Le président Michel Aoun lors d'un entretien retransmis sur les différentes chaînes de télévision libanaises, mardi 12 novembre 2019. AFP PHOTO / HO / DALATI AND NOHRA
Le président libanais, Michel Aoun, a affirmé mardi soir, lors d'un entretien retransmis sur les différentes chaînes de télévision libanaises, que "le prochain gouvernement devrait être techno-politique", composé d'experts et des représentants des partis traditionnels, dans la mesure où le pays passe par une situation difficile qui exige des décisions que devraient prendre des politiques. "Un gouvernement de purs technocrates ne pourra pas définir la politique du pays, a déclaré le président. Mais nous n'aurons pas un nouveau cabinet qui ressemble au cabinet sortant et sous les mêmes conditions. Je suis donc pour un gouvernement techno-politique".
Ces propos interviennent alors que les tractations politiques traînent depuis la démission, le 29 octobre, du Premier ministre Saad Hariri, sous la pression d'un mouvement inédit de contestation contre la classe dirigeante accusée de corruption, entré dans son 27ème jour. Cette démission est intervenue malgré l'opposition claire du Hezbollah. Les milieux proches du président Aoun, reprochaient de leur côté à Saad Hariri d'avoir pris le chef de l’État par "surprise", en affirmant que la décision de démissionner n'avait pas été coordonnée au préalable avec le palais de Baabda. Le départ du cabinet n'a pas calmé les protestataires qui réclament encore la chute de toute la classe politique, accusée de corruption, la formation d'un cabinet de technocrates indépendants des forces politiques et de nombreuses autres revendications d'ordre socio-économique.
La rue en colère
Avant même la fin de l'interview, des dizaines de protestataires ont d'ailleurs exprimé leur colère en coupant la voie-express du Ring, à Beyrouth, à l'aide de pneus en feu, scandant : "Désobéissance civile demain!" Toujours dans la capitale, des protestataires ont coupé la route au niveau de la Cité sportive ainsi que dans le quartier Verdun. Ailleurs dans le pays, dans le secteur de Chevrolet, à la lisière de Beyrouth, des manifestants ont bloqué la route. L'autoroute reliant Beyrouth au Sud, au niveau de Jiyé et de Naamé, a aussi été coupée, ainsi que la route de Dahr el-Baydar, reliant le Mont-Liban à la Békaa. Toujours dans la Békaa, la route de Saadnayel-Taablabaya a été coupée. Dans le Metn, la route de Jal el-Dib et de Zalka ont été coupées ainsi que l'autoroute Beyrouth-Nord au niveau de Nahr el-Kalb. A Tripoli, des protestataires ont bloqué l'autoroute menant au Liban-Nord.
Dans son interview, le président a appelé les protestataires au dialogue "afin de mener les réformes nécessaires, combattre la corruption et édifier un État". Le président avait lancé un appel dans le même sens lors d'un discours prononcé à l'occasion du mi-parcours de son mandat et lors d'une manifestation de partisans aounistes il y a deux semaines au palais de Baabda. "J'ai appelé à rencontrer les protestataires, mais je n'ai jamais eu de réponse", a-t-il dénoncé. Et de poursuivre : "Comment envisager une solution à cette crise si dans les rangs des protestataires il n'y a personne qui veuille dialoguer ?".
Et de poursuivre : "Les fermetures des routes et des institutions publiques et la suspension des cours paralysent le pays", a-t-il dénoncé. Et de poursuivre : "Nous avons bien entendu vos revendications et vos appréhensions mais ne détruisez pas le pays et cessez d'assiéger les institutions publiques". "S'ils ne veulent pas d'une personne intègre au pouvoir, qu'ils émigrent, a encore lancé le président. Qu'ils revoient mon passé et qu'ils restent avec moi si ce passé leur plaît, sinon c'est moi qui partirais". Ces propos ont suscité un tollé sur les réseaux sociaux.
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Saad Hariri "hésite"
A la question de savoir si les consultations parlementaires contraignantes pour nommer un Premier ministre allaient avoir lieu jeudi ou vendredi, M. Aoun a répondu : "C'est vrai, mais cela dépend des réponses que nous attendons des personnes concernées. Si nous n'obtenons pas de réponses, nous pourrons retarder les consultations de quelques jours, mais beaucoup d'obstacles ont déjà été levés".
