À court terme, ils ne pouvaient pas rêver d’un meilleur scénario. Le régime syrien et son parrain russe sont déjà les grands gagnants, d’un point de vue stratégique, de l’offensive turque dans le Nord syrien. L’évolution des événements dans la journée d’hier a largement confirmé cette tendance. Le secrétaire américain à la Défense Mark Esper a annoncé dans une interview à la chaîne CBS que jusqu’à 1 000 soldats américains allaient se retirer au plus vite du nord de la Syrie. Il n’a toutefois pas précisé si ces soldats allaient être évacués vers le sud ou si Washington comptait retirer totalement ses hommes de Syrie. Quelques heures plus tard, les médias prorégime affirmaient que l’armée syrienne allait entrer dans les prochaines 48 heures dans les villes de Manbij et de Kobané, actuellement aux mains des Kurdes et dont les Américains se sont retirés hier, après un accord avec les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition politique noyautée par les Kurdes syriens du PYD (Parti de l’union démocratique). Le site prorégime al-Watan assurait hier que l’armée syrienne était entrée à Manbij. Les FDS ont confirmé dans la soirée être parvenues à un accord avec le régime. Si Damas a condamné dans son langage habituel l’offensive turque dans le Nord syrien, il ne la voit en réalité pas d’un si mauvais œil. Et pour cause : Moscou serait à la manœuvre. « Cette offensive s’inscrit dans un deal complet entre Moscou et Ankara. Les Turcs donneront Idleb à Bachar comme ils lui ont donné auparavant Alep et, en échange, Moscou laisse agir les Turcs contre les Kurdes comme le démontre le veto de Moscou au Conseil de sécurité (la Russie a bloqué vendredi une résolution appelant la Turquie à cesser son offensive) », affirme à L’OLJ un homme d’affaires proche du régime.
L’opération turque en Syrie, débutée le 9 octobre, est, dès le départ, perçue comme une opportunité pour la Russie. D’abord parce qu’elle implique le retrait, sinon le repli, des forces occidentales qui occupent l’est de la Syrie et qui constituaient, à long terme, le principal obstacle à la victoire de l’axe russo-irano-syrien. Ensuite, parce qu’elle accentue les tensions entre les Occidentaux, alliés des Kurdes syriens et la Turquie, dont Moscou pourrait tirer profit en se présentant comme un allié plus fiable et plus compréhensif pour Ankara. Enfin, parce que l’offensive turque jette les Kurdes dans les bras du régime et qu’elle pourrait faciliter une reprise de contact direct entre Ankara et Damas. Cerise sur le gâteau, la violence de l’attaque et les exactions commises par les rebelles syriens qui accompagnent l’armée turque pourrait avoir pour effet, aux yeux des opinions publiques, de relativiser les crimes perpétrés par le régime et ses alliés dans l’Ouest syrien.
« La Russie préfère voir le Nord-Est syrien contrôlé par les Turcs, avec qui elle entretient un dialogue plus ou moins efficace, que par les Kurdes syriens, qui ont été réticents à coopérer avec Damas », confirme à L’OLJ Timur Akhmetov, expert de la Turquie au Russian International Relations Councils. Moscou tente depuis deux ans de trouver un compromis entre Damas et les Kurdes. Le régime, qui a longtemps opprimé les Kurdes, a toujours répété qu’il comptait récupérer l’ensemble du territoire syrien et qu’il ne permettrait pas la création d’une entité autonome kurde. Les négociations avaient cessé depuis mars 2018, au moment de l’offensive turque, avalisée par la Russie, sur la ville d’Afrine, qui était aux mains des Kurdes. Ces derniers avaient été écartés des dernières négociations politiques.
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Accord d’Adana
Pour un homme politique syrien, qui tient à garder l’anonymat, les Kurdes ont été « victimes de leur vanité et de leur naïveté ».
