Devant le raz-de-marée populaire réclamant, depuis jeudi, la démission du gouvernement, le Premier ministre Saad Hariri se trouve pris en tenailles. Attendue aujourd’hui en début de soirée après l’expiration du délai de 72 heures qu’il s’est octroyé, sa réponse au vaste mouvement de révolte qui s’est étendu aux quatre coins du pays sera probablement l’une des décisions les plus ardues qu’il aura jamais été acculé à prendre durant sa carrière politique. Les choix qui s’offrent à lui ne sont pas nombreux : soit il rend son tablier – une option qui vraisemblablement ne lui a pas été conseillée par la France et les États-Unis –, soit il opte pour des mesures de réforme qui seront, cette fois-ci, radicales pour pouvoir calmer la colère populaire.
Le ras-le bol général a en effet largement dépassé le stade des revendications socio-économiques. Désormais, c’est une refonte totale d’un système politique que réclament les protestataires. Faire table rase et en finir avec un système confessionnel clientéliste constituent des revendications majeures de la rue, même si elle n’est pas unanime. D’où la mission difficile qui attend le Premier ministre, qui va présenter une feuille de route comprenant une série de réformes radicales.
Les premières informations sur l’éventualité de la démission de M. Hariri se sont vite dissipées, notamment après le discours considéré commme « condescendant » du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui a donné le « la » en affirmant qu’il n’était pas en faveur de la chute du gouvernement.
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L’annonce de la démission samedi des ministres des Forces libanaises a laissé croire un moment à l’éventualité d’une réaction similaire du Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt et donc d’un plus grand « risque » de voir le gouvernement démissionner.
Resté fidèle à son engagement aux côtés de M. Hariri dont il s’est dit « solidaire », le leader druze a fini par définir les conditions du soutien que sa formation est prête à accorder au chef du gouvernement. Le ministre de l’Industrie Waël Bou Faour a annoncé hier que lui et ses camarades du PSP resteront au sein du gouvernement de Saad Hariri « provisoirement et sous conditions », après avoir pris connaissance de la feuille de route des réformes du Premier ministre. Il a justifié cette position par la crainte d’un effondrement économique et présenté une série de réformes à ajouter aux mesures présentées par M. Hariri.
Le PSP a haussé la barre en suggérant de s’attaquer non seulement aux dossiers susceptibles de renflouer les caisses de l’État en épargnant les plus pauvres, mais en touchant à des dossiers ultrasensibles largement pointés du doigt par les manifestants, comme la question des allocations des députés et ministres, les biens-fonds maritimes, le renflouement des institutions de contrôle, etc.
Selon l’agence Reuters, les mesures préconisées par le Premier ministre comprennent notamment une réduction de 50 % des salaires des responsables officiels, actuels et anciens, la privatisation du secteur des télécoms et une refonte du secteur de l’électricité. Ces mesures seront aujourd’hui examinées au cours du Conseil des ministres, prévu à 11h30. Selon des sources gouvernementales, le chef du gouvernement semble avoir repris les commandes en faisant avaliser par les parties politiques des réformes jadis inconcevables. En tablant sur la crainte de tous les protagonistes (avec à leur tête le Hezbollah et le CPL) de voir le navire couler avec tous ses passagers sous la pression de la rue, M. Hariri semble avoir imposé ses desiderata.
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Scénario
Il reste à voir si les arrangements ponctuels que compte révéler le Premier ministre seront à même de calmer la rue qui réclame à cor et à cri la chute du gouvernement et l’émergence de nouvelles forces politiques. Les solutions qui seront présentées par l’actuel gouvernement risquent de s’avérer insuffisantes par rapport au plafond assez élevé fixé par les manifestants, qui martèlent depuis quatre jours leur perte totale de confiance dans la classe dirigeante et l’ensemble du système politique.
D’où le risque de voir le chef du gouvernement acculé, sinon dans l’immédiat, du moins à moyen terme, à rendre son tablier et charger l’armée, seule institution qui « continue de bénéficier d’une certaine crédibilité et de la confiance des gens », selon un analyste, d’assurer la sécurité sur le territoire, en attendant de mettre en place une nouvelle équipe dirigeante. Ce serait, selon des analystes, l’un des scénarios plausibles si les mesures annoncées par le Premier ministre devaient être rejetées par les protestataires.
À défaut de pouvoir constituer un nouveau gouvernement exclusivement composé de spécialistes, comme préconisé il y a quelques jours par les FL et le PSP, M. Hariri, s’il est à nouveau désigné, pourrait aussi considérer la mise sur pied d’une équipe mixte, composée de spécialistes – des professionnels intègres et compétents – et de figures politiques, croit savoir un analyste. Ces derniers seraient d’autant plus « incontournables » que la mise sur pied de tout nouveau gouvernement, quelle que soit sa forme, devra obtenir l’aval des groupes et partis politiques. D’où la difficulté de voir ces derniers accepter de se mettre hors du jeu en se pliant aux desiderata de la rue.
Autre question qui taraude les esprits, celle de savoir si, dans le cas d’un nouveau gouvernement, Saad Hariri ou son successeur seraient prêts à reproduire les mêmes équilibres politiques qui prévalaient jusque-là.
Le CPL, dont le chef Gebran Bassil a été conspué par les citoyens avec la même intensité que le président de l’Assemblée Nabih Berry – aux abonnés absents depuis quelques jours – ferait-il partie du nouveau paysage politique ? En soirée, M. Joumblatt a écarté la possibilité de participer à un gouvernement dans lequel siégerait M. Bassil.
Mais écarter le CPL du nouvel exécutif signifierait la mort clinique du compromis présidentiel, une option que le chef de l’État n’avalisera jamais. Un gouvernement sans les ministres du mouvement Amal signifierait par ailleurs que le Hezbollah aurait accepté de lâcher son principal allié, pour contenter la base chiite et alléger la pression sur lui. Une hypothèse également difficile à concevoir pour l’heure.
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commentaires (9)
Si un gouvernement sans telle ou telle formation n'est pas possible, comment procéder au changement? Et pourquoi çà ne serait pas possible? De quel droit on devient client et élu à vie? Quant à l'exigence de la rue de changer de sang et d'en remettre un nouveau et du propre, il faut en rajouter une non négociable, celle de lever le secret bancaire et de faire payer toutes cette clique qui a sucé ce peuple exsangue durant plus de 30 ans. Restez unis et ne laissez pas la confession, la religion ou l'appartenance à un clan vous détourne de cette cause juste et noble.
Citoyen
12 h 19, le 21 octobre 2019