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Culture - Exposition

Que cache l’œuvre de Nabil Nahas ?

Une large collection de peintures fractales du peintre est actuellement exposée à la galerie Saleh Barakat*. Des toiles d’envergure, conçues pour la plupart ces trois dernières années ; preuve supplémentaire, s’il en faut, qu’il s’agit là d’un des artistes libanais les mieux cotés de sa génération.

Des œuvres de Nabil Nahas exposées à la Saleh Barakat Gallery. Photo Paul Hennebelle

Que l’on soit familier des toiles de Nabil Nahas, simple amateur d’art ou parfaitement étranger à son travail, il est difficile d’imaginer qu’on puisse rester insensible face à une telle concentration de couleurs et de coups de pinceau aux directions si imprévisibles. La première chose qui doit frapper l’œil : un débordement presque constant des limitations spatiales de la toile. C’est la première métaphore de l’expression de vie, exhibée en plein dépassement de la matière qui la contient. Des formes qui semblent mouvantes, formant des courbes aspirant le regard et qui inspirent ce vertige qu’on peut avoir en constatant la formidable densité de l’univers.

À regarder les fractales qui ornent les cimaises de la galerie Saleh Barakat, quelque chose de cosmique se met en place, une véritable hypnose provoquée par cette recherche de l’ordre dans le chaos de ces lignes circulaires et dans le figement de leurs comportements – vecteurs qui ont bien quelque chose de quantique.

C’est comme si Nahas, depuis ses premières fractales des années 90 à celles qu’il finissait encore de produire cette année, était parvenu à recréer sur sa toile la sensation d’une gravité, d’une attraction fondamentale, et de la montrer aussi arbitrairement qu’est arbitraire l’attraction physique entre les éléments qui composent le tableau et la nature.

C’est là l’aboutissement d’un esprit qui cherche à figer le monde, après en avoir tiré et reproduit les lois. Les toiles sont comme gonflées de cloques, les différentes matières se croisent (moulage, acrylique, poudre de pierre ponce, pigments…), d’étoiles de mer fétiches en planètes, et jusqu’aux minéraux, reflet du désir d’un artiste qui cherche à faire coïncider l’intuition magique de la nature avec les pouvoirs limités de l’expression humaine et de son intelligence.

Et l’on se souvient alors ce que la fractale est en mathématique : une tentative de faire coïncider la partie avec son tout, d’exhiber le microcosmique au sein du macrocosme – le mot est emprunté à une théorie en géométrie formulée par le mathématicien Benoît Mandelbrot dans les années 70 et qui cherche à démontrer qu’il existe une forme d’ordre au sein de ce qui apparaît chaotique.


(Lire aussi : Un fractal sans nom de Nabil Nahas)


Un parcours idéal
Né en 1949 à Beyrouth, Nabil Nahas a grandi au Caire avant d’émigrer aux États-Unis en 1968. Il obtient d’abord un diplôme en beaux-arts de la Louisiana State University puis un master de la prestigieuse Yale University, sous la tutelle de l’éminent professeur et peintre Al Held. Ayant appartenu à la deuxième génération de l’expressionnisme abstrait, un mouvement artistique né au sein de l’école de New York au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier exerce une grande influence sur le peintre. En 1973, Nahas s’installe à New York. Bien que travaillant à la réalisation d’un style propre, on trouve dès sa première exposition à la galerie Robert Miller en 1977 l’influence de cette recherche de l’abstrait dans le travail des figures géométriques qui composent ses premiers tableaux et qui, par la suite, le conduira aux fractales.

C’est d’ailleurs afin de suggérer la continuité existant entre les toiles de cette époque et les fractales produites depuis les années 90 que sont exposées aujourd’hui dans la galerie Saleh Barakat plusieurs toiles produites par Nahas dans les années 70, montrées pour la première fois au Centre d’Art de Beyrouth, en 1973.


(Lire aussi : Le temple de Jupiter vu par Nabil Nahas)


Dans une interview avec Etel Adnan au journal al-Safa, le peintre libano-américain révèle à l’époque sa conception idéaliste, au sens philosophique du terme, de la peinture : « […] Le tableau EST l’Idée, si vous voulez ; toutes les relations plastiques qui le composent en sont les pensées, les décisions, les étapes qui l’ont composé. » Manière de dire que ses toiles sont déjà des concepts ou que l’idée se représente dans sa formation-même, Nabil Nahas fait peut-être alors référence au premier idéalisme, celui de Platon, qui voit dans l’idée, universelle, insaisissable et pure, l’origine quasi céleste de toute représentation et préexistant à la matière.

Cet idéalisme, qui n’est pas sans rappeler la mystique du soufisme qui prend pour fondement la dualité extérieure (visible) et intérieure (ésotérique, cachée) de toute réalité, on peut toujours le voir à l’œuvre dans les fractales : « Pour Nabil Nahas, le cosmique et le cellulaire se rejoignent : il y a un système unique qui gouverne tout. Et puisqu’on fait partie de la nature, il faut entrer au plus près en connivence avec soi et faire émerger ce système caché », dira le galeriste Saleh Barakat à propos du peintre.

Le galeriste et le peintre n’en sont pas à leur coup d’essai. Il y a trois ans déjà, en 2016, Saleh Barakat avait choisi Nabil Nahas pour l’inauguration de sa galerie éponyme. Étaient alors présentées des toiles issues des grands thèmes du peintre : la géométrie, les cèdres et les figures fractales. Depuis, la notoriété de Nahas, qui a été en 2013 couronné de l’ordre national du Cèdre pour sa participation à la culture libanaise, n’a fait que grandir : l’an dernier, pour le 75e anniversaire de l’indépendance du Liban, LibanPost l’a invité à concevoir un timbre représentant un cèdre, comme une reconnaissance gratifiante pour ce peintre accompli dont le cœur oscille entre New York et le Liban.


* Saleh Barakat Gallery

Clemenceau, rue Justinien. Jusqu’au 24 octobre 2019. Tel: +9611345 213.


Pour mémoire
Un cèdre de Nabil Nahas sur un timbre, à l’occasion du 75e anniversaire de l’indépendance

Que l’on soit familier des toiles de Nabil Nahas, simple amateur d’art ou parfaitement étranger à son travail, il est difficile d’imaginer qu’on puisse rester insensible face à une telle concentration de couleurs et de coups de pinceau aux directions si imprévisibles. La première chose qui doit frapper l’œil : un débordement presque constant des limitations spatiales de la...

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