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Santé - GPS parental à l’ère de la technologie

I - La « génération du clic », ou l’addiction à la jouissance instantanée

Premier volet d’une série de trois articles sur les effets néfastes des nouvelles technologies et leur impact sur les enfants et les adolescents.

L’absence d’accompagnement éclairé de la nouvelle génération à l’usage des nouvelles technologies a généré des problématiques que les professionnels de santé mentale commencent à observer. Photo Bigstock

Si vous êtes perdu(e)s dans les dédales des nouvelles technologies (NT) pour accompagner vos enfants dans le processus du « devenir adulte », ce GPS parental vous fournit quelques repères. Il ne s’agit pas de diaboliser les NT ni de tomber dans un passéisme illusoire où le « c’était mieux avant » prévaut. Les NT ont leurs avantages, mais aussi leurs inconvénients. Il est écrit que Dieu nous a créés à son image. Nous avons créé les NT à la nôtre et… en avons fait des dieux.

Le terme « nouvelle technologie » inclut diverses formes d’intelligence artificielle : jeux vidéo en solitaire, jeux collectifs en ligne, moteurs de recherche, YouTube, forums de discussions, plateformes de rencontres, réseaux sociaux, applications, smartphones, tablettes numériques. Il faut les distinguer car la nature de leur utilisation et leurs buts sont différents. Leurs implications psychoaffectives le sont aussi. Il est temps de les prendre en compte afin que la révolution numérique s’accompagne également d’une préservation et d’une évolution des qualités psychiques et affectives de l’espèce humaine.

Victimes de notre inexpérience dans l’usage des NT, nous avons malgré nous créé une « One-Click-Away-Generation », ou la « génération du clic ». L’absence d’accompagnement éclairé de cette nouvelle génération allaitée aux NT a généré des problématiques que les professionnels de santé mentale commencent à observer. En effet, une génération-esclave défile dans les cabinets des psys. Elle est surstimulée, surexposée et, parfois, à la limite de la toxicomanie. Sur ce point, les recherches psychologiques et neurobiologiques battent leur plein pour savoir s’il faut inclure la dépendance aux NT dans la liste des addictions des manuels de diagnostics psychiatriques.

En 2013, pour la parution de la dernière édition du DSM-5 (cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux - Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders de l’Organisation mondiale de la santé), les chercheurs ont conclu que la collecte d’informations n’était pas encore suffisante pour que cette nouvelle forme d’addiction y soit ajoutée.

En attendant la parution de la prochaine édition, les cliniciens s’alarment des conséquences néfastes d’une utilisation mal encadrée et/ou abusive des NT. Les études menées depuis ont porté des résultats : l’usage excessive des NT peut perturber la structure du cerveau des enfants/ados, ainsi que leurs comportements entraînant des troubles du sommeil, un isolement, des difficultés de concentration et une irritabilité. Plus encore, lorsqu’on les prive de leurs « dieux » après une utilisation abusive et non cadrée, des comportements identiques à ceux des toxicomanes apparaissent. Surgissent alors les différents symptômes du sevrage : agressivité et colère, irritabilité excessive, état dépressif, anxiété et idée fixe se traduisant par une réclamation incessante de leur « dose » technologique.

Quels repères donc pour accompagner la « génération du clic » ? Comment l’aider à développer les capacités psychiques et affectives battues en brèche par le virtuel, mais essentielles pour relever les défis que pose la vie réelle qu’ils ne pourront pas éternellement fuir, cachés derrière leurs écrans ?



(Lire aussi : Des dangers de l’addiction aux jeux vidéo)



Instaurer des feux rouges
Quoi qu’en dise le dicton, le monde n’appartient pas à ceux qui se lèvent tôt. Il appartient à ceux qui savent attendre.

Comme le dit si bien Christine Richard, médecin et hapto-psychothérapeute (pratique de l’haptonomie dans son application psychothérapeutique, l’haptonomie étant une approche globale de la personne qui remet l’affectif au centre de l’humain), la première leçon de vie est une leçon de patience. Les nourrissons y sont confrontés dès leurs premières heures de vie lorsqu’ils réclament leur tétée : « Oui mon bébé, j’arrive, attends, mais attends… » La réaction du bébé dépendra de son niveau de tolérance à la frustration. Certains naissent avec un seuil élevé, d’autres avec un seuil bas. Ce sont ensuite les aléas de la vie, le soutien bienveillant des adultes en charge et l’éducation parentale qui, soit augmenteront ce seuil, soit le diminueront.

