Le Liban était en proie depuis lundi soir à une série de violents incendies qualifiés d'"inédits depuis de décennies" par le directeur général de la Défense civile Raymond Khattar. Les feux ont ravagé de nombreux espaces verts et des habitations dans le Chouf, notamment dans la région de Mechref, dans un contexte d'une forte vague de chaleur accompagnée de rafales de vent.
En début de soirée mardi, les premières pluies sont tombées, laissant entrevoir une accalmie. Le ministre de l'Environnement, Fady Jreissati, a tout de même déclaré l'état d'urgence environnementale. "En ce jour tragique pour le Liban et ses forêt (...) je déclare l'état d'urgence environnemental qui requiert l'union pour soutenir la Défense civile et le reboisement du pays qui redeviendra le "Liban vert", a-t-il écrit sur son compte Twitter.
Outre les énormes dégâts, les incendies ont fait une victime : un homme de 32 ans, Salim Abou Moujahed, est décédé d'une crise cardiaque à Btater, dans le caza de Aley, après avoir aidé les équipes de la Défense civile à lutter contre le feu. Selon l'Agence nationale d'information (Ani, officielle), la victime avait subi auparavant une intervention chirurgicale au cœur. Le ministère de la Santé a annoncé en fin de matinée qu'il prendrait à sa charge les coûts des hospitalisations dues aux incendies. De son côté, la Croix-Rouge libanaise a annoncé avoir dispensé des secours à un total de 106 personnes entre lundi soir et mardi, à travers le pays. "La plupart des personnes prises en charge souffraient de difficultés respiratoires, d'évanouissements, et de brûlures superficielles".
"Nous n'avons pas eu d'incendies d'une telle ampleur depuis des décennies", a réagi le directeur général de la Défense civile, Raymond Khattar. "Le feu qui se déclenche à une heure du matin pose des points d'interrogations", a-t-il ajouté à la chaîne LBC, laissant entendre que certains sinistres seraient d'origine criminelle. Au total, M. Khattar a affirmé qu'il y avait mardi "environ 103 feux sur tout le territoire libanais", soulignant que "près de 200 véhicules de la Défense civile ont participé à la lutte contre ces incendies".
La YASA a pour sa part lancé un "appel aux responsables politiques pour décréter la situation d'urgence et ordonner la fermeture des établissements scolaires et universitaires aujourd'hui". L'association A en outre appelé l'Etat à "demander l'aide à tout pays ami, le plus vite possible, et à effectuer les travaux de maintenance nécessaires pour faire fonctionner les canadairs stationnés à l'aéroport de Beyrouth".
(Notre diaporama : Le Liban en flammes : un triste spectacle, en photos)
Véhicules calcinés
Dans la région de Mechref, les soldats du feu ont lutté pendant plusieurs heures pour venir à bout des flammes qui ont anéanti plusieurs maisons. Selon notre collègue sur place, qui parle d'une scène apocalyptique, même les élèves d'une école de la localité ont aidé à éteindre les flammes. Les bureaux de l’association caritative Arc-en-ciel ont été sévèrement endommagés par les flammes et ses employés étaient dans un état de choc. En début d'après-midi, la plupart des feux dans la région avaient été maîtrisés, mais l'air était toujours irrespirable.
Deux canadairs chypriotes, arrivés au Liban hier sur directive du Premier ministre Saad Hariri, ont participé aux efforts des pompiers dans ce secteur où de nombreuses mines disséminées depuis la guerre civile de 1975-1990 sont toujours actives, a affirmé la ministre de l'Intérieur Raya el-Hassan, photos à l'appui sur son compte Twitter.
Un canadair chypriote participant à la lutte contre les incendies qui ravagent la région de Mechref, dans le Chouf, le 15 octobre 2019. Photo Twitter/@rayaelhassan
"Il n'y a pas de retard dans les opérations de lutte contre les feux. Les deux canadairs chypriotes ont décollé de l'aéroport pour venir à bout des flammes, et j'ai contacté le ministre de la Défense Elias Bou Saab, pour lui demander l'aide de l'armée et des Force de sécurité intérieure. Nous tentons de circonscrire les incendies au milieu des vents", a expliqué dans la matinée la ministre à la chaîne LBCI. Elle s'est rendue à Mechref vers 10h, afin de superviser les opérations. Interrogée sur les deux canadairs que le Liban possède, mais qu'il n'a jamais utilisé jusque-là, la ministre a expliqué que ces deux appareils "se sont avérés incompatibles et n'ont pas reçu la maintenance nécessaire en raison des coûts élevés".
