ne se comportent pas de la sorte. Ce qui s’est déroulé n’est pas du tout dans l’intérêt du parti », assure un analyste proche du Hezbollah, Kassem Kassir, qui laisse entendre qu’il s’agissait de groupes épars à qui on aurait demandé d’intervenir avec une mission précise. « Leur tâche était probablement d’envoyer un message musclé à l’armée. Sauf que la situation a fini par dégénérer », dit-il. C’est ce que confirme également un militant du mouvement de contestation qui se trouvait sur les lieux. « Ils ont tout fait pour tenter de provoquer l’armée, pour la pousser à recourir à la force et à renoncer à sa position de neutralité », dénonce ce dernier. Une chose est sûre : le Hezbollah a dit et redit qu’il ne tolérera pas la fermeture des axes routiers qui entrave sa libre circulation à travers les différentes régions libanaises, un point considéré vital et stratégique pour le parti. « Depuis quand la route vers Jérusalem passe par le Ring ? » ironise un avocat qui tient à rappeler que lorsque les tentes ont été brûlées à la place des Martyrs, les routes n’étaient pas bloquées. « Ce qui n’a pas empêché les sympathisants du parti d’envahir la place », dit-il.
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Laissez passer, laissez faire
« Même si le Hezbollah n’a pas donné de directives claires aux hommes qu’on a vus sur le Ring, il n’en reste pas moins qu’il a certainement fermé l’œil sur ce qui s’est passé », précise M. Kassir. Selon lui, si le parti s’est également abstenu de publier un communiqué, c’est précisément pour laisser les choses dans le vague.
« En définitive, le parti chiite n’est pas fâché de voir des groupes d’individus non contrôlés lâchés contre les manifestants de cette manière pour leur faire peur et freiner leur effervescence », ajoute l’analyste.
Pour un activiste, les provocations au Ring ne peuvent être que l’œuvre du parti chiite, même si ce dernier s’efforce de s’en laver les mains. « Lors du 7 mai 2008, le Hezbollah n’a pas officiellement admis sa participation aux violences. Ce n’est que deux ans plus tard qu’il l’a revendiquée en évoquant une “journée glorieuse”. C’est le style qu’il a l’habitude d’adopter », dit-il. Le 7 mai 2008, des miliciens du Hezbollah avaient pris le contrôle de plusieurs quartiers de Beyrouth après une décision du gouvernement de fermer un réseau de télécommunications du parti. Une décision qualifiée de "déclaration de guerre" par Hassan Nasrallah.
S’il s'est abstenu de commenter les affrontements du Ring, le Hezbollah n’a cependant pas hésité à publier un communiqué virulent hier soir pour stigmatiser le décès dans un tragique accident sur l’autoroute de Jiyeh de deux membres d’une même famille, évoquant un « crime terroriste » dû « aux attaques miliciennes menées par des groupes qui coupent les routes et terrorisent les citoyens innocents ».
En soirée, un rassemblement massif a eu lieu à Moucharrafiyé, dans la banlieue sud, pour dénoncer ce qui s’est produit. Les protestataires, qui arboraient les drapeaux du Hezbollah et d’Amal, ont laissé exploser leur colère contre le mouvement de la révolte et scandé : « Le peuple souhaite un nouveau 7 mai » 2008.
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commentaires (16)
Surprenant que ces résistants n’ont pas scandé « le peuple veut un nouveau Juillet 2006 ». On voit que le moment de gloire gravé dans leur mémoire n’est pas ce que fut la victoire divine.
Cedrus Fidelis
10 h 51, le 27 novembre 2019