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Le syndrome kurde

C’est une foule d’incertitudes que suscite l’expédition turque en Syrie, et il en est deux qui devraient nous interpeller avec le plus d’autorité, de brutalité. La première a trait à cet hallucinant transfert de population appelé à suivre et parachever les opérations militaires en cours dans le nord-est de ce pays. À la lumière de la malédiction géopolitique qui poursuit les Kurdes, la seconde porte irrésistiblement à méditer sur la valeur réelle des garanties et protections étrangères : surtout quand par manque de cohésion nationale et de gouvernance responsable, elles tiennent lieu d’assurance-vie pour les peuples assistés.


Clairs – et même d’ailleurs claironnés bien à l’avance – sont les objectifs de cette équipée guerrière, ironiquement baptisée Source de paix. En ouverture de spectacle, on provoque, à coups de bombes, l’exode massif de la population kurde syrienne, concentrée dans ce secteur ; ainsi serait aménagée une bande de territoire longeant la frontière et large de plusieurs dizaines de kilomètres, qu’Ankara estime indispensable à sa propre sécurité. Cette saucisse frontalière allégée – car vierge désormais de tout ingrédient kurde –, on la farcirait alors de centaines de milliers de ces Syriens arabes qui avaient trouvé refuge en Turquie et qui pourraient ainsi retrouver un foyer, même s’il n’est pas le leur. Gagnants sur les deux tableaux, les Turcs se retrouvent alors en position idéale pour menacer d’ouvrir les vannes, de noyer l’Europe sous un raz-de-marée de migrants si elle persiste à crier au scandale de l’invasion. Chantage pour chantage, voilà toutefois les Kurdes qui menacent de lâcher dans la nature les milliers de combattants islamistes qu’ils détenaient en captivité.


Sans verser dans ce nombrilisme à tout vent fréquemment reproché aux Libanais, il est évident que ces deux éventualités ne devraient pas alarmer les seuls Européens. Le pays du Cèdre, qui est aussi celui des minorités religieuses, se trouve aujourd’hui cruellement rattrapé, pénalisé par sa proverbiale tradition de terre d’asile. Abritant déjà près de deux millions de réfugiés entre Syriens et Palestiniens (plus du tiers de sa population), le Liban a déjà bien du mal à gérer une situation absolument unique au monde, encore aggravée par la crise économique et financière qu’il endure. Plus que jamais, et dans le cadre des réformes exigées, s’impose donc un contrôle total de la frontière avec la Syrie où foisonnent les passages illégaux : chemins de traverse que les contrebandiers ne sont évidemment pas seuls à emprunter…


Si la tragédie du Rojava ne manque pas de déranger, troubler ou même préoccuper, c’est aussi parce qu’elle vient rappeler avec quel froid cynisme les grandes puissances peuvent, au gré de leurs intérêts, accorder ou retirer leurs faveurs aux nations qui en auraient pourtant bien besoin. Dispersés dans quatre pays de la région, périodiquement encouragés à s’affirmer puis invariablement abandonnés, les Kurdes offrent la pathétique image d’un peuple sans État. Il y a là ample matière à réflexion pour nous qui, à l’ombre d’un État en perpétuel chantier de reconstruction, n’avons pas encore réussi à faire de nos tribus sectaires un peuple. Jusqu’à quand le fameux miracle libanais pourra-t-il opérer à la demande ?


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

C’est une foule d’incertitudes que suscite l’expédition turque en Syrie, et il en est deux qui devraient nous interpeller avec le plus d’autorité, de brutalité. La première a trait à cet hallucinant transfert de population appelé à suivre et parachever les opérations militaires en cours dans le nord-est de ce pays. À la lumière de la malédiction géopolitique qui poursuit les...