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À La Une - Reportage

A Bagdad, un immeuble abandonné est devenu la tour de contrôle de la contestation

"D'ici, on protège les manifestants. On fait du soutien logistique: on prévient nos frères qui manifestent en bas quand les forces se retirent ou avancent".

Le "restaurant turc", vestige de l'époque de Saddam Hussein, est devenu la tour de contrôle de la révolte contre le pouvoir en Irak. Photo AFP / SABAH ARAR

Depuis les hauteurs d'un immeuble à l'abandon, Ezzedine surveille les policiers anti-émeutes sur le pont qui borde la place Tahrir: le "restaurant turc", vestige de l'époque de Saddam Hussein, est devenu la tour de contrôle de la révolte contre le pouvoir en Irak.
"D'ici, on protège les manifestants", assure à l'AFP cet Irakien de 21 ans qui a déserté depuis une semaine sa faculté d'ingénierie pour cause de "révolution". "On fait du soutien logistique: on prévient nos frères qui manifestent en bas quand les forces se retirent ou avancent". Comme lui, la plupart des jeunes de la place Tahrir ont quasiment vu toute leur vie cet immense bâtiment à l'abandon. Dans les années 1980, leurs parents ont mangé un jour au dernier étage dans le "restaurant turc", mais eux ignorent tout de quand il a été construit et ce qu'il était censé devenir. Les plus âgés se rappellent que les Américains l'ont bombardé en 1991, en réponse à l'invasion du Koweït par le dictateur alors au pouvoir en Irak, Saddam Hussein. Après ces frappes, le bâtiment a accueilli la Direction de la Fondation de la jeunesse et des sports, gérée par le fils de Saddam Hussein.

Puis, 22 ans après leur premier bombardement, les Etats-Unis envahissaient l'Irak et frappaient de nouveau le "restaurant turc". En 2003, leurs chars traversaient le pont al-Joumhouriya pour rejoindre la place Tahrir et leurs obus venaient éventrer les murs de la tour de 18 étages situé en surplomb. Aujourd'hui, elle est noire de monde et recouverte par des bannières de tissus et de plastique. Depuis un mois, des dizaines de milliers d'Irakiens réclament jour et nuit "la chute du régime", et ce sont dorénavant les jeunes manifestants qui veulent emprunter le pont al-Joumhouriya, mais dans l'autre sens: pour atteindre la Zone verte où siègent les parlementaires et le Premier ministre Adel Abdel Mahdi qu'ils conspuent.


(Lire aussi : L’Iran bien décidé à sauver sa place en Irak)


"Toujours un oeil sur eux"
Jusqu'ici, des forces de l'ordre postées sur le pont les ont repoussés par des tirs de grenades lacrymogènes meurtrières. Dans cette "bataille pour le contrôle", Dargham, la vingtaine, posté au dixième étage du "restaurant turc", continue de jouer les sentinelles.
"Si les forces de sécurité prennent le bâtiment, les manifestants seront en danger, donc on doit absolument rester ici en permanence. On se relaie pour dormir, certains le jour, d'autres la nuit, comme ça on garde toujours un oeil sur eux", dit-il à l'AFP.
Autour de lui, le dixième étage du bâtiment éventré a des allures de camp de jeunes estivants: certains fument le narguilé, d'autres jouent aux cartes ou somnolent, malgré les slogans s'élevant de la foule en contrebas ou les tirs de grenades lacrymogènes.
Les noms pleuvent pour désigner le bâtiment: "Krak de Bagdad", disent certains, "Jardins suspendus", proposent d'autres amoureux de l'histoire mésopotamienne de l'Irak, "Mont Uhud", renchérissent les plus versés en religion, du nom d'une célèbre bataille à laquelle aurait participé le prophète Mahomet, où, sous peine d'être vaincu, il était aussi question de tenir un point haut.


(Lire aussi : En Irak, le pouvoir paralysé face à une contestation qui entre dans son 2e mois)


"On veut notre pays"
Tous veulent gravir les escaliers exigus du donjon de la place Tahrir, à la lumière de téléphones portables, malgré l'odeur pestilentielle de déchets récemment accumulés.
Sur les murs, certains contemplent ce qui ressemble désormais à une immense fresque contant l'épopée de la contestation. Il y a les photos de "martyrs", --250 personnes ayant été tuées depuis le début du mouvement, dont une majorité de manifestants selon un bilan officiel--, une pancarte proclamant: "On veut notre pays", et même un drapeau libanais au milieu des étendards nationaux, en soutien aux manifestants du pays du Cèdre qui se mobilisent eux aussi contre leur pouvoir.

D'autres tentent un passage plus dangereux. A la force de leurs bras, ils escaladent les échafaudages rouillés qui recouvrent une des façades de l'immeuble.
Ce bâtiment est l'épine dans le pied du pouvoir, veulent croire les manifestants, et l'objet d'un flot de plaisanteries en ligne. L'une d'elles, largement reprise, affirme que M. Abdel Mahdi va bientôt "appeler le président turc Recep Tayyip Erdogan pour lui dire de reprendre son restaurant!".

En 2011, quand des manifestations avaient éclaté contre un autre Premier ministre, Nouri al-Maliki, les forces de l'ordre s'étaient emparées du bâtiment pour observer les manifestants. Cette fois, les manifestants sont en haut et les policiers en bas, note Mouthanna Youssef, 42 ans. "Aujourd'hui, le +restaurant turc+ va vraiment entrer dans l'Histoire: il est devenu le coeur battant des manifestations qui regonfle le moral des protestataires".


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commentaires (1)

Le drame de cette révolution irakienne, comme celle d'un autre pays que nous aimons tous, est l'absence du soutien des intellectuels, comme l'a rappelé le Journal Annahar hier, en citant un article de Kamel Mroué de 1952 dans son journal Al-Hayyat: "les révolutions naissent des mots brûlants". A la révolution française les mouvements des foules n'ont été qu'un résultat de la longue action des écrivains et des journalistes. Or, le discours intellectuel au Moyen-Orient dérange pas son absence, et cède ainsi la place au discours religieux, sectaire et étroit qui plaide en faveur du statu quo. Stable et rassurant la Statu quo !!!

Shou fi

12 h 00, le 03 novembre 2019

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Commentaires (1)

  • Le drame de cette révolution irakienne, comme celle d'un autre pays que nous aimons tous, est l'absence du soutien des intellectuels, comme l'a rappelé le Journal Annahar hier, en citant un article de Kamel Mroué de 1952 dans son journal Al-Hayyat: "les révolutions naissent des mots brûlants". A la révolution française les mouvements des foules n'ont été qu'un résultat de la longue action des écrivains et des journalistes. Or, le discours intellectuel au Moyen-Orient dérange pas son absence, et cède ainsi la place au discours religieux, sectaire et étroit qui plaide en faveur du statu quo. Stable et rassurant la Statu quo !!!

    Shou fi

    12 h 00, le 03 novembre 2019

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