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Liban - Protestations

« Non à une justice politisée », scande la mère d’Éliane Safatli, devant le Palais de justice

L’assassin de la jeune femme court toujours. La Cour de cassation l’a pourtant condamné à une peine de 12 ans de prison.

Grace réclame justice pour sa fille, Éliane Safatli, tuée en 2015 à la sortie d’une boîte de nuit. Photo A.-M.H.

Elle promène le portrait de sa fille Éliane Safatli d’une manifestation à l’autre, inlassablement, depuis le début de la révolte. « Votre Excellence le ministre de la Justice Salim Jreissati, ne m’oubliez pas », dit l’affiche qu’elle brandit devant les caméras, signée du nom de sa fille, tuée par balle en 2015 à Kaslik, à l’entrée d’une boîte de nuit. Grace Féghali réclame justice pour sa fille, ce mardi matin, aux côtés des manifestants qui bloquent l’entrée du Palais de justice de Beyrouth, côté Sami el-Solh. Aux côtés du portrait de la jeune victime qui fêtait alors ses 20 ans, la photo d’une arme, comme celle qui lui a ôté la vie en cette triste nuit de janvier. Comme celles qui continuent d’ôter des vies tous les jours, en l’absence de contrôle sur la détention d’armes à feu et d’une justice impartiale qui protège les citoyens.


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L’assassin n’a purgé que deux ans et demi de prison

« Je réclame une justice indépendante, non politisée et non corrompue, qui fasse son travail et rende justice aux citoyens », martèle cette mère meurtrie. Meurtrie parce que l’assassin de sa fille, Hassan Ahmad Hamiyé, « un militaire de l’armée, proche d’Amal et du Hezbollah », a été libéré après seulement deux ans et demi de prison. Empêché d’entrer dans la boîte de nuit par l’homme chargé de la sécurité, il avait tiré en direction de la foule, rappelons-le. « Éliane a reçu la balle dans la bouche, dit-elle dans un souffle. Et son assassin n’a purgé que deux ans et demi de prison. » La famille a pourtant refusé la première décision de justice et s’est pourvue en cassation, réclamant la réouverture du procès. Elle a même obtenu gain de cause. Mais le prisonnier a été libéré. « Ils ont prétendu que la décision de la Cour de cassation n’avait pas été transmise à temps au centre carcéral de Zahlé où le meurtrier était détenu », dénonce Mme Féghali. « Ils ont aussi prétendu que le rapport du médecin légiste déterminant la cause du décès avait été volé, diffusant leur propre version des faits en assurant que la balle avait atteint Éliane par ricochet », gronde-t-elle. La cour criminelle condamne finalement le meurtrier à 12 ans de prison par contumace. Mais ce dernier est déjà loin. Il court toujours.

« Qui a signé la libération de l’assassin de ma fille ? Est-ce possible de protéger un assassin ? » s’interroge cette mère éplorée. Grace Féghali se demande ce que sont devenues les promesses du ministre Salim Jreissati de prendre personnellement en main le dossier d’Éliane. Lorsque la jeune femme a été tuée, il n’était pas encore ministre de la Justice. « Il m’avait promis de s’en occuper comme s’il s’agissait de sa propre fille, rappelle-t-elle tristement. Mais s’il le voulait vraiment, il l’aurait fait. »

Depuis que le coupable est en fuite, Grace Féghali multiplie les visites et les messages aux hommes politiques pour demander que justice soit faite. Elle n’a épargné personne, ni le chef de l’État ni les ministres, interpellant même récemment le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Sans résultat. « Ma voix est arrivée partout, mais les politiciens libanais ne l’ont pas entendue », déplore-t-elle. Elle milite désormais au sein de l’ONG « Ma Tensouna » contre le port illégal d’armes, et pour que l’État ait l’exclusivité de la force armée. Mais l’assassin de sa fille est toujours en liberté. « Pourquoi dois-je mendier la justice pour ma fille assassinée ? » crie-t-elle, dénonçant une situation de non-droit, de non-État, d’injustice et d’impunité, qui résulte « de la politisation de la justice et de la prolifération de l’armement illégal ». Car la famille d’Éliane n’est ni riche pour payer des pots-de-vin ni politisée pour quémander une influence partisane ou communautaire. Elle est surtout respectueuse de la justice. Elle ne peut donc s’empêcher de montrer du doigt une justice politisée. « Le rapport du médecin légiste se serait-il évaporé, autrement ? » s’interroge Grace Féghali.


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Pour une justice indépendante et équitable

Autour d’elle, les protestataires postés devant l’entrée du Palais de justice continuent de scander leurs slogans pour une justice indépendante, équitable et sans corruption. Ils appellent les partis politiques à mettre un terme à leurs interventions et les juges à faire preuve de courage et taper du poing sur la table. « Nous voulons renforcer la justice et non l’affaiblir », lance l’un d’eux, Adel Ibrahim. « D’où la nécessité que les citoyens nous rejoignent et viennent grossir les rangs des manifestants », renchérit Hayat Nazer. La militante insiste par le fait même sur « l’importance des élections de l’ordre des avocats », prévues ce dimanche 17 novembre.

En ce début d’après-midi, les manifestants, encore à fleur de peau, s’apprêtent à se disperser pour se rendre vers le centre-ville de la capitale. Il faut dire que la matinée a été chaude, marquée par des altercations et un échange d’insultes entre quelques militants et une poignée d’avocats. « Trois jeunes militantes ont été bousculées et insultées par des hommes en colère qui se sont présentés comme étant des avocats. L’une d’entre elles a été giflée et une autre a reçu une bouteille d’eau sur la tête », raconte un manifestant. « Nous avions pour objectif de bloquer l’accès au Palais de justice, ajoute Sara, l’une des femmes concernées. Et lorsque nous avons constaté que les juges passaient par la cafétéria de la Maison de l’avocat pour rejoindre le palais, nous avons aussitôt fermé l’accès à la Maison de l’avocat. Ce qui n’a pas plu à un automobiliste qui m’a insultée et bousculée... » Les choses ont quelque peu dégénéré. Mais elles sont rapidement rentrées dans l’ordre. Solidaires des manifestants qui promettent de porter plainte, quelques avocats s’affairent. « Après tout, nous sommes aussi le peuple et réclamons l’indépendance de la justice », conclut l’avocate Hiba Farhat.


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