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Liban - Reportage

À Tripoli, on ne veut plus de milliardaires à la tête du cabinet

Dans la capitale du Liban-Nord, le refus de voir Mohammad Safadi désigné Premier ministre est catégorique.

Sur cette photo datant de juin 2009, une femme passe devant une affiche électorale à l’effigie de Mohammad Safadi, à Tripoli. Anwar Amro/AFP

Dès que les informations ont fuité tard jeudi soir sur une éventuelle désignation de Mohammad Safadi comme prochain Premier ministre, la réponse de la rue tripolitaine n’a pas tardé : des manifestants se sont rassemblés devant le domicile de l’ancien ministre, rue Maarad, et son bureau, sur la place al-Tall, aux cris de « Safadi, dégage ! »

Mais à leur grande surprise, les habitants de Tripoli ont appris le lendemain que l’ancien député de la ville avait fermé définitivement les portes de son bureau en 2018, après avoir pris la décision de ne pas se présenter aux élections législatives. Les manifestants ont également découvert que l’écho de leurs slogans criés devant la maison du milliardaire ne lui est pas parvenu, M. Safadi n’habitant plus à Tripoli depuis des années déjà et vivant entre Amchit et Beyrouth. Ce qui ne joue pas en sa faveur…

Hier après-midi, une ambiance de grisaille planait sur la capitale du Liban-Nord, et la place Abdel Hamid Karamé ou place al-Nour, haut lieu de la contestation depuis près d’un mois, était presque déserte, en raison des pluies torrentielles.

Un homme d’une quarantaine d’années, protégé de la pluie par un parapluie noir, traverse la place. Quand on lui demande s’il est satisfait de l’accord sur une désignation de M. Safadi, sa réponse fuse : « Non ! » Pourquoi ? « Parce que M. Safadi n’a rien offert à la ville de Tripoli et se contente de se présenter successivement aux élections sans que son mandat ne soit particulièrement fructueux. »

Plus de la moitié des habitants de Tripoli vivent au niveau ou sous le seuil de pauvreté, et un quart d’entre eux sont dans une situation d’extrême pauvreté, selon une étude de l’ONU datant de 2015.

L’homme, qui a préféré garder l’anonymat, enchaîne : « Aujourd’hui, nous préférons Saad Hariri à Mohammad Safadi uniquement parce que nous ne voulons pas de gouvernement techno-politique. » Le Premier ministre sortant avait insisté pour former un cabinet exclusivement formé d’experts. Devant le refus de cette formule par le CPL et le Hezbollah, il a préféré jeter l’éponge. Et de poursuivre : « Nous voulons un gouvernement technocrate non affilié aux partis politiques. » Selon lui, M. Safadi est connu pour son implication dans des affaires de ventes d’armes entre la Grande-Bretagne et l’Arabie saoudite. « Nous ne voulons plus de tels profils pour les postes de responsabilité », commente-t-il. Avant qu’il n’ait le temps de reprendre son souffle, Abdel Rezzak el-Hilal, âgé de 57 ans, l’interrompt : « Tous veut dire tous ! lance-t-il en référence à l’un des slogans majeurs de la mobilisation. Nous ne voulons ni Hariri ni Safadi. » Pour M. Hilal, la révolution du peuple libanais sera victorieuse, et c’est à ce moment-là que le peuple choisira son Premier ministre. Et de poursuivre : « Tout Premier ministre qui sera désigné par cette même classe politique continuera à faire fortune aux dépens des intérêts du peuple qui croule sous le poids de la misère et de la pauvreté. »


(Lire aussi : Une double dose de provocation, l'éditorial de Issa GORAIEB)


Rejet de la classe politique

Mohammad el-Kurdi, 33 ans, abonde dans le même sens. « Nous n’avons pas réussi à obtenir la démission du cabinet Hariri pour que M. Safadi prenne la relève », lance le jeune homme. « Je ne dis pas que M. Safadi est pire que Hariri ou l’inverse, il se peut qu’ils soient tous les deux bons, mais à quoi leur bonté peut-elle me servir s’ils ne travaillent pas comme il faut ? » ajoute-t-il. Qui aimerait-il voir à la tête du prochain gouvernement ? « Peu m’importe du moment qu’il ne fasse pas partie de l’establishment politique », répond M. Kurdi.

En ce temps pluvieux, Amer el-Eidi, un commerçant âgé de 45 ans, a trouvé refuge sous l’une des tentes installées sur la place al-Nour et destinées à servir d’espace public pour les débats et les discussions entre les manifestants. Lui aussi refuse catégoriquement la désignation de Mohammad Safadi en tant que prochain Premier ministre « parce qu’il fait partie de la classe politique contre laquelle les manifestants luttent ». Préfère-t-il Saad Hariri ? « Bien sûr que non, nous ne voulons plus que la politique et la gestion de l’État continuent à ressembler à celle du promoteur Jihad el-Arab, proche de M. Hariri », répond-il d’un ton déterminé. Et Amer el-Eidi de poursuivre : « Nous voulons un Premier ministre indépendant, patriotique, honnête et intègre. » « Les responsables en charge de l’État doivent comprendre également qu’il n’est pas nécessaire que le Premier ministre soit milliardaire pour qu’il puisse gérer le cabinet », lance-t-il avant d’enchaîner : « Pourquoi n’optent-ils pas pour une personne éduquée et cultivée et qui rassemble le peuple ? » Selon lui, la classe politique continue à faire des choix en faisant fi des manifestants qui protestent depuis près d’un mois. Et de conclure sur un ton ferme : « Si M. Safadi est officiellement désigné Premier ministre, la réaction de la rue libanaise en général et tripolitaine en particulier sera plus ferme cette fois-ci parce qu’il est inacceptable qu’on aboutisse à ce résultat après trente jours de mobilisation. »


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