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Moyen Orient et Monde - Éclairage

À la frontière syro-turque, les Kurdes contraints de fuir

Depuis mercredi, plus de 60 000 personnes ont été déplacées selon l’OSDH.

Des Syriens arabes et kurdes arrivant hier à Tall Tamr, dans la province de Hassakeh, après avoir fui l’offensive turque. Delil Souleiman/AFP

Des civils, par convois entiers, fuyaient hier la frontière syro-kurde à cause des bombardements turcs contre les Forces démocratiques syriennes (FDS à majorité kurde). « Depuis mercredi, plus de 60 000 personnes ont été déplacées, fuyant les secteurs à la frontière (avec la Turquie), en particulier les zones de Ras al-Aïn et Derbassiyé », a indiqué l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), précisant que ces déplacés se dirigeaient vers des territoires plus à l’Est, vers la ville de Hassakeh, mais également vers Raqqa.

Les Kurdes, qui contrôlent un vaste territoire du Nord-Est syrien, après avoir chassé le groupe État islamique, voient aujourd’hui les menaces turques mises à exécution. L’armée turque et des supplétifs syriens ont lancé mercredi une offensive contre les zones contrôlées par les forces kurdes, en dépit des nombreuses mises en garde internationales. « À chaque fois que les gens se remettent à vivre de manière à peu près normale, une nouvelle offensive, plus terrible encore que la précédente, se déclare », confie Hicham*, un étudiant à Raqqa, via WhatsApp.

Pour l’heure, l’offensive militaire, aérienne et terrestre, reste concentrée à la frontière. Les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de combattants kurdes et arabes dominée par la principale milice kurde de Syrie, les Unités de protection du peuple (YPG), ont annoncé avoir bloqué deux tentatives d’incursion dans les secteurs frontaliers de Ras al-Aïn et de Tal Abyad qu’elles contrôlent. Depuis mercredi, au moins 23 combattants des forces kurdes et 9 civils ont été tués par les frappes aériennes et les tirs d’artillerie de l’armée turque, selon l’OSDH. Côté turc, cinq civils, dont un bébé, ont trouvé la mort dans des tirs d’obus kurdes.

À Qamichli comme à Raqqa, les populations redoutaient cette offensive, après avoir goûté à un semblant de stabilité depuis la chute du califat autoproclamé par l’EI en mars dernier. La chute de la grande ville de Afrine conquise en mars 2018 par les troupes turques avait constitué un sérieux revers pour les forces kurdes contraintes de se retrancher de l’autre côté de l’Euphrate. Depuis, le président turc n’a eu de cesse de brandir la menace d’une offensive pour chasser les Kurdes de sa frontière.

L’objectif affiché de la campagne d’Ankara est d’éloigner de la frontière les YPG, considérées par Ankara comme une organisation « terroriste » en raison de ses liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Il redoute que les Kurdes syriens ne parviennent à former un proto-État à sa frontière, susceptible de devenir une base arrière du PKK.



(Lire aussi : La revanche turque, le commentaire d'Anthony SAMRANI)



Le rêve d’un Rojava
La présence des troupes occidentales, notamment américaines, dans la zone servait jusque-là de garde-fou à cette invasion. Les Kurdes, qui ont payé un lourd tribut dans la bataille existentielle qui les avait opposés à l’EI, ont été lâchés par leur allié américain, suite à la décision de Donald Trump lundi de retirer ses troupes présentes dans le secteur.

Au-delà du sentiment d’avoir été trahis par leur allié, c’est le rêve d’un Rojava qu’ils voient aujourd’hui s’éloigner. « Le départ des Américains a été une surprise pour tout le monde », déplore Khaled Issa, représentant en France du Rojava, zone autonome kurdo-syrienne, contacté au téléphone par L’Orient-Le Jour. Alors que les Occidentaux craignent une résurgence de l’EI, Emmanuel Macron a appelé la Turquie à « mettre un terme le plus rapidement possible » à son offensive. L’offensive turque menace aussi les prisons et camps gérés par les Kurdes qui abritent de nombreux jihadistes et leurs familles, avaient mis en garde lundi les FDS qui disent craindre en perdre le contrôle.

« La communauté internationale et notamment les Européens ne sont pas conscients du danger de cette invasion du Nord-Est syrien. Nous interprétons cette invasion comme un sauvetage des terroristes de Daech (acronyme arabe de l’EI) de la part d’Ankara », estime Khaled Issa.

Cette nouvelle offensive fait craindre une répétition du scénario de la bataille de Afrine. « Face à une offensive aérienne turque et éventuellement des percées depuis la frontière par une armée turque au sol, c’est perdu d’avance. Les YPG le savent bien et ils ne résisteront pas. Leur stratégie sera celle du retrait », explique Boris James, chercheur spécialiste du Kurdistan, également contacté par L’OLJ. « Les Kurdes savent qu’ils n’ont pas les moyens d’affronter l’armée turque. Mais s’ils rendent la région sans se battre, ils vont perdre leur crédibilité vis-à-vis de la population », renchérit Farid Saadoun, écrivain et chercheur kurde syrien, basé à Qamichli. Pour lui, les affrontements entre les deux parties seront limités et ne devraient pas s’inscrire dans la durée.

