Coup d’éclat, hier, dans la banlieue sud de Beyrouth : Mohammad Dergham, président de la Fédération des municipalités de cette région – à savoir Ghobeiry, Haret Hreik et Bourj Brajneh –, annonce lors d’une conférence de presse que lesdites municipalités comptent, dès aujourd’hui, empêcher les camions transportant les déchets d’autres régions que dessert cette décharge – Baabda, Chouf, Aley et Beyrouth notamment – de déverser leurs ordures dans cette décharge côtière située dans la région de Choueifate (au sud de Beyrouth).
À L’Orient-Le Jour, M. Dergham explique cette démarche. « La décharge est à nos portes, ainsi que le centre de tri de Amroussiyé et la nouvelle usine de compostage qui n’est pas encore opérationnelle, dit-il. Si nous continuons à accueillir les déchets de toutes ces régions, la décharge suffira à peine un an et six mois, et nous aurons à nouveau les déchets dans les rues, à moins d’accepter un troisième agrandissement du site (NDLR : le site est déjà en cours d’agrandissement). Or, ceci est hors de question. Alors que si ce site est réservé aux seuls déchets de la banlieue sud et de Choueifate, il pourra durer encore plus de quatre ans (NDLR : beaucoup moins selon l’écologiste Samir Skaff, qui a suivi le dossier de Costa Brava). »
M. Dergham précise que la fédération de ces trois municipalités a déjà donné une conférence de presse il y a dix jours, annonçant une escalade au cas où rien ne serait fait pour parer à l’urgence du problème des déchets. « Nous avons envoyé des lettres à tous les responsables concernés. Mais ils n’ont pas dû nous prendre au sérieux », affirme-t-il. À la question de savoir comment les municipalités comptent s’y prendre pour barrer la route aux camions et si leurs prérogatives leur permettent de fermer un site officiel, il déclare simplement « avoir fait toutes les coordinations nécessaires, (se) basant sur le programme de circulation des camions ».
Pour autant, le président de la fédération nie toute intention négative. « Personne n’évoque plus le problème des déchets ménagers, ni les responsables concernés ni les autres municipalités. Il fallait attirer leur attention sur la nécessité de trouver une solution, martèle-t-il. Nous refusons de devenir un second Naamé (NDLR : décharge sanitaire à Aley qui a accueilli les déchets du Grand-Beyrouth durant 17 ans, via des agrandissements successifs, et dont la fermeture brutale a causé la crise des déchets en 2015). D’autant plus que l’emplacement de Costa Brava, sur le littoral et près de l’aéroport, ne permet pas un tel scénario. »
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Mais pourquoi ce timing ? « Nous avons besoin de garantir notre sécurité future face à l’indifférence dont font preuve tous les autres, assure-t-il. Cette mesure est surtout un moyen de faire pression pour que le sujet soit remis sur la table. En fait, nous sommes excédés par les promesses non tenues : il est vrai que la capacité du centre de tri de Amroussiyé devrait être décuplée, passant à 1 700 tonnes par jour, mais ce projet a pris beaucoup de retard. Il est vrai également qu’une usine de compostage est en construction dans le périmètre, ce qui permettrait aussi de réduire le tonnage des déchets de manière significative, mais là aussi, il y a eu beaucoup de retard. Les solutions sont toujours fragmentées et jamais coordonnées, et elles interviennent trop tard pour prévenir la saturation précoce de la décharge. »
La solution d’après eux ? « Qu’ils aillent trouver un autre site, nous ne pouvons supporter les déchets de tout le monde », lance-t-il.
Le ministre de l’Environnement, Fady Jreissati, était injoignable pour un commentaire. Mais il a déclaré, à sa sortie de la réunion de la commission ministérielle chargée du dossier des déchets ménagers, au Grand Sérail, qu’une réunion aura lieu aujourd’hui au bureau du Premier ministre pour discuter de la crise des déchets de la banlieue sud. « Nous devons continuer à patienter et à se soutenir les uns les autres parce que les solutions sont en bonne voie », a-t-il affirmé.
