Un seul chant, fédérateur, l’hymne national, et un seul drapeau, celui du Liban. Hier, dans le centre-ville de Beyrouth, une belle ambiance rassemblait les manifestants. Jusqu’à la tombée de la nuit du moins, quand, après le discours de Saad Hariri, la situation a dérapé.
Tout au long de la journée, la foule hétéroclite était constituée de certaines personnes vivant dans l’indigence, alors que d’autres étaient aisées, de chrétiens, de musulmans, de jeunes, de vieux, d’étudiants, d’ouvriers, de cadres… Il y avait ceux qui sont au chômage, ceux qui ont sombré dans la pauvreté et ceux qui ont encore un peu de moyens, mais qui ont une peur bleue pour l’avenir. Tous ces Libanais sont venus dire non à la corruption. Même s’ils ne croient pas vraiment au changement, ils ont pris la rue.
Peut-être « y a-t-il un pour cent de chance que la situation change, juste un pour cent d’espoir », dit l’un d’eux. Hier, dans la journée, des milliers de Libanais étaient rassemblés dans le centre-ville pour une même cause : une révolution pacifique contre la corruption et l’incapacité des responsables politiques de sortir le pays de la crise dans laquelle il s’enfonce depuis trop longtemps.
Des femmes voilées venues de la banlieue sud et d’autres en jeans ou fuseaux moulants, originaires d’autres parties de la ville, étaient assises côte à côte sans préjugés, alors qu’un prêtre franciscain, deux cheikhs druzes et un religieux chiite traversaient la foule, confirmant pour une énième fois les clichés libanais.
« C’est la première fois depuis 2006 que je manifeste... À l’époque, le Hezbollah et le mouvement Amal nous avaient conduits comme des moutons vers la place Riad el-Solh pour qu’on proteste contre la corruption. Eh bien maintenant, la corruption, c’est eux », s’insurge Mona, originaire du village de Rihane au Liban-Sud et habitant dans la banlieue sud de Beyrouth. Assise devant le trottoir de l’église Saint-Georges des maronites, elle est entourée de ses trois enfants, sa mère, ses sœurs et leurs propres enfants.
Un peu plus loin, sur le parvis de la mosquée Mohammad al-Amine, Léa, Mike et Karl, étudiants en architecture à l’ALBA âgés de 23 ans, sont venus ensemble. « Nous ne nous arrêterons pas là. Nous réclamons des élections parlementaires anticipées. Il nous faut une vraie réforme », martèle Léa, même si elle n’y croit pas vraiment.
« J’étais complètement désespéré de la situation jusqu’à jeudi soir (quand ont débuté les manifestations suite à l’annonce d’une nouvelle taxe déguisée sur les conversations via des messageries internet du type WhatsApp, NDLR). J’ai vu la manifestation à la télévision et j’ai passé la nuit à Riad el-Solh avant de rentrer chez moi à 6 heures du matin. Aujourd’hui, j’y suis revenu dès midi », renchérit Mike.
(Lire aussi : Le tandem Amal-Hezbollah dans la rue : réaction « spontanée » ou mot d’ordre politique ?)
« Un an et demi sans salaire »
Ahmad, 22 ans, étudiant à l’Université Notre-Dame, et Diana, 23 ans, employée d’entreprise, partagent leur emplacement sur Google avec des amis qui cherchent à les rejoindre. Ils sont tous les deux venus de Ghobeyri, dans la banlieue sud, fief du Hezbollah. En sirotant leur bière, ils racontent dans un anglais parfait pourquoi ils se sont mobilisés. « Je manifeste pour que mes droits soient respectés, pour que cesse la corruption dans toutes les administrations. Sur le plan financier, je n’ai pas le droit de me plaindre. Mon père gagne bien sa vie. Ma douleur n’a aucune valeur comparée à ceux qui n’ont plus rien à manger », dit Ahmad. « J’ai honte d’énumérer mes revendications car dans d’autres pays, ce sont des droits élémentaires, comme l’électricité, l’eau, la Sécurité sociale, l’assurance vieillesse », renchérit Diana.
Un peu plus loin, Amale, la cinquantaine, est beyrouthine. Elle confie qu’elle n’a pas perçu son salaire depuis un an et demi. « Je travaille dans une ONG. L’État a englouti les fonds qui nous étaient alloués. Nous avons été obligés de renvoyer chez eux les handicapés dont nous nous occupions », explique-t-elle.
Ali, lui, est venu du Hermel, dans la Békaa. Il a franchi tous les barrages érigés par des manifestant en colère, sur les routes, pour arriver à Beyrouth. « J’ai deux diplômes, l’un de chef cuisinier et l’autre d’expert en sécurité alimentaire, et je suis au chômage. D’ailleurs, je n’ai jamais pu trouver de travail de ma vie », confie le jeune homme de 25 ans.
Vers 16h30, la place des Martyrs, avec sa pelouse entourant les quatre statues de bronze, ressemblait beaucoup plus à un jardin public dans une ville européenne qu’à un lieu de manifestation. Des groupes de jeunes se sont assis par terre pour se reposer. « Nous étions à la place Riad el-Solh, nous y retournerons sous peu », dit Ramy, 21 ans, assis avec une amie et qui a planté un drapeau libanais en plastique devant lui.
Au quartier des Arts de Saïfi et dans les Souks de Beyrouth, les boutiques de luxe ont fermé leurs portes sans pour autant baisser leurs rideaux de fer ou protéger leurs vitrines avec des plaques de bois pour éviter la casse. Dans les souks, les restaurants fermés ont gardé tables et chaises dehors, sans chaînes ni cadenas. Dans les rues du centre-ville, les sacs en plastique contenant divers genres de bouteilles vides étaient placés à côté des poubelles, comme si les manifestants avaient tenu à préserver la propreté de la ville.
Un peu plus loin, une femme aux cheveux courts, la soixantaine, entre dans une petite église. Elle est venue manifester avec un couple de touristes. Elle pousse la porte de l’édifice, leur tend deux bougies et s’exclame : « Allez, faites un vœu pour le Liban. » Quelques heures plus tard, le centre-ville basculait dans la violence.
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- PERE, PARDONNEZ-LEUR CAR ILS NE SAVENT PAS CE QU,ILS FONT ! J.C. CES MANIFESTATIONS VONT RESULTER S,ILS CONTINUENT AU CHAOS ET A LA FAILLITE DE FACTO DU PAYS. LE PEUPLE EN SOUFFRIRA ENORMEMENT.
14 h 54, le 19 octobre 2019