Il est 13 heures dans la banlieue sud de Beyrouth. Dans les rues labyrinthiques de Haret Hreik, il faut faire preuve de dextérité pour se frayer un chemin en voiture. Des femmes font leur marché, de jeunes hommes se font tailler la barbe de près et des magasins « one dollar » exposent à la vente des dizaines de drapeaux du Hezbollah, et quelques drapeaux libanais, à même le trottoir. C’est un jour comme un autre. Rien ne laisse à penser qu’une partie des habitants de cette banlieue chiite participe aux protestations qui secouent le pays depuis 26 jours, mettant le Hezbollah dans une position compliquée. « Tu ne peux pas venir à Dahyeh et faire un microtrottoir. Ici, on ne peut discuter de la situation qu’entre quatre murs, autour d’un café », explique un habitant qui souhaite, sans surprise, garder l’anonymat.
Mona*, 69 ans, et Hassan* 75 ans, sont allés manifester sur la place des Martyrs dès les débuts de la révolte. Pour ce couple de retraités de gauche, le « réveil de la nation » a quelque 20 ans de retard. « On a tous participé à ce système pourri et on a continué à élire les mêmes partis en connaissance de cause », disent-ils, précisant avoir voté pour des candidats de la société civile lors des dernières élections législatives en mai 2018. Quelques rues plus loin, chez les Awada*, on attend le discours de Hassan Nasrallah prévu à 14h30. « Pourquoi tu as mis la LBC ? Non mais mets une chaîne… Enfin, tu vois, une chaîne qui retransmet le sayyed », lance le père à son fils. La famille partage les griefs des manifestants et veut que soient combattus la corruption et le clientélisme, dont elle a fait les frais. M. Awada, diplômé en génie électrique, n’a jamais pu obtenir un poste à Électricité du Liban, parce qu’il n’est connecté à aucun parti. « J’ai perdu un de mes trois fils », renchérit l’épouse qui raconte que faute de perspective professionnelle dans le pays, ils ont dû envoyer leur fils aîné suivre un doctorat en France. Le cadet, Rabih*, 20 ans, dit être allé manifester dans les rues du centre-ville les premiers jours. « Ensuite, c’est devenu n’importe quoi, des gens insultaient le sayyed et buvaient de l’alcool. La plupart de mes amis continuent d’y aller, mais sans le crier sur tous les toits », confie-t-il en aparté. « Il y a trop d’insultes dans les manifestations, les gens ne peuvent pas y aller avec leurs enfants », déplore Mme Awada. Dans quelques minutes, le leader du Hezbollah va prendre la parole. « On attend de son discours qu’il soit différent et déterminant cette fois-ci, parce qu’après trois semaines, le pays est au bord du précipice », espère le père de famille.
(Lire aussi : Nasrallah muet sur le gouvernement « parce que les discussions sont en cours »)
Ligne rouge
15 heures, dans un café situé à la limite entre Haret Hreik et Hadeth. Une soixantaine d’hommes sont assis par petites grappes autour de tables et fument le narguilé dans un silence quasi monacal. Les yeux sont braqués sur trois écrans qui retransmettent le discours du sayyed. « Ne pose pas de question, écoute, c’est tout », prévient un habitant. Comme à son habitude, Hassan Nasrallah se montre brillant orateur. Le leader chiite alterne les références religieuses et les positionnements politiques, se pose en acteur régional en parlant pendant une dizaine de minutes du Yémen et de l’Iran et explique pourquoi le Liban devrait « s’ouvrir à la Chine ». Après 45 minutes, il en vient enfin à la situation libanaise. Là, une fois n’est pas coutume, il reste dans le vague. « Gardons nos portes ouvertes afin de parvenir au meilleur résultat », se contente-t-il de préciser concernant les tractations gouvernementales.
Le Hezbollah est coincé entre sa volonté de ne pas aller contre la volonté populaire, notamment de sa base, et sa peur de perdre une partie de son pouvoir.
(Lire aussi : À Nabatiyé et à Tyr, « une troisième force » dont il faut tenir compte)
Les précédents discours du secrétaire général ont tout de même fait leurs effets. « Au début, j’étais motivée par le mouvement, mais après son premier discours ça m’a calmée. Je comprends les revendications, mais je suis contre le fait de manifester », affirme Samar*, 26 ans, employée dans un espace de jeux pour enfants. Le slogan « Kellon yaani kellon », ne passe pas dans la banlieue sud, l’image de Nasrallah restant celle d’une personnalité sacrée et incorruptible. « Il y a des gens auxquels on ne doit pas toucher, comme le sayyed. Et puis si on les vire tous, il restera qui ? » s’interroge Mme Awada. D’autres reprennent mot pour mot le discours du parti, mettant en doute la spontanéité du mouvement. « Tout ça est dirigé contre le Hezbollah. Les gens veulent instaurer un gouvernement de technocrates pour pouvoir mettre la main sur nos armes », commente Ali*, 37 ans, un habitant de Chiyah. Samar n’a pas eu le temps d’écouter le discours, même si les clients ne se bousculent pas au portillon. « De toute façon, quoi qu’il dise, il a toujours raison. Il fait tellement pour ce pays et il a donné son fils pour sauver le Liban. Les Américains veulent nous détruire, comme ils ont fait en Irak ou en Syrie », estime la jeune femme.
Il est 16h30 dans le café de Haret Hreik. Le Sayyed vient de terminer son discours et dans un même élan, les jeunes hommes se lèvent et libèrent la place.
*Les noms ont été changés à la demande des intéressés.
Lire aussi
24 heures devant EDL pour réclamer du courant électrique 24h/24
commentaires (7)
Si le Liban va toujours économiquement chuter , les libanais jureront tous au nom du Pain pour subsister .
Antoine Sabbagha
19 h 18, le 12 novembre 2019