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« Un comportement de voyou », selon Wahhab
Mais que signifiera, pratiquement, la fermeture de la décharge de Costa Brava face aux camions transportant les déchets ne venant pas de la banlieue sud et de Choueifate ? Le président du conseil municipal de Hazmiyé, Jean Asmar, indique à L’OLJ que les municipalités de la banlieue sud-est de la capitale ne sont pas d’emblée exclues de ce groupe. Du côté de Beyrouth intramuros, une source du conseil municipal rappelle que seules 200 tonnes sont acheminées vers Costa Brava quotidiennement, 200 autres étant envoyées dans la décharge de Bourj Hammoud-Jdeidé et 250 autres à Saïda où elles sont traitées dans l’usine de la capitale du Sud. Or, toujours selon cette source, le conseil municipal vient de prendre la décision de signer un contrat avec la compagnie Ramco (chargée du ramassage des déchets d’une grande partie du Mont-Liban et de Beyrouth) pour transporter 200 tonnes de déchets vers une usine de traitement à Ghosta (pour la somme de 105 dollars par tonne).
Mais jusqu’à ce que cette décision soit validée, que se passera-t-il? Interrogé par L’OLJ, Jamal Itani, président du conseil municipal de Beyrouth, affirme « n’avoir pas encore de réponse. Nous allons être en contact avec les responsables concernés pour décider de la marche à suivre ».
Il reste donc, sur la liste de régions desservies par la décharge, Aley et le Chouf, dont toute la production de déchets est acheminée vers Costa Brava. Serait-il question, dans ce contexte, d’une campagne à caractère politique ? C’est une hypothèse que certains n’hésitent pas à avancer, surtout que, comme le dit Samir Skaff, président de l’association Green Globe, « le dossier des déchets est souvent technique en surface et politique dans le fond ».
Interrogé par L’OLJ sur la question, le ministre Akram Chehayeb, ministre de l’Éducation, député de Aley et artisan de la solution d’urgence à la crise des déchets en 2015-2016, se contente d’espérer que les régions de Aley et du Chouf ne soient pas les principales cibles de cette décision. « La région de Naamé a supporté les déchets de la plus grande partie du Liban durant 17 ans, il est honteux que des décisions discriminatoires soient prises aujourd’hui, affirme-t-il. Et puis cette décharge n’est pas la propriété de municipalités données, elle a été conçue pour tout le Liban, et tout le monde paye la facture qui en découle. Personne n’a le droit de nous en priver. »
Le ministre réaffirme son refus de la décision de la Fédération des municipalités de la banlieue sud, appelant les ministres concernés, notamment le ministre de l’Environnement, à assumer leurs responsabilités face à ce bouleversement. « Le problème des déchets revêt une dimension nationale, assure-t-il. Cela fait trois ou quatre ans que nous réclamons une solution globale, mais il semble que la décision politique soit ailleurs. »
Ce qu’Akram Chehayeb n’a pas dit, l’ancien ministre Wi›am Wahhab (bien que d’un bord politique opposé), l’a exprimé clairement dans un tweet. « Les propos du président de la Fédération des municipalités de la banlieue sud à propos de la fermeture de la décharge de Costa Brava aux déchets de Aley et du Chouf s’apparentent à un comportement de voyou inadmissible », a-t-il écrit. « Y a-t-il un quelconque être rationnel qui agirait de la sorte en pareille température ? » « De plus, la décharge se situe à Choueifate et pas dans la propriété de M. Dergham. Si la décharge devait nous devenir inaccessible, pourquoi ne le serait-elle pas pour tout le monde ? » a-t-il ajouté.
(Lire aussi : Plan de Jreissati pour la gestion des déchets : le ver est-il dans le fruit ?)
Changer le système
Des déchets des quatre cazas du Liban-Nord – Zghorta, Bécharré, Minyé-Denniyé et Koura – qui se retrouvent dans les rues après la fermeture inattendue d’une décharge à Adwé, à cette nouvelle crise à Costa Brava, en passant par la saturation prochaine de Bourj Hammoud… Le dossier des déchets est en pleine mutation, et c’est une nouvelle étape de cette crise, résolument décisive, qui se profile.
Pour Samir Skaff, sortir de l’impasse impliquera un changement profond du système même de gestion des déchets, et non un agrandissement sans fin des décharges. « Il faut arrêter ce flux de déchets sans fin vers la capitale », dit-il. Il préconise par ailleurs de faire des efforts pour réduire les déchets qui arrivent aux décharges, notamment par l’installation de facilités de compostage et de transformation des matières organiques, principales composantes des déchets au Liban.
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mais ils ne sont pas les seuls à en profiter ! dès que tu arrives à l'aéroport de Beyrouth tu reçois ta dose! bienvenue aux touristes, venez profiter des plaisirs sains du charmant pays du Cèdre! il en pense quoi le ministre du tourisme ?
11 h 54, le 24 juillet 2019