« Quand nous avons négocié avec eux ils n’ont rien voulu céder, ils voulaient l’autonomie et rien d’autre. Aucune solution en deçà ne leur convenait. Ils nous tenaient la dragée haute, car ils avaient chassé Daech (acronyme arabe de l’État islamique) et étaient convaincus que jamais les Américains, reconnaissants, ne les lâcheraient », explique-t-il. « Les Russes veulent faire comprendre aux Kurdes qu’ils auraient mieux fait de les écouter quand ils les pressaient d’être plus modestes dans leurs exigences à l’égard du régime, et d’arrêter de demander trop en terme d’autonomie. Ils ont répété aux Kurdes à longueur de temps qu’ils allaient être trahis par les Américains », confirme Igor Delanoë, directeur adjoint de l’observatoire franco-russe. L’annonce du retrait américain ne laissait pas d’autres choix pour les Kurdes que de se tourner vers le régime. Mais à quelles conditions ? « Ils doivent remettre toutes leurs armes lourdes à l’armée syrienne (...) et rallier ses rangs afin de lutter ensemble contre l’incursion turque », écrivait jeudi le rédacteur en chef du quotidien al-Watan proche du pouvoir, Waddah Abd Rabbo. Autrement dit : les Kurdes renoncent à leur projet d’autonomie contre la protection du régime.
Si l’armée syrienne a annoncé hier envoyer des troupes dans le Nord-Est syrien pour « contrer l’offensive turque », il y a fort à parier qu’il n’y aura pas de combat entre les deux armées. C’est plutôt une répartition du contrôle des zones, sous l’égide des Russes, qui semblent être à l’œuvre. Les Turcs, qui s’apprêtent à poursuivre leur opération vers le Sud, selon Mark Esper, devraient prendre le contrôle de la zone entre Tal Abyad, conquise ce week-end, et Ras el-Aïn où les combats se poursuivent. Le régime avance à l’ouest à Manbij et à Kobané et pourrait renforcer sa présence à l’est, dans la région de Qamechli et de Hassaké. « Le régime a commencé à mettre en place des check-points à Qamichli », nous indiquait hier notre correspondant en Syrie. Les négociations pourraient faciliter un rapprochement entre Damas et Ankara. « Les Russes espèrent que cette opération peut contraindre Turcs et Syriens à négocier directement », dit Igor Delanoë. Les parties en présence semblent vouloir ressusciter l’accord d’Adana, signé en 1998 par la Turquie et la Syrie, qui impliquait que Damas cesse son soutien au Parti des travailleurs du Kurdistan – que la Turquie considère comme un groupe terroriste et dont la branche syrienne est aujourd’hui le PYD – et que la Turquie puisse intervenir en territoire syrien pour combattre ce groupe. « On peut imaginer que cet accord sera réaménagé compte tenu des circonstances actuelles », explique Igor Delanoë.
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Quid des Américains ?
Le rapport de forces dans l’Est syrien a profondément évolué en seulement quelques heures. Toute la question est maintenant de savoir ce que vont faire les Américains. Ces derniers ont clairement livré leur position dans le nord-est à Moscou et à Damas. Vont-ils pour autant se replier vers le sud ou quitter définitivement le territoire et laisser ainsi le régime et les Russes poursuivre leur conquête de l’est. La région est stratégique pour l’axe russo-irano-syrien en raison de la présence des plus grands gisements de pétrole, mais aussi car sa reprise permettrait de consolider le corridor chiite reliant Téhéran à la Méditerranée via l’Irak et la Syrie.
Autre enjeu majeur de ce nouveau tournant de la guerre syrienne : les Turcs veulent-ils occuper le territoire ? Leur contrôle d’une grande partie de la frontière et leur présence sur le long terme pourrait poser problème à Damas et à Moscou. « Les Turcs seraient engagés dans une opération limitée et repartiraient après avoir chassé le PYD même si cela prend du temps. Ils se seraient engagés sur ce point auprès des Russes qui veulent que le régime reprenne toute la Syrie à condition d’assurer la sécurité de la Turquie », assure l’homme d’affaires proche du régime. « La Russie pense peut-être qu’à long terme, le contrôle exercé par la Turquie sur le nord de la Syrie ne sera pas tenable, du point de vue de la politique intérieure et du point de vue diplomatique », analyse Timur Akhmetov. Le sort de la Syrie semble en tout cas plus que jamais entre les mains de Vladimir Poutine.
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J,AVAIS DIT BIEN AVANT L,ACCORD REGIME SYRIEN/KURDES QUE KES KURDES ONT A CHOISIR ENTRE LE CANCER ET LA GANGRENE LAQUELLE AU MOINS LAISSE UN ESPOIR DE SURVIE MEME SI AMPUTES DE CERTAINS MEMBRES.
13 h 49, le 14 octobre 2019