Ce goût de cendre. Cette pluie de cendres. Nos yeux rougis de cendres, nos gorges écorchées, desséchées, nos voix étouffées. Mais ce n’est rien. Juste un dernier buisson, un dernier arbre, un dernier carré de nature qui s’en va avec tout le reste. Pourvu qu’il ne reste rien, que les éléments achèvent de saccager cette bonne terre qui de toute manière ne reconnaît plus les siens. Mais avant de renoncer à tout espoir, on voudrait prendre dans les bras tous ces jeunes qui ont spontanément organisé les secours, tous ces gens qui sont venus de tous les coins du Liban prêter main-forte, apporter eau et nourriture, qui sont allés au feu avec les moyens du bord, sans masques, sans protection, juste quelques foulards mouillés. On voudrait serrer la main de ces Palestiniens nés dans les camps, parqués dans les camps et qui n’ont jamais connu d’autre terre que libanaise et qui eux aussi ont prêté leurs pauvres moyens et leurs bras pour affronter le brasier et le vent. Et regarder pour une fois dans les yeux, avec les yeux de la gratitude, ces réfugiés syriens, pelles contre fournaise, que nous ne cessons d’accuser de tous nos maux et échecs.
On voudrait surtout, et parce qu’en chacun de ces hommes et de ces femmes se réveille un ange à chaque fois qu’une tragédie nous frappe, rendre hommage aux membres de la Défense civile. Ces volontaires ne risquent pas seulement leurs vies pour sauver les nôtres. Dans la confrontation permanente qui est leur lot avec les grands blessés, les grands brûlés, les corps mutilés, d’attentats en accidents de la route, d’incendies en noyades, de meurtres en suicides, ils risquent aussi leur humanité. Leurs équipements sont dérisoires. Leurs uniformes sont en loques. Écoutez-le, il s’appelle Youssef Mallah et sa voix s’étrangle : « Nos poumons sont remplis de carbone. Venez nous sentir, nos vêtements sont imprégnés de l’odeur des arbres. Chaque arbre que nous sauvons nous enlace. Quand nous rentrons chez nous, nous pleurons encore la détresse des victimes, mais un simple sourire de reconnaissance nous comble. » Il est criminel d’ignorer leurs droits et de banaliser leur courage. En notre nom, et parce qu’ils appartiennent à toutes nos communautés et les servent sans distinction, l’État – ou comment l’appeler – se doit d’assurer leur sécurité et celle de leurs familles avec un salaire décent, aussi vides soient les caisses et fût-ce en le prélevant sur les enveloppes fastuaires de la république.
Pire que les incendies est le langage haineux diffusé par les partisans du « Liban fort ». Derrière ce slogan acnéique taillé sur mesure pour masquer l’incompétence du pouvoir, nous n’avons vu, déjà à mi-mandat, ni réformes ni changements, et le pays vit le pire déclin de son histoire à tous les niveaux. Le régime « fort » n’est à l’évidence que fort en gueule, et ses suppôts, misogynes, homophobes, communautaristes et xénophobes, se gargarisent de théories du complot et sèment à tout vent les graines de la discorde. Déjà des musulmans proposent de s’immoler pour rassurer le député, issu de cette glorieuse formation parlementaire, qui relève d’un air entendu que les incendies n’ont ravagé que les régions chrétiennes. Mais où est la force d’un État incapable ne serait-ce que de faire désigner des gardes forestiers ou tracer dans les forêts des sentiers de sécurité ? Incapable d’anticiper les catastrophes naturelles, champion de l’impréparation, de la négligence, de l’impéritie, de la mendicité et des alliances opportunistes pour assurer sa propre pérennité, toujours jetant la faute sur ses prédécesseurs et rivaux, économiseur de bouts de chandelle pour l’essentiel, extravagant sur le superflu… Alors, qu’un de ses ministres se pique d’aller, en inspecteur des travaux finis, « féliciter les jeunes » et parader sur le terrain, aussi bonnes soient ses intentions, il ne peut que s’attendre à être hué et à travers lui tous les siens. Les jeunes savent reconnaître la condescendance et la récupération. Ils sont forts de leur idéal et de leur solidarité. Qu’on ne se hasarde pas à les tromper.
Ce goût de cendre,cette pluie de cendres est le vrai goût de ce gouvernement et pouvoir qui ont conduit le pays à la faillite
21 h 09, le 17 octobre 2019