Au quarantième jour de la révolte populaire qui agite le Liban depuis le 17 octobre, alors que la formation d’un nouveau gouvernement est retardée et après les troubles qui ont marqué la fermeture du pont du Ring dimanche soir à Beyrouth, la situation de la rue semble s’être encore davantage compliquée. Des appels à la grève générale, à la désobéissance civile et à la fermeture des routes sont régulièrement lancés et plus ou moins respectés, sans toujours faire l’unanimité. Plusieurs activistes interrogés dénoncent les interférences des partis politiques, non seulement en opposition aux manifestants, mais aussi par infiltration dans les rassemblements, avec une intention de ramener cette foule, qui tente de s’élever au-dessus des barrières confessionnelles, à une époque révolue de tensions internes.
Même si la coordination « n’est pas toujours aisée » entre les groupes de la société civile, Mona Fawaz, de Beirut Madinati, assure de l’unanimité « autour de l’engagement total envers la non-violence du mouvement ». Pour ce qui est des appels à la grève générale et la désobéissance civile, qui ne font pas l’unanimité, elle estime qu’ « ils sont le plus probablement lancés par des militants qui perdent patience, notamment les plus jeunes, après quarante jours dans la rue ».
C’est aussi l’avis du général à la retraite Khalil Hélou, membre du Comité de coordination de la thaoura (révolution) qui compte des dizaines d’autres ONG. « Nous avons souhaité que les manifestants ne ferment pas les routes, d’une part parce que c’est une arme à double tranchant, d’autre part parce qu’une telle mesure doit s’intégrer dans un plan plus vaste et avec un objectif précis », dit-il.
Selon Nizar Hassan, du groupe Li hakki, « la fermeture de routes les premiers temps était une stratégie très efficace pour faire tomber le gouvernement et imposer la grève générale sans en faire assumer la responsabilité à quelques individus en particulier ». Il estime qu’à ce stade, « l’escalade politique, en vue de réaliser les objectifs de la révolution, est nécessaire ».
L’un des fondateurs du parti Sabaa, Jad Dagher, pense que « la rue est dans un tel état d’ébullition que le moindre appel à l’action, même si son auteur n’est pas vraiment identifié, peut rencontrer une approbation des manifestants ». Il préconise cependant « les actions conformes à des objectifs précis, comme les rassemblements prévus sur la route de Baabda dans les jours à venir parce que le nœud se trouve au niveau de la présidence ».
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Éviter le clivage 8 et 14 Mars ?
Si les appels à la fermeture de routes n’ont pas toujours d’auteurs précis, ils alimentent parfois l’inquiétude quant à l’infiltration de la révolte par des partis conventionnels. « Sur le pont du Ring, le mouvement de fermeture de la route était infiltré par des membres d’Amal, comme l’ont souligné des témoins, affirme le général Hélou. Ce sont leurs insultes contre les leaders d’Amal et du Hezbollah qui ont attiré l’agression. Et c’est cette agression contre Achrafieh qui a provoqué une réaction de partisans du 14 Mars. »
Comme d’autres activistes, le général Hélou détecte une tentative de ramener les manifestants vers le schisme traditionnel entre 14 et 8 Mars, même s’il fait assumer au deuxième camp la plus grosse part de responsabilité. « C’est comme si le schisme entre 8 et 14 Mars était recréé et qu’on voulait faire glisser la rue dans ce schéma, estime Mona Fawaz. Il s’agit de garder les consciences éveillées, et c’est ce dont les manifestants font preuve. Nous ne sommes ni avec un camp ni avec l’autre : comment dénoncer la situation économique actuelle sans reconnaître la responsabilité de toutes les parties au pouvoir ? »
Pour sa part, Nizar Hassan trouve que « si les tentatives du pouvoir avaient échoué jusque-là, le moment était propice dimanche pour réintroduire la peur des conflits internes dans le cœur des habitants du fait qu’il s’agissait clairement d’une agression des partisans d’Amal et du Hezbollah contre les manifestants, pas d’une confrontation. Et cela a provoqué une réaction de la part de partisans du 14 Mars ». « Mais les révolutionnaires en sont conscients, sinon ils n’auraient pas tenu quarante jours dans la rue », ajoute-t-il.
Jad Dagher n’est pas inquiet outre mesure. « S’il y avait une réelle décision de confrontation avec la rue, le résultat aurait été bien plus dramatique, dit-il. À mon avis, ces partis voulaient transmettre un message aux manifestants, mais ceux-ci ont tenu bon, sans s’éloigner comme c’était le cas avant. »
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Une stratégie « pour favoriser la discorde »
Le fondateur de Sabaa appelle à « garder son sang-froid en cette période délicate ». « Les autorités cherchent à nous embrouiller la vue, comme lorsqu’elles tentent d’inculper des fonctionnaires dans une vaine lutte contre la corruption, afin de protéger les numéros d’un des partis, dit-il. Ce n’est pas notre mission de trouver des solutions mais d’en exiger. Et je crois que les Libanais sont très éveillés et connaissent bien leur pays, les partis traditionnels ne maîtrisent plus du tout la rue. »
« À mon avis, la stratégie des autorités est de retarder la formation d’un gouvernement afin d’augmenter les inquiétudes de la population dans un contexte de crise économique, favoriser la discorde et, par conséquent, imposer le retour à un gouvernement plus conventionnel formé des partis au pouvoir, souligne pour sa part Nizar Hassan. Mais nous ne comptons pas nous laisser faire. Il s’agira de tenir bon dans notre opposition à toutes les parties au pouvoir et à nos revendications d’origine, notamment celles de sortir du système confessionnel qui favorise la corruption et le clientélisme, et changer le système économique qui exploite les contribuables. »
Pour Mona Fawaz, « il s’agit de maintenir un discours très clair sur nos revendications et nos choix en ciblant les institutions qui sont responsables de la crise actuelle, comme la Banque du Liban par exemple ». Elle conclut : « La situation est délicate mais les solutions existent. Rien ne peut se faire, cependant, sans changement politique. »
Enfin, selon le général Hélou, les autorités cherchent à provoquer « un pourrissement du mouvement dans la rue ». « Or, à chaque fois qu’ils commettent des erreurs, ils mobilisent la rue à notre place, estime-t-il. Nous allons vers une catastrophe économique dont les prémices étaient visibles il y a un an déjà. Et à mon avis, nous risquons la confrontation parce qu’il n’y a pas de déblocage en vue. »
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commentaires (4)
nos amis geopliticiens de bas fonds, continuent a croire que le liban est contre les US, il ne l'est pas c'est simple. nous ne voyons pas les USA comme etant une menace pour le liban. Par contre nous voyonns Israel, La Syrie et l'Iran comme etant des enemies de ce petit pays. Donc arretez d'essayer de nous entrainer dans vos calculs geoplitique ce na marchera pas. On se tuent a longueur de journée pour vous faire comprendre que la jeunesse libanaise est eduqués, parle 3 langues et se sent beaucoup plus proches des capitales internationales que de Qom et Kerbala. mais memes ces geopliticiens ne comprendront pas, evidement, ils sont loin du liban et n'y ont jamais veuc, et au final ne sont plus vraiment libanais.
Thawra-LB
14 h 20, le 26 novembre 2019