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Moyen Orient et Monde - Focus

Dans l’Irak en révolte, compter les morts est une tâche dangereuse

Un manifestant irakien blessé est traité sur place par les secouristes. Khalid al-Mousily/Reuters

Un mort. Puis cinq. Puis, d’un coup, quarante. Alors que le bilan des manifestations en Irak devenait de plus en plus lourd et les communiqués officiels de plus en plus rares, défenseurs des droits de l’homme et médecins se sont organisés.

Et l’institution qui a pris la tête de ce mouvement était en fait là depuis longtemps... au sein même de l’État : la Commission des droits de l’homme, créée en 2012 par le Parlement et financée par l’État, a entamé le 1er octobre sa mission la plus sensible.

Le premier mort a été annoncé ce soir-là par le ministère de la Santé qui, depuis, est entré dans un long silence, alors que les morts se comptaient par dizaines et les blessés par milliers.

Les victimes tombaient à Bagdad et dans le sud de l’Irak sous le feu de tireurs que les autorités n’ont toujours pas identifiés ou d’un « usage excessif » de la force de la part des services de sécurité.

Avec internet coupé et des médias locaux ne communiquant pas sur ce qui est devenu la crise sociale la plus sanglante de l’Irak post-Saddam Hussein, la commission elle-même s’est retrouvée coupée de ses sources.

Les morgues, les hôpitaux, les commissariats...

« Les ministères de la Santé et de l’Intérieur ont cessé de nous communiquer les chiffres », rapporte Fayçal Abdallah, ancien journaliste ayant rejoint la commission en 2017. La commission est donc allée « dans les morgues compter les morts, dans les hôpitaux les blessés et dans les commissariats les personnes arrêtées ».

Ses bilans parfois grimpaient subitement, certains directeurs d’hôpitaux rechignant longtemps avant de donner des chiffres, expliquent ses membres.

Sans internet pendant deux semaines, ils ont communiqué par SMS. Quand la connexion a été rétablie, ils ont contourné le blocage des réseaux sociaux pour y rester présents. Ils ont aussi décidé de porter plainte contre le ministère de la Santé, l’accusant de vouloir « tromper l’opinion publique ». Entre le 1er et le 6 octobre, le bilan officiel a été établi – deux semaines après la fin des violences – à 157 morts.

Au même moment, l’ONU publiait son propre rapport, évoquant des difficultés à la rédaction à cause de « restrictions » imposées aux hôpitaux publics.

Plusieurs médecins ont décliné les questions de l’AFP, disant avoir reçu des « instructions ». Ceux qui parlent réclament l’anonymat et que ne soit pas mentionné le nom de leurs hôpitaux, car, disent-ils, les forces de sécurité ont donné des ordres. L’un d’eux, exerçant à Bagdad, a rapporté qu’elles avaient ordonné aux ambulances de ne pas sortir le 4 octobre. « Je suis sûr que le bilan des morts est plus lourd que les chiffres officiels », assure-t-il.

Difficile aussi de dénombrer les blessés, abonde la commission, car des dizaines d’entre eux ont été arrêtés dans les hôpitaux. Des témoins ont rapporté avoir vu des hommes armés consigner les identités des patients dans plusieurs hôpitaux de Bagdad. « Beaucoup sont arrivés pour des blessures par balle mais nous ont demandé de leur faire rapidement un bandage et de les laisser repartir car ils redoutaient d’être arrêtés », rapporte un autre médecin à Bagdad.

Ordre de ne pas parler

Le second épisode de manifestations et de violences a débuté il y a une semaine. Une fois de plus, les versions divergent, comme à Kerbala où l’AFP a entendu des tirs à balles réelles dans la nuit de lundi à mardi. La médecine légale a annoncé avoir reçu le corps d’un homme de 24 ans, tandis qu’un médecin faisait état de trois morts dans son hôpital, mais que « tout le monde avait ordre de ne pas parler ». Au matin, les autorités locales affirmaient qu’il n’y avait « pas un seul mort » dans la ville sainte chiite. La commission elle-même n’est parvenue à s’assurer de l’identité que d’un seul mort.

« Avant, on traitait de vieux dossiers, mais aujourd’hui, la situation nécessite une réponse immédiate », affirme Ali Bayati, membre de la commission. D’institution délaissée, sa commission est passée au statut de chien de garde un peu trop vigilant au goût de certains, témoigne ce médecin. « J’ai reçu des appels anonymes avec des menaces », raconte-t-il, assurant que des membres de la commission ont été détenus, tabassés ou menacés. L’existence même de la commission paraît menacée. Pourtant, estime M. Bayati, « la commission pourrait servir de pont » entre autorités et manifestants. « Mais le gouvernement nous le permettra-t-il ? »

Un mort. Puis cinq. Puis, d’un coup, quarante. Alors que le bilan des manifestations en Irak devenait de plus en plus lourd et les communiqués officiels de plus en plus rares, défenseurs des droits de l’homme et médecins se sont organisés.Et l’institution qui a pris la tête de ce mouvement était en fait là depuis longtemps... au sein même de l’État : la Commission des droits...

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