Toujours dans le Chouf, dans la localité de Debbiyé ravagée également par les flammes, l’Université arabe de Beyrouth a décidé de fermer ses portes mardi par mesure de précaution, assurant toutefois que le campus n'a pas été touché par les flammes. Des véhicules ont été calcinés à cause des flammes dans cette région, mais aussi dans la localité voisine de Damour.
Payer "le prix"
La ministre de l'intérieur a ensuite pris part au Grand Sérail à une réunion du Comité de lutte contre les catastrophes. Lors de la réunion, le chef du gouvernement a prévenu que "si les incendies s'avèrent d'origine criminelle, les responsables en paieront le prix. (...) Les dégâts matériels seront dédommagés. Tous les services concernés sont à l’œuvre, et une enquête doit être ouverte".
"Nous avons contacté les Européens, et une aide matérielle nous sera livrée dans les prochaines quatre heures", a en outre annoncé le Premier ministre. "La Grèce a répondu à notre appel et va nous envoyer deux avions pour nous aider", a pour sa part annoncé Raya el-Hassan à l'issue de la réunion.
Le chef de l'Etat, Michel Aoun, a de son côté "donné ses directives pour que tous les moyens soient mis à disposition des équipes chargées de lutter contre les incendies (...)". Le président de la République a en outre demandé aux responsables "d'accorder des aides urgentes aux citoyens ayant dû fuir leurs domiciles encerclés par les flammes et de soigner les blessés, qu'il s'agisse des riverains ou des pompiers". Le chef de l'Etat a ensuite ordonné l'ouverture d'une enquête sur l'arrêt depuis des années des canadairs Sikorsky que le Liban avait achetés, afin de déterminer les responsabilités à ce niveau. Il a ensuite ordonné que "les opérations de maintenance nécessaires soient effectuées au plus vite".
Le ministre de la Justice, Albert Sarhane, a pour sa part demandé au procureur général près la Cour de cassation, le juge Ghassan Oueidate, de saisir le parquet au sujet des zones touchées par les incendies afin de déterminer si les sinistres sont d’origine criminelle.
L'armée a de son côté appelé les Libanais à ne pas écouter les rumeurs et attendre les résultats des enquêtes.
Le ministre de l'Environnement, Fady Jreissati (d), inspectant le travail de la Défense civile à Mechref, le 15 octobre 2019. Photo ANI
Le ministre de l'Environnement a pour sa part affirmé que "les incendies qui ravagent le territoire ont été provoqués" et a appelé à "infliger les sanctions les plus sévères à l'encontre des personnes responsables". M. Jreissati, qui s'est rendu à Mechref, a en outre appelé le gouvernement à améliorer l'équipement de la Défense civile. Il a dans ce cadre annoncé que "les équipes spécialisées au sein du ministère vont piloter une opération d'achat de deux canadairs de type Sikorsky", sans plus de précisions.
Lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue chypriote à Nicosie, le ministre de la Défense, Elias Bou Saab, a, lui, reconnu que "les incendies se sont avérés plus importants que prévu". "Nous avons demandé une aide supplémentaire à Chypre qui examine l'envoi d'un hélicoptère", a-t-il souligné. M. Bou Saab a ensuite affirmé à la chaîne LBCI que le Liban ne paie que le carburant, l’eau et le logement des pilotes des deux appareils chypriotes venus en aide au Liban. Par ailleurs, il a indiqué que deux hélicoptères jordaniens de type Puma ont demandé une autorisation pour survoler l’espace aérien chypriote et devront arriver en soirée au Liban pour participer aux efforts de lutte contre le feu.
L’armée a en outre mis en garde les Libanais contre l’usage de drones sur tout le territoire libanais, notamment les régions en proie aux flammes, soulignant que le survol des drones pourrait affecter les hélicoptères et avions qui s’emploient à venir à bout des feux. La troupe a menacé d’abattre tout drone qui viole ces instructions et d’engager des poursuites contre leurs propriétaires.
"Catastrophe"
A Bchémoun, dans le Mont-Liban, des espaces verts situés entre les habitations ont également pris feu, selon l'association pour la sécurité routière YASA.
بشامون الآن قرب جامع انس بن مالك pic.twitter.com/NSB3CkGT3O
— YASA for Road Safety www.yasa.org (@yasalebanon) October 15, 2019
Ailleurs dans le Metn, un incendie a ravagé plusieurs commerces situés en bordure de la voie publique à Mansourieh, sans toutefois faire de victimes.
