En plein chaos politique, débordé par la spéculation monétaire et ses répercussions sociales, dont une grève ouverte que pourraient décréter aujourd’hui même les pompistes qui tiennent une assemblée générale, et une grève d’avertissement symbolique des commerçants jeudi, un Conseil des ministres consacré à l’examen du projet de budget 2020 s’est tenu hier matin à Baabda, sous la présidence du chef de l’État.
En marge de ses travaux, lors desquels le Courant patriotique libre et les Forces libanaises ont insisté sur la nécessité d’inclure des réformes « drastiques » dans l’avant-projet de budget, diverses questions ont également été abordées, notamment celle de la liberté de la presse et des libertés en général, ainsi que celle des rapports entre le pouvoir et les médias. Il n’en a pas été question en détail, mais sous forme de réprimandes, de directives et de propositions, en rapport surtout avec la crise du dollar et les invectives visant le chef de l’État au cours des manifestations de dimanche dernier. Dans l’après-midi, s’est ajouté à ces thèmes celui de l’état des rapports entre le chef de l’État et celui du gouvernement. « Il n’y a aucune crise de confiance entre le président et moi », a affirmé à ce sujet M. Hariri, interrogé par les journalistes. « Je suis parfaitement au fait de la relation qui existe entre nous, et combien nous nous respectons mutuellement », a-t-il ajouté, passant sous silence l’offense faite par un député du CPL à la mémoire de son père, Rafic Hariri.
Au sujet de l’accusation de « paresse » que lui aurait assénée, à en croire le quotidien al-Akhbar, le chef de l’État, sans que le bureau de presse de la présidence ne le démente, le chef du gouvernement a répliqué qu’au contraire, « un démenti a été opposé » à ce propos.
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Les libertés
Sur la liberté de la presse, M. Hariri a indiqué que « des journalistes ont rapporté qu’en ce qui concerne la liberté de la presse, j’ai été agressif (en Conseil des ministres, NDLR). Mais tout ce que j’ai dit, c’est qu’il existe une loi, et qu’il existe beaucoup de personnes qui propagent des informations mensongères générant désordre et instabilité. Certains songent à infliger à ces personnes des peines de prison. À mon avis, si l’on veut vraiment amener les gens à assumer chacune de leurs paroles, ne les menaçons pas de prison, mais comme cela se pratique au sein de l’Union européenne, adaptons notre loi sur les imprimés et infligeons-leur des amendes (…) et alors, que ceux qui veulent insulter se lâchent, le Trésor en profitera ».
De son côté, le ministre de l’Information Jamal Jarrah, qui rendait compte de la séance de travail du gouvernement, a affirmé que « les rumeurs propagées au cours des deux derniers jours ont fortement nui à l’économie et aux finances publiques ». Et d’exhorter « les médias à retransmettre les informations avec précision », tout en se défendant de leur « faire assumer la responsabilité du chaos ».
Dans ce domaine, il a admis que les membres de la classe politique, que les journalistes ne font que relayer, sont les premiers responsables du climat chaotique ambiant. « Il y a aussi des députés et des ministres qui font des déclarations qui causent du tort à la stabilité monétaire », a-t-il dit.
Par ailleurs, tout en insistant sur « le principe des libertés », le ministre de l’Information a rappelé que celle-ci « a des limites définies par la Constitution, notamment lorsqu’il s’agit des responsables officiels et de la présidence de la République ».
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La dignité des Libanais
En début de réunion, justement, le président Michel Aoun avait affirmé qu’il représentait « la dignité des Libanais », en soulignant que la liberté d’expression ne signifiait pas la « liberté d’insulter », en référence aux manifestations populaires de dimanche durant lesquels plusieurs protestataires avaient apostrophé de façon cinglante et offensante le chef de l’État.
« Je suis le chef de l’État et je représente la dignité des Libanais et le prestige de l’État », a rappelé le président.
On rappelle que deux personnes ont été « inquiétées » dernièrement par les pouvoirs publics : dans un premier cas, A. Kh. a été « convoqué » par la Sécurité de l’État, pour avoir proféré des insultes dans un enregistrement vocal diffusé sur les réseaux sociaux. Dans le second, un journaliste, Atef Chibani, avait été convoqué mercredi par le bureau de cybercriminalité des FSI, sur demande du parquet financier, pour avoir écrit sur Twitter qu’il n’avait pas pu retirer des dollars de l’établissement bancaire où il avait déposé son argent.
Dimanche dernier, des centaines de Libanais, excédés par les difficultés économiques, avaient manifesté sur l’ensemble du territoire. Le mouvement de contestation avait été marqué par une série de débordements et les milieux proches du président de la République avaient affirmé que ces manifestations sont le résultat d’une campagne orchestrée visant à mettre en difficulté le mandat présidentiel.
En Conseil des ministres, hier, le président Aoun a reproché à la ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan d’avoir manqué de lui présenter un rapport complet sur ces troubles. On sait en particulier que les cercles de Baabda distinguent entre les manifestations qui se sont produites dimanche avant-midi, à l’appel du parti Sabaa (sept), et ceux qui les ont suivies l’après-midi. Selon certaines sources loyalistes, les « casseurs » qui se seraient infiltrés parmi les manifestants seraient venus du quartier de Zokak el-Blatt, limitrophe du centre-ville, contrôlé par le mouvement Amal. Assertion que ce mouvement a démenti en affirmant qu’au contraire, les jeunes du quartier se sont opposés aux débordements des manifestants.
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commentaires (6)
"Les invectives visant le chef de l'Etat au cours des manifestations de dimanche dernier." Macron en reçoit des tonnes tous les jours ainsi que Mitterrand, Giscard et Sarkozy avant lui. "Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire." (Voltaire).
Un Libanais
20 h 44, le 04 octobre 2019