Le monde est devenu un grand village depuis la chute de l’empire soviétique. Mondialisation oblige… Une mondialisation à laquelle vient se greffer l’impact phénoménal des réseaux sociaux, ce cinquième pouvoir, après celui de la presse écrite et des médias audiovisuels. Un grand village, certes… Mais le Liban mériterait peut-être aujourd’hui, dans ce monde en pleine ébullition, un statut particulier, semblable quelque peu – si l’on se permet cette image – à la légende du village d’Astérix ! Du moins, les Libanais devraient œuvrer à s’engager sur cette voie, après avoir subi pendant des décennies les « guerres des autres » sur leur territoire…
Le pays du Cèdre célébrera l’an prochain le centenaire de la proclamation du Grand Liban. L’occasion de se rappeler que cette naissance au forceps, en 1920, a été suivie d’une série de grands bouleversements qui ont ponctué la période post-indépendance de 1943 et qui ont illustré à quel point le Liban est depuis plus de 75 ans régulièrement otage de crises et d’ingérences régionales. Celles-ci l’ont empêché en permanence de jouir d’une période de sérénité et de paix civile durables, indispensables pour lui permettre de trouver son équilibre interne et de définir un consensus sur les moyens de gérer son pluralisme et de consolider ses spécificités nationales.
Sans remonter à l’époque de l’empire ottoman, les longues décennies d’instabilité chronique post-43 ont débuté avec la première « guerre civile » de 1958 sous le poids de la montée en flèche du nassérisme qui se posait en héraut du nationalisme arabe. Entre la sensibilité purement libaniste et la voie tracée par Nasser (allié du camp soviétique), la rue sunnite avait opté pour le second cas de figure, provoquant la première secousse de 58, d’autant que le président Camille Chamoun avait adhéré de son côté à la doctrine Eisenhower, visant à protéger les pays du Moyen-Orient de tout « danger procommuniste ».
Cette propension à faire prévaloir les considérations régionales au détriment des impératifs de la stabilité interne se manifestera une nouvelle fois à la fin des années 60 et au début des années 70, lorsque les organisations palestiniennes armées imposeront leur présence militaire au Liban, créant progressivement un État dans l’État et jouant sur les contradictions locales en soutenant une faction contre l’autre. Une bonne partie des Libanais prendra alors fait et cause – et avec acharnement– pour l’OLP contre l’État, occultant totalement les graves conséquences d’une telle attitude sur le fragile équilibre interne.
Même scénario à l’époque de l’occupation syrienne, lorsqu’une faction non négligeable de l’establishment politique adoptera une attitude vichyste en se soumettant au fait accompli imposé par le régime Assad, sous couvert d’établissement de « relations privilégiées » entre les deux pays. Il faudra attendre la révolution du Cèdre du printemps 2005 pour que le slogan « Liban d’abord » devienne un leitmotiv transcommunautaire, non seulement entre les leaders mais surtout au niveau de la base populaire. Mais c’était sans compter l’orientation transnationale du Hezbollah, lequel est parvenu, par la force des baïonnettes, à verrouiller la communauté chiite et à donner un sérieux coup de frein au projet libaniste du 14 Mars.
La doctrine théocratique du Hezbollah – définie au milieu des années 80 – impose au parti chiite une allégeance totale et inconditionnelle au guide suprême de la Révolution islamique iranienne pour toutes les questions d’ordre stratégique. La priorité absolue pour le parti de Dieu est de servir la raison d’État du pouvoir des mollahs iraniens, quelles que soient les conséquences. Le Liban, la sauvegarde de la stabilité et des équilibres internes, la croissance économique, l’aspiration des Libanais à vivre une vie normale, ce ne sont pour le Hezbollah que de menus détails face aux impératifs de la stratégie régionale de l’Iran. Encore une fois, l’allégeance à une cause étrangère prend le dessus sur les intérêts et les aspirations de la population libanaise.
Dans le contexte de la présente révolte populaire, la formation d’un gouvernement regroupant des ministres intègres et non affiliés à des partis est un passage obligé pour un redressement de la situation. Sauf que l’action d’une telle équipe ministérielle ne tardera pas à être torpillée si le Hezbollah continue d’adopter une posture guerrière permanente qui sape la confiance des instances internationales et des pays arabes dans le Liban.
Au cours des 75 dernières années, les Libanais, ou du moins une grande partie d’entre eux, n’ont cessé de faire le jeu des forces régionales. À la faveur de la révolution du Cèdre, le slogan « Liban d’abord » et l’option d’une politique de neutralité positive du Liban vis-à-vis des conflits externes ont fini par prévaloir ou, tout au moins, par être à portée de main. Le Hezbollah reste la seule faction locale à faire obstruction, pour servir son parrain iranien, à l’aspiration de la population libanaise à jouir d’une réelle paix civile durable. Tout pouvoir, aussi idéal soit-il, finira par être inhibé dans son action si le Hezbollah s’obstine à ne pas se replier politiquement sur l’option libanaise. Occulter cette dimension fondamentale de la crise reviendrait à réduire malencontreusement la portée et l’aboutissement du soulèvement populaire enclenché le 17 octobre.
nous voulons bien emigrer mais quels pays accepteraient de recevoir des millions de libanais ne vaudrait il pas mieux que le president emigre
15 h 13, le 13 novembre 2019