Lorsque Imane Haj Mamo a entendu les premiers avions, elle n'y a d'abord pas prêté attention, croyant reconnaître le bruit des jets de la coalition internationale qui combattent le groupe État islamique. Puis les bombes turques sont tombées. Elle est partie de chez elle sans rien emporter - pas même les médicaments de sa fille malade - et a trouvé refuge dans une salle de classe avec ses enfants et deux autres familles dans une école primaire de la ville de Hassaké. Femmes et enfants ont fui la bourgade frontalière de Ras el-Aïn mercredi 9 octobre, au début de l'offensive turque, tandis que leurs maris sont restés pour défendre leur maison.
Cette mère de quarante ans ne connaît que trop bien l'exode. Elle avait déjà dû fuir Alep en 2012 lors des affrontements entre les rebelles et le régime de Bachar el-Assad. Elle avait alors trouvé refuge à Kobané. Puis le groupe État islamique est arrivé et a tué son père et son frère aîné. Il a alors fallu fuir de nouveau. Elle vivait à Ras el-Aïn depuis cinq ans lorsque la guerre est à nouveau venue frapper à sa porte. Sa voix s'effrite. En larmes, elle se demande : "Où irons-nous ensuite ?"
Acculées, les autorités kurdes de Syrie, "abandonnées" par Washington, ont finalement annoncé dimanche 13 octobre avoir passé un accord avec le régime Assad, sous l'égide de la Russie, pour permettre le déploiement de l'armée syrienne dans le nord du pays. Le but : s'opposer à l'avancée rapide des troupes turques et de leurs supplétifs. En échange de leur protection, les Kurdes offriront notamment à Damas les villes de Manbij et Kobané, selon des responsables.
Au gré des batailles et des allégeances politiques mouvantes, les Kurdes étaient parvenus, au fil du conflit syrien, à bâtir leur région de facto autonome. Celle-ci vient vraisemblablement de s'effondrer, signant la fin du "Rojava" en tant que projet politique. Désormais, personne ne sait à quoi ressemblera l'opération d'Ankara, lancée il y a six jours à la faveur d'un retrait américain et malgré de vives critiques internationales. Le président Recep Tayyip Erdogan avait juré de créer une "bande de sécurité" à la frontière, profonde de 32 kilomètres, pour repousser les forces kurdes, considérée par la Turquie comme une organisation terroriste. Les deux armées turque et syrienne vont-elles s’affronter ? Si la course à la conquête de l’est a débuté, un accord pour la répartition des zones, sous l’égide des Russes, pourrait prévaloir.
Depuis mercredi, 104 combattants kurdes et plus de 60 civils ont été tués dans les violences, selon un dernier bilan de l'OSDH.
(Lire aussi : Poutine et Assad prêts à récupérer leur mise)
"Je ne suis pas Che Guevera "
Au poste-frontière de Semalka, à la frontière irako-syrienne, plusieurs dizaines de voiture faisaient la file dès six heures du matin lundi 14 octobre, espérant trouver refuge au Kurdistan irakien. Mohammed Ali, 58 ans, accompagne sa femme et ses deux filles, qu'il veut mettre en sécurité de l'autre côté de la frontière. "Cette crise avec la Turquie, c'est sans précédent. Nous n'avions pas d'autres choix que de passer un accord avec le régime," estime ce kurde de Tell Ahmar. Sur la plaine aride, l'aurore ressemble à s'y méprendre à un crépuscule. "C'est une bonne solution. Je pense que le régime prendra juste les postes-frontière et pas le contrôle du Rojava".
Selon les Nations unies, au moins 130 000 civils ont fui les combats en moins d'une semaine. Samedi, ils étaient des dizaines de familles à se presser contre les portes closes de Semalka. Peau flétrie et yeux éraillés par la guerre, l'Odyssée de Maryam Ibrahim l'a amenée jusqu'aux rives du Tigre. "Je ne peux plus pleurer, je n’ai plus de larmes à verser. Je ne peux pas marcher, mes jambes ne me portent plus. Je veux simplement que Dieu arrête cette guerre," plaide la matriarche de 70 ans, les yeux humides. "Nous n’avons rien fait de mal, nous souhaitons seulement vivre dans notre patrie. Il y a eu tellement de morts déjà. Il faut que la communauté internationale intervienne. Mais je crois que nous n’avons que des ennemis. C’est l’opinion de la vieille femme que je suis".
Autour d'elle, les enfants sont inconsolables, les yeux habillés du sel de leurs larmes. "Dans la région de Qamechli, d'où je viens, il n'y avait pas la guerre comme à Damas ou à Alep. Aujourd'hui les Turcs nous attaquent," soupire Shayda Issa, 17 ans, les joues rongées par une acné juvénile. "J'ai peur que ma famille soit tuée. Je ne peux pas aller me battre, je ne suis pas Che Guevara. La seule option, c'est de fuir." L'adage qui dit que "les Kurdes n’ont pour amis que les montagnes" n'a jamais sonné aussi vrai.
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LA FIN DE ROJAVA... LACHE PAR LE POLICHINELLE... SERA AUSSI LA FIN D,ERDO L,OTTOMAN.
13 h 45, le 14 octobre 2019