Un œil sur Bagdad, l’autre sur Beyrouth. Les deux capitales arabes connaissent actuellement des protestations populaires, à des degrés différents toutefois, sur fond de corruption et de crise politique. Depuis la chute du régime baassiste de Saddam Hussein suite à l’intervention américaine en Irak, les points communs entre le nouveau régime de ce pays et le système de gouvernance libanais sont devenus de plus en plus nombreux, ainsi que l’impact du contexte régional et international sur les deux pays. Au point que dans les milieux proches du 8 Mars, on considère que ce qui se passe actuellement en Irak est un avant-goût de ce qui pourrait se passer au Liban. D’ailleurs, les médias locaux couvrent pour la première fois d’une façon aussi détaillée et précise les manifestations populaires et sanglantes en Irak, comme si les Libanais se sentaient profondément concernés par ce qui se passe dans ce pays.
En écoutant les cris des manifestants en Irak et au Liban, on se rend rapidement compte que les points communs sont nombreux : cherté de la vie, chômage grandissant, notamment chez les jeunes, absence des services publics élémentaires, comme l’électricité, l’eau courante, les plans pour le ramassage et le traitement des déchets, le respect de l’environnement, un rejet quasiment généralisé de la classe politique, les critiques violentes contre les responsables, etc. Or, comme par hasard, en Irak comme au Liban, le système de gouvernance actuel est un partage des pouvoirs entre les différentes communautés. Il y en a trois grandes en Irak : les chiites, les sunnites et les Kurdes, alors qu’au Liban, il y en a bien plus, mais dans les deux pays, le système repose sur le consensus. Toutefois, dans ce consensus, il y a malgré tout des rapports de force, et en Irak comme au Liban, la tendance générale penche en faveur de l’axe dit de la résistance, face à celui mené par les États-Unis et leurs alliés régionaux.
De là à lancer immédiatement la théorie « du complot américain et alliés » contre l’Iran et ses alliés, il n’y a qu’un pas que beaucoup dans la mouvance du Hezbollah ont franchi. Selon cette théorie, il y aurait donc un parallèle entre ce qui se passe en Irak et le malaise général social et politique au Liban.
(Lire aussi : Série de manifestations contre la crise économique à Beyrouth, Tripoli et Baalbeck)
Selon les partisans de cette thèse, l’administration américaine aurait ainsi demandé plusieurs démarches au Premier ministre irakien (Adel Abdel Mahdi, un chiite selon la nouvelle Constitution, et l’homme fort du pouvoir) qu’il aurait refusé d’exécuter. Parmi les demandes américaines, il y aurait une révision de l’accord stratégique conclu entre l’Irak et les États-Unis, dans le but de légaliser la présence permanente de 6 000 soldats américains répartis sur 5 bases militaires américaines dans ce pays. Il y aurait aussi la requête de s’abstenir de renforcer les relations économiques avec la Chine, la dissolution du Hachd al-Chaabi et son désarmement, le maintien de la fermeture du point de passage de Bou Kamal entre l’Irak et la Syrie, le gel des relations entre l’Irak et l’Iran, et la demande de ne pas dénoncer les bombardements israéliens contre les positions du Hachd al-Chaabi. Adel Abdel Mahdi aurait donc refusé d’exécuter ces demandes américaines. Plus encore, il s’est rendu récemment en Chine et en Arabie saoudite pour tenter une médiation entre Riyad et Téhéran. Aussitôt après, les protestations populaires ont commencé, réclamant son départ et elles se sont rapidement transformées en affrontements sanglants entre les forces de l’ordre et les manifestants.
Au Liban, dans son discours à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le chef de l’État Michel Aoun a accusé la communauté internationale de prendre quasiment en otage les déplacés syriens en contrepartie d’une solution politique qui se fait attendre. Il a même menacé d’engager un dialogue direct avec les autorités syriennes pour assurer le retour de ces déplacés installés au Liban. De même, le Liban a refusé par la voix des responsables les conditions israéliennes transmises par les Américains pour le tracé des frontières terrestres et maritimes, au point que les émissaires américains, notamment le nouveau secrétaire d’État adjoint David Shencker et le secrétaire adjoint au Trésor Marshall Billingslea, ont tenu avec leurs interlocuteurs libanais des propos considérés comme assez peu diplomatiques sur la nécessité d’isoler le Hezbollah et de réduire son influence à n’importe quel prix sur la scène politique locale.
Pour toutes ces raisons, les tenants de cette thèse considèrent que le déclenchement actuel des protestations populaires en Irak et au Liban serait lié à un contexte régional et international précis.
Pour le camp adverse, et notamment pour les associations de la société civile qui participent aux protestations populaires, prétendre que celles-ci sont manipulées par des parties politiques régionales et internationales est un déni de la réalité. La crise sociale et financière est bien réelle et elle touche la grande majorité des Libanais. Selon ces organisations, le pouvoir ne peut pas toujours se cacher derrière des considérations stratégiques pour éviter de faire son devoir à l’égard des citoyens, tout en ne cherchant pas à mettre un terme à la corruption et en demandant encore plus de sacrifices à la population.
Face à ces deux approches opposées, il y en a bien une troisième selon laquelle le Liban ne sera pas comme l’Irak, car (malheureusement !) les divisions communautaires et la solidarité populaire avec chaque chef de file confessionnel restent plus fortes que la révolte sociale.
commentaires (16)
La crise au Liban c'est grâce au Hezbollah le dollar est ainsi de suite
Eleni Caridopoulou
19 h 13, le 07 octobre 2019