من المنصورية ... pic.twitter.com/eYcC8bWnqF
— YASA for Road Safety www.yasa.org (@yasalebanon) October 15, 2019
Dans plusieurs villes du Metn également, notamment Mazraat Yachouh et Zekrit, les flammes ont détruit de nombreux espaces verts, poussant certains habitants à abandonner leurs maisons.
A Kornet el-Hamra, trois habitants ont souffert de légères asphyxiées, ainsi qu'un autre membre de la Défense civile. Une voiture a été calcinée par les flammes. Selon un habitant, la zone reste à risque pendant les prochaines 48h, mais "les mesures de prévention nécessaires ont été prises, et des quantités de sable ont été dispersées autour des maisons qui pourraient être menacées par les flammes". Des chambres au sein du siège de la municipalité ont été préparées pour accueillir d'éventuels sinistrés. Une école, située près d'un foyer, a été fermée par précaution.
"L’armée a été remarquable. On voyait les soldats sauter au milieu du feu avec un courage inégalable, raconte Walid, un habitant, à L'Orient-Le Jour. Je suis au bord des larmes à la vue de cette catastrophe". "Nos forêts sont denses, ce qui y rend l'accès très difficile", explique un autre habitant qui a participé avec des jeunes du village et le président du conseil municipal aux efforts pour venir à bout des flammes.
A Zouk Mosbeh, de nombreux arbres sont partis en fumée avant que les pompiers ne maîtrisent le feu.
من ذكريت..
— YASA for Road Safety www.yasa.org (@yasalebanon) October 15, 2019
..حوالي ١١٠ حرائق على الاراضي اللبنانية خلال الساعات الـقليلة الماضية... الف تحية من اليازا إلى المديرية العامة للدفاع المدني والى جميع المتطوعين الذين يواجهون الحراءق بإمكانيات ضعيفة... ان حجم هذه الحراءق غير مسبوق منذ سنوات طويلة جعلنا نقترح إعلان حالة الطورىء pic.twitter.com/SzFx5pHhzK
A Jbeil, un important incendie s'est déclaré dans la localité de Jadayel. La caïmacam de Jbeil, Nathalie Merhi Khoury, a appelé les propriétaires de citernes à se diriger vers la localité afin d'épauler les équipes de la Défense civile, alors que les flammes se rapprochaient des habitations. Et en début de soirée, un incendie a éclaté dans les forêts de Ghazir-Kfarhbab, au Kesrouan.
Au Liban-Nord, des hélicoptères de l'armée ont lutté contre un feu qui a ravagé des espaces verts de la localité de Deir Nbouh à Denniyé. Des espaces verts ont également été ravagés dans le Akkar. Toujours dans le Akkar, un violent incendie s'est déclaré en soirée dans le village de Beino près de l'université de Balamand.
A Zghorta, de nombreuses voitures ont été complètement détruites par les flammes. Le Liban-Sud n'a, lui non plus, pas été épargné par les incendies. La défense civile a toutefois réussi à venir à bout des feux qui se sont déclenchés à Nabatiyé.
Ces incendies ont suscité des réactions en série parmi les politiques, certains exprimant leur solidarité avec les soldats du feu, d'autres critiquant les efforts qu'ils estiment insuffisants de la part des autorités étatiques,
Lire aussi
L’incendie à Mechref a encerclé des habitations et des écoles
"Deux canadairs chypriotes, arrivés au Liban hier sur directive du Premier ministre Saad Hariri, ont participé aux efforts des pompiers" Ce ne sont pas des « Canadairs ». Ce sont deux « Air Tractors » de type AT-802. Grande différence. Ils doivent remplir leur charge d’eau (3 tonnes) dans un aéroport et non pas en mer comme les Canadairs, donc moins efficaces. Mais ils sont 10 fois moins cher. Certainement plus compatibles, et beaucoup moins cher à entretenir que nos Sikorsky inutiles. De plus ils peuvent être pilotés par n’importe quel pilote formé pour la tâche, et non pas par des spécialistes hélicoptères beaucoup plus rares. Maintenant j’aimerais qu’on me rassure sur les "intermédiaires" qui avaient "arrangé" le deal des Sikorsky. Ont-ils au moins pu garder leurs commissions? Je m’inquiète pour eux, haram...
08 h 17, le 17 octobre 2019