La présidence avait justifié le retard dans l'annonce de la date des consultations parlementaires par la volonté de M. Aoun de mener des tractations préalables entre les différentes formations politiques afin de préparer la "formule" selon laquelle sera formé le futur cabinet. Les discussions butent notamment sur la question de la mise sur pied d'un gouvernement composé uniquement de technocrates, comme le réclame la rue, alors que certains partis, comme le Hezbollah et le Courant patriotique libre, prônent un gouvernement "techno-politique". La place dans le futur gouvernement du chef du Courant patriotique libre et ministre sortant des Affaires étrangères Gebran Bassil, figure particulièrement conspuée par les manifestants, pose également problème.
A la question de savoir si M. Bassil fera partie du prochain cabinet, le président a répondu : "Il lui revient de décider. Mais, dans un système démocratique, personne ne peut mettre un veto sur le chef du plus grand groupe parlementaire chrétien". Il a en outre estimé qu'il était compliqué de nommer des ministres sans aucune affiliation politique, comme le demande le chef des Forces libanaises Samir Geagea. "Où vais-je les trouver ? Sur la lune ? Existe-t-il des Libanais qui ne sont affiliés à aucun parti politique ?", a-t-il ironisé.
M. Aoun a indiqué que "des raisons personnelles poussent Saad Hariri à hésiter de reprendre le poste de Premier ministre". "Personne ne peut lui en vouloir", a-t-il dit, soulignant "ne pas pouvoir décider lui-même qui sera président du Conseil avant les consultations parlementaires contraignantes".
Le chef de l’État a par ailleurs affirmé que la question de la place du Hezbollah dans le futur cabinet "peut être résolue". Le parti chiite "respecte la résolution 1701 de l'ONU", a-t-il souligné, précisant que les sanctions financières imposées au parti chiite impactent tous les Libanais. Il a souligné que le Hezbollah "ne fait que se défendre" et "personne ne peut m'obliger à prendre mes distances avec un parti qui représente un tiers du peuple libanais".
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Les réformes et la corruption
Le chef de l’État a critiqué le slogan "Tous sans exception", populaire lors des manifestations, estimant qu'il y avait au pouvoir des gens compétents qui pouvaient mettre en œuvre le plan nécessaire pour sortir le pays de la crise. Ce plan contient trois grands axes, a-t-il souligné : la lutte contre la corruption, la sortie de la crise économique et l'établissement d'une société civile. "Si nous travaillons sur ces trois points, nous pouvons construire un État", a-t-il déclaré. Il a dans ce contexte préconisé "la formation d'un gouvernement qui aura le courage de lutter contre la corruption et pourra mettre en application un plan économique". Il a en outre estimé qu'il faudra du temps à la société pour pouvoir "changer ses pratiques et coutumes".
Sur le plan de la lutte contre la corruption, le président Aoun a affirmé que désormais "tout le monde sait où en sont les dossiers de corruption", précisant que de nouveaux juges "dignes de confiance" avaient été nommés pour juger ces affaires. Il a souligné avoir rappelé aux magistrats, lors d'une réunion avec le Conseil supérieur de la magistrature, qu'ils "ne sont pas des responsables politiques" et devaient procéder à ces nominations "sur base des compétences et de l'éthique". "La première cause de la corruption dans la justice est l'ingérence politique", a-t-il ajouté, estimant qu'il était temps de mettre en œuvre des réformes pour venir à bout du "délabrement" du corps judiciaire.
"Ne pas se ruer sur les banques"
Concernant la crise économique que traverse le pays, due notamment à la limitation de la circulation du dollar sur le marché, le président Aoun a exhorté les Libanais "à ne pas se ruer sur les banques" pour retirer leurs fonds et "aggraver la situation". "Vous pourrez récupérer vos fonds et nous allons résoudre cette crise", a-t-il déclaré. Il a dans ce contexte indiqué "avoir confiance" dans le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé.
Évoquant enfin sur la question des réfugiés, Michel Aoun a dénoncé l'intention de l'Europe de "chercher à intégrer les réfugiés syriens dans la société libanaise". Il a réitéré son appel à "un retour des réfugiés dans leur pays", regrettant que la communauté internationale lui répond toujours qu'il faut attendre une solution politique en Syrie. "Les réfugiés syriens ont fui pour des raisons de sécurité, ils ne sont pas des réfugiés politiques, il ne faut donc pas attendre une telle solution", a-t-il insisté, soulignant que l'économie libanaise souffre de leur présence.
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michel aoun a parfaitement raison, sauf qu'il a "oublie" de preciser que, les decision "reussies" par le gouvernement demissionnaire sont justement celles qu'il n'a pas prises. au moins elles ont la chance de na pas etre sabordees apres coup.
17 h 07, le 16 novembre 2019