Un des objectifs de cette opération pour la Turquie est notamment de créer une zone-tampon d’environ 30 kilomètres de profondeur à l’intérieur du territoire syrien, afin de renvoyer une partie des 3,6 millions réfugiés se trouvant sur son sol. « Cela veut dire qu’il y aurait une occupation de “Turco-supplétifs” dans cette zone avec probablement des déplacements de population. Une ville comme Qamichli pourrait se vider de ses centaines de milliers d’habitants. Les gens ne sont pas rassurés par les personnes venues d’el-Bab chez eux et par une présence éventuelle de la Turquie », ajoute Boris James.

À Qamichli, capitale autoproclamée du Rojava, des obus sont tombés mercredi soir sur la ville blessant deux civils. « Ce sont deux jeunes syriaques du quartier de Bauchrieh », précise Sleiman Youssef, un journaliste et activiste syriaque de la ville, contacté via Facebook. La situation était revenue à la normale hier, mais la peur a gagné les foyers. « Tant que les combats se poursuivront à Tal Abyad et Ras al-Aïn, on peut craindre le pire. Mais je ne pense pas que nous serons forcés de quitter la ville, car Qamichli ne fait pas partie du plan de zone de sécurité que les Turcs cherchent à établir », poursuit Sleiman Youssef.



(Lire aussi : Offensive turque en Syrie : des gains potentiels, mais aussi des risques pour Ankara)



Accord avec le régime ?
À Raqqa, des déplacés seraient arrivés des zones frontalières. « Au début de la guerre, on ne pouvait pas s’imaginer que le régime abandonne Raqqa. Il a laissé la place à l’ASL, puis quelque temps après à l’État islamique. On a ensuite eu les Kurdes et les Américains. Aujourd’hui, on dirait que c’est au tour des Turcs », déplore Hicham, l’étudiant de Raqqa. Plusieurs organisations humanitaires ont tiré hier la sonnette d’alarme, soulignant que ce nouvel épisode de la guerre syrienne pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les populations civiles. « Environ 450 000 personnes vivent (dans les secteurs situés) à moins de cinq kilomètres de la frontière », indique un communiqué conjoint de différentes ONG. Un grand nombre de civils risquent de ne plus avoir accès aux aides humanitaires, met en garde le texte. « En prévision de la reprise des bombardements, les gens se ruent pour stocker des provisions et acheter du pain, mais l’approvisionnement des marchandises vers Qamichli depuis Alep a cessé depuis mercredi », déplore Sleiman Youssef.

L’escalade pourrait, en outre, pousser les Kurdes dans les bras de Damas. « Si la Turquie parvient à s’emparer de vastes territoires, les Kurdes se rapprocheront du régime syrien et établiront un partenariat pour la défense de la région contre la Turquie », estime pour sa part Rustom Mahmoud, chercheur kurde syrien basé dans le Kurdistan irakien. Lors de la bataille de Afrine, une tentative de rapprochement avait déjà été amorcée, mais elle s’était soldée par un échec. Depuis, « le régime n’a pas donné de signes tangibles pour entamer un dialogue », selon Khaled Issa. « Le but des Kurdes est d’obtenir la reconnaissance de l’autonomie de leur territoire. Si l’État reconnaît l’autonomie du Kurdistan, alors les Kurdes reconnaîtront l’État syrien », explique Farid Saadoun. Les Kurdes se trouvent aujourd’hui confrontés au dilemme d’une guerre avec la Turquie ou d’un accord avec le régime, ce qui dans les deux cas serait probablement synonyme de la fin de l’autonomie. « Le gouvernement autonome kurde syrien est intrinsèquement lié de manière stratégique sur le long terme à un accord constitutionnel syro-syrien qui délimiterait la forme de l’entité syrienne », estime de son côté Rustom Mahmoud.



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Des civils, par convois entiers, fuyaient hier la frontière syro-kurde à cause des bombardements turcs contre les Forces démocratiques syriennes (FDS à majorité kurde). « Depuis mercredi, plus de 60 000 personnes ont été déplacées, fuyant les secteurs à la frontière (avec la Turquie), en particulier les zones de Ras al-Aïn et Derbassiyé », a indiqué l’Observatoire...

commentaires (2)

TRUMP LE CREATEUR D,UN NOUVEAU HITLER DONT LA FIN SERAIT INCHALLAH PAREILLE.

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 23, le 11 octobre 2019

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Commentaires (2)

  • TRUMP LE CREATEUR D,UN NOUVEAU HITLER DONT LA FIN SERAIT INCHALLAH PAREILLE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 23, le 11 octobre 2019

  • Le problème du régime Syrien avec l'attaque Turc c'est qu'il ne veut pas des deux millions de Syriens en Syrie. Il veut les garder en Turquie pour la même raison qu'il garde les réfugiés Syriens au Liban et en Jordanie. Un rapprochement Kurde avec le régime syrien n'arrêtera pas l'invasion Turque. Un partenariat pour la défense de la région contre la Turquie est improbable car je ne vois pas l'armée Syrienne faire la guerre aux Turcs. Mais aussi, ce partenariat n'est plus nécessaire une fois que la Turquie aurait établi son contrôle sur une région de 13,500 Km2 (plus vaste que le Liban).

    Zovighian Michel

    04 h 44, le 11 octobre 2019

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