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Moyen Orient et Monde - Irak

Entre Moqtada al-Sadr et Hadi al-Ameri, une alliance à contrecœur

Les leaders des plus importants blocs politiques du pays ont deux stratégies politiques divergentes.


Le leader religieux chiite irakien, Moqtada al-Sadr, s’exprimant lors d’une conférence de presse avec le chef de la Coalition de la conquête ( « Fatah » ), soutenue par l’Iran, Hadi al-Ameri, le 12 juin 2018. Photo Reuters

Ce sont les deux hommes qui décident de l’avenir de l’Irak. Le leader religieux chiite Moqtada al-Sadr et le chef de milice Hadi al-Ameri sont à la tête des deux plus grosses formations politiques du pays : « Sairoun », soit la « Marche pour les réformes », pour M. Sadr, et « Fatah », coalition de milices chiites pro-iraniennes pour M. Ameri.

Après une semaine de manifestations populaires dans tout le pays, ayant déjà tué plus de 100 personnes et blessé 5 500 autres, les deux hommes se sont entendus mardi soir sur la nécessité de « travailler ensemble » à « retirer (leur) confiance » au chef du gouvernement irakien, Adel Abdel Mahdi. À l’heure de mettre sous presse, ce dernier n’avait toujours pas démissionné.

M. Sadr avait exhorté mardi son grand rival politique à se joindre à lui contre le Premier ministre suite au refus de ce dernier d’organiser des élections législatives anticipées. M. Abdel Mahdi avait, dans la foulée, expliqué au clerc tribun que d’organiser de telles élections relevait directement du Parlement irakien et non de sa propre personne. « J’invite (…) Ameri à travailler avec moi pour vous retirer immédiatement notre soutien », a déclaré M. Sadr dans un communiqué, s’adressant directement au chef du gouvernement irakien. M. Ameri a de son côté fait savoir tard mardi soir qu’il était d’accord. « Nous allons travailler ensemble dans l’intérêt du peuple irakien et pour sauver le pays », a-t-il promis. Toujours mardi, dans une déclaration adressée à Sadr, Adel Abdel Mahdi a expliqué que si la solution à la crise irakienne était son éviction, il serait plus facile et plus rapide pour MM. Sadr et Ameri de retirer leur confiance et de prendre en charge un nouveau gouvernement.

Malgré leurs profondes divergences, même leur animosité respective, les deux hommes forts du pays ont besoin l’un de l’autre.

« S’ils ne travaillent pas ensemble, rien ne peut avancer et aucun changement n’est possible (…), presque aucune décision ne peut être prise sans l’aval des deux parties », résume pour L’OLJ Abbas Kadhim, directeur du programme « Irak » au sein de l’Atlantic Council, expliquant que « Moqtada al-Sadr et Hadi el-Ameri cherchent à être vus comme les agents du changement avant que les plaintes des protestataires ne viennent entacher leurs deux images ».

« Sairoun » et le « Fatah » s’étaient déjà, contre toute attente, alliées en juin 2018, un mois après les élections législatives, à l’issue desquelles ils étaient arrivés en première et deuxième place du scrutin. Ils ont œuvré, ensemble, à la formation du gouvernement irakien actuel ainsi qu’à la nomination de Adel Abdel Mahdi comme Premier ministre. Ils n’ont cessé depuis de se provoquer et d’essayer de prendre le dessus l’un sur l’autre.


(Lire aussi : Liban, Irak : Khamenei appelle les protestataires à agir "dans le cadre de la loi")



Deux pouvoirs de mobilisation

En plus d’être à la tête du Hachd el-Chaabi au Parlement irakien, M. Ameri est le chef de l’organisation Badr – autre mouvement politique irakien soutenu par l’Iran – et de son bras armé, la brigade Badr. Il a également une longue relation avec l’Iran dont il a revêtu l’uniforme lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988). « Ameri est connu pour ses liens étroits avec Nouri al-Maliki (ancien Premier ministre irakien favorable à l’Iran) ou encore Abou Mahdi al-Mouhandis (chef adjoint du Hachd el-Chaabi) », note Renad Mansour, spécialiste de l’Irak au sein du Think Tank Chatham House, contacté par L’Orient-Le Jour. L’influence iranienne en Irak est fortement critiquée par les manifestants, ce qui complique la position de M. Ameri, dont la marge de manœuvre dépend surtout du bon vouloir de Téhéran.

De l’autre côté, M. Sadr, connu pour sa versatilité et entretenant des liens étroits avec les dirigeants politiques et religieux iraniens – comme l’a montré sa dernière visite en Iran à l’occasion de la cérémonie religieuse chiite de la Achoura – milite pour une indépendance de l’Irak et base son discours sur une certaine hostilité vis-à-vis de l’ingérence étrangère en terre irakienne. Cela vise surtout les États-Unis mais aussi, même si dans une moindre mesure, la République islamique. Le trublion chiite a axé une grande partie de sa popularité sur la défense des classes populaires face aux élites corrompues. Alors que les manifestations sont nées de façon spontanée, il essaye aujourd’hui de récupérer le mouvement. Il est descendu mardi dans les rues de Najaf, l’une des villes saintes du chiisme, au volant de sa voiture, vêtu de son turban noir, signifiant sa descendance du Prophète, et d’un drapeau irakien sur les épaules. Il ne veut pas assumer l’échec du gouvernement qu’il attribue à la coalition Fatah. « Moqtada al-Sadr dispose d’un large soutien de la population, principalement chiite, irakienne prête à se déployer et à faire des sit-in et des manifestations dès qu’il le demande », résume pour L’OLJ Randa Slim, chercheuse spécialiste de la région au Middle East Institute, expliquant que de son côté « M. Ameri dispose aussi d’un pouvoir de mobilisation, mais surtout armé ». Les milices chiites iraniennes sont à l’origine des tirs de snipers contre les manifestants. « M. Ameri a du pouvoir au Parlement en tant que leader du deuxième bloc, mais son pouvoir dans la rue est largement moindre, compte tenu des forces qu’il contrôle et de l’image qu’il renvoie aux manifestants », poursuit Randa Slim.

Moqtada al-Sadr et Hadi al-Ameri représentent deux visions du chiisme irakien et de sa relation avec l’Iran. Mais la domination iranienne, et les limites de celle-ci dans un pays comme l’Irak, oblige les deux hommes à collaborer. « Sadr aimerait utiliser la rue, les manifestations et tous les types de groupes qui sont las ou qui se soulèvent contre l’influence de l’Iran pour former une sorte de coalition », poursuit Renad Mansour, ajoutant que « Ameri aimerait également aller au-delà de la contestation pour protéger le système politique et faire participer Sadr contribuerait à calmer les manifestations ».

Même en s’alliant, les deux formations n’ont pas la majorité au Parlement irakien pour forcer une éventuelle destitution du chef du gouvernement. La majorité est à 165 sièges, alors que les deux principaux blocs n’atteignent, ensemble, que 101 sièges. « Ils auraient pas exemple besoin des Kurdes, mais ces derniers ne vont jamais voter pour une motion de défiance vis-à-vis de M. Abdel Mahdi qu’ils considèrent comme le meilleur à ce poste », note Randa Slim.


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