Qui dit patience dit capacité à tolérer les frustrations et à différer le plaisir immédiat. L’expérience de vie permet de comprendre à quel point ces capacités peuvent se révéler nos meilleures armes pour dépasser les épreuves, avancer, grandir, atteindre nos objectifs et réaliser nos rêves, aussi fous soient-ils.

À l’aune des nouvelles et moins nouvelles technologies, on fait fi de l’attente. Les occasions quotidiennes où nous étions obligé(e)s, bon gré mal gré, de pratiquer notre tolérance à la frustration ont disparu. Chercher un mot dans le dictionnaire ? Clic Google. Connaître le titre du morceau de musique que nous écoutons à la radio? Clic Shazam. Pour chercher l’itinéraire d’une adresse ? Clic Google Maps. Besoin d’un taxi ? Clic Uber…

Et le plaisir de l’excitation après l’attente ? Vous vous en souvenez peut-être, lorsqu’il fallait à titre d’exemple des semaines pour développer vos photos, sauf si vous aviez eu la mauvaise surprise de découvrir que la pellicule avait été mal placée ou voilée ? Dans ce cas, à défaut de développer votre pellicule, le recours à vos souvenirs développaient votre capacité de représentation mentale et votre vie intérieure. Les bénéfices de la patience sont innombrables pour le développement de la psyché humaine, et les exemples sont incalculables.

Avec les NT, c’est le règne de l’instantanéité. La jouissance immédiate prend le pas sur le plaisir. Toutefois, elle s’évanouit aussi vite qu’elle jaillit. Quant au plaisir différé, il se construit sur le long terme. Il édifie des liens solides aux autres et aide à mener à bien les projets de vie. Par contre, lorsqu’on ne fait que jouir d’un objet, quel qu’il soit, il devient jetable et interchangeable à volonté. Ne vous étonnez plus alors des demandes interminables et incessantes de vos enfants et ados pour de nouveaux objets ainsi que de leurs insatisfactions permanentes.



(Lire aussi : Oui à la technologie, mais avec modération)



Il est alarmant de constater le niveau dramatiquement bas de tolérance à toute frustration de cette génération. Pour seule illustration, il suffit de les observer vérifiant une centaine de fois par minute leur smartphone lorsque leur ami(e) ne répond pas instantanément à leurs WhatsApp, ou examinant le nombre de Likes (J’aime) récoltés pour leurs photos postées il y a seulement deux secondes sur Instagram.

L’incapacité à tolérer la frustration et l’impossibilité de l’attente dans ces cas font planer dans leur perspective l’ombre du risque de rejet et l’angoisse qui s’ensuit. Les NT privent la « génération du clic » de la possibilité de développer leur tolérance à la frustration et leur capacité à différer le plaisir.

Afin d’éviter que les NT ne se transforment en TNT, il est vivement conseillé de mettre en place des feux rouges dans les stratégies éducatives en usant et abusant de toutes les occasions pour développer leur patience, voire en les créant, mais aussi en encadrant l’accès au NT. Ceux-ci seront ainsi autorisés uniquement en week-end durant la période scolaire et seront bannis chez les enfants de moins de 4 ans. Leur usage sera permis entre 15 et 20 minutes par jour chez les enfants âgés de 4 à 7 ans, 30 à 60 minutes chez les enfants de 8 à 12 ans et entre une heure et demie ou deux heures de temps chez les enfants de plus de 12 ans. Si l’enfant n’a jamais été encadré, il faut procéder graduellement pour éviter les crises de sevrage. Plus vous commencez tôt à appliquer ce cadre, plus l’enfant saura gérer le temps d’utilisation modérément en grandissant.


* Maha Rabbath est psychologue clinicienne, psychothérapeute analytique, hapto-psychothérapeute et membre du Centre international de recherche et de développement de l’haptonomie (CIRDH).



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