Alors que la rue continue de crier sa colère, surprenant la classe politique par la diversité de ses revendications et par la mobilisation des jeunes en quête d’un avenir dans leur pays, des tractations discrètes se déroulent entre les différents pôles politiques pour accélérer le processus de formation du gouvernement. Mais au 21e jour du déclenchement du vaste mouvement de protestation, les blocages politiques restent nombreux, même si un dialogue sérieux a déjà commencé.
En effet, après la longue rencontre de quatre heures lundi entre le Premier ministre démissionnaire, Saad Hariri, et le chef du bloc du Liban fort (dont le Courant patriotique libre est la principale composante), Gebran Bassil, une autre s’est déroulée hier pour compléter le débat. Selon des sources proches du CPL, c’est la preuve que les discussions entre les deux hommes et ce qu’ils représentent sont en train d’avancer dans le bon sens, c’est-à-dire vers un accord, même si tous les obstacles n’ont pas encore été aplanis. Plusieurs options sont en train d’être étudiées.
Mais avant d’entrer dans les détails, il faudrait procéder à un petit retour en arrière. Depuis le déclenchement du mouvement de protestation, le chef de l’État, Michel Aoun, et M. Hariri étaient en contact permanent pour tenter de trouver des solutions. C’est dans ce contexte que le Premier ministre avait décidé, au bout de 72 heures, de ne pas démissionner et avait présenté un document de réformes imminentes.
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La rue avait alors jugé ce document insuffisant en raison notamment de la profonde crise de confiance envers les dirigeants. D’autres options avaient alors commencé à être évoquées. D’abord, il a été question d’un remaniement ministériel qui devait couvrir, outre le remplacement des quatre ministres démissionnaires des Forces libanaises, quatre autres ministres de différents bords. Mais l’idée s’est heurtée au refus des autres parties de renoncer à un de leurs ministres, dont, à titre d’exemple, Ali Hassan Khalil, Waël Bou Faour, Mohammad Choucair et d’autres. Comme s’il s’agissait de faire assumer au ministre Bassil seul la responsabilité de la révolte populaire. L’idée a donc été abandonnée et les discussions se sont dirigées vers la formation d’un nouveau cabinet.
C’est à ce moment-là que le Premier ministre a pris ses partenaires de court en annonçant la démission de son gouvernement.
Pour le chef de l’État et son camp, mais aussi pour le Hezbollah et le président de la Chambre, Nabih Berry, le choc a été rude. D’autant que l’option était en train d’être étudiée, mais il s’agissait essentiellement d’agir de concert et non en solo.
Le président et son camp ont donc perçu cette démission comme si elle était dirigée contre eux. Ils ont laissé le président de la Chambre et le Hezbollah poursuivre un dialogue discret avec le Premier ministre démissionnaire pour tenter de trouver des solutions, d’autant que l’annonce de la démission avait donné un nouvel élan au mouvement de protestation.
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Selon les informations recueillies, le Premier ministre n’aurait plus supporté la pression de la rue, d’autant que dans les rangs de ses partisans, qui n’avaient jusque-là pas participé au soulèvement populaire, la grogne ne cessait de monter. Il n’avait plus d’autre choix que de démissionner en donnant à cette décision l’aspect d’une rébellion pour calmer d’abord ses partisans. Ceux-ci sont d’ailleurs descendus dans la rue pour réclamer sa désignation à la tête du nouveau gouvernement.
Cheikh Saad pensait dès lors pouvoir négocier son retour en position de force à la tête d’un gouvernement de technocrates. Le président de la Chambre a retenu de cette attitude le désir de négocier et donc de nouer un dialogue. Mais le Hezbollah a eu une autre interprétation. Selon des sources proches de ce parti, le fait pour Hariri de présider un gouvernement de technocrates équivaudrait à remettre entre ses mains toutes les décisions politiques, puisqu’il serait la seule figure politique du gouvernement. Ce serait donc en quelque sorte un retournement contre les rapports de force politiques établis après les élections législatives de 2018, ainsi qu’un retournement contre la tradition qui prévaut dans la formation des gouvernements depuis Taëf.
Face à ces positions antagonistes, le directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim a repris du service pour pousser Hariri et Bassil à renouer le dialogue. C’est ainsi qu’une première rencontre a eu lieu lundi à la Maison du Centre et a duré quatre heures. Une deuxième rencontre a eu lieu hier, pour poursuivre les discussions. Selon les sources proches du CPL, la première rencontre a permis de rompre la glace entre les deux hommes dont les relations sont passées par des hauts et des bas, et la seconde a permis d’entrer plus directement dans le vif du sujet. Deux formules seraient ainsi envisagées. Si Saad Hariri insiste sur un gouvernement de technocrates indépendants, il devrait donc choisir une personnalité pour le présider. Il aurait été ainsi question de Raya el-Hassan, l’actuelle ministre sortante de l’Intérieur. Bien qu’elle ait globalement fait l’unanimité, elle n’en reste pas moins membre du bureau politique du courant du Futur. Il aurait été aussi question de l’ancien ambassadeur du Liban aux Nations unies, Nawaf Salam, actuellement juge à la Cour internationale de justice. Si, en revanche, Saad Hariri souhaite présider le gouvernement, il s’agirait alors d’un gouvernement mixte, formé de technocrates et de personnalités politiques. En principe, tout le monde est d’accord pour que des représentants du mouvement de protestation intègrent un gouvernement de 24 membres. Mais il faudrait pour cela qu’ils forment une commission pour en discuter avec les responsables. Or le mouvement a préféré jusqu’à présent rester dans l’anonymat, d’abord pour que les personnalités identifiées ne soient pas prises pour cible par les autorités, et ensuite parce qu’il est plus difficile pour les autorités de lutter contre un mouvement dénué de leader.
Les discussions avancent donc dans la plus grande discrétion et si elles aboutissent à un accord minimal, le chef de l’État pourrait fixer avant la fin de la semaine ou au début de la semaine prochaine un rendez-vous pour les consultations parlementaires obligatoires. Derrière le retard dans le déclenchement de ces consultations réside une volonté d’éviter les scénarios habituels de ces dernières années dans le cadre desquels un Premier ministre désigné met des mois à former son gouvernement...
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commentaires (16)
Excellent article qui confirme que la classe politique actuelle est complètement ignorante de ses rôles passés et présents dans l'état actuel déplorable dans lequel notre patrie se trouve. Excellent car il confirme, contrairement à l'intention de Scarlett, que ce même groupe de politiciens nous mène vers un désastre sûr et que son remplacement doit être indiscutable, immédiat et inévitable. Merci Scarlett pour une fois où, tout à la fois, en mal interprétant votre article on comprend la situation.
Wlek Sanferlou
13 h 45, le 07 novembre 2019