Trois jours après le drame de Qabrchmoun, le Liban est encore sous le choc. En quelques instants, la paix civile, les fameuses réconciliations de la Montagne, les accords bilatéraux et l’espoir du renforcement de l’État et de ses institutions ont été ébranlés. Un ministre a failli être tué et deux de ses gardes du corps ont trouvé la mort, sans que les Libanais puissent comprendre comment, en si peu de temps, la région dite sensible du Chahhar el-Gharbi a pu se retrouver au bord de la guerre.
Les explications et les justifications se multiplient dans les médias, mais elles ne parviennent pas à réduire l’impact du choc ni à convaincre qu’un discours supposé provocateur peut justifier l’usage des armes de cette manière. D’autant que selon des habitants de Kfarmatta – qui se sont retrouvés piégés dans leur localité après les événements au point que l’armée leur a interdit de se déplacer dimanche soir –, la tension avait commencé à monter à partir de jeudi. De jeunes militants aounistes avaient en effet organisé un camp d’été dans la localité et ils avaient été la cible de deux attaques par le biais de bombes sonores dans une tentative de les déloger et d’empêcher la visite du chef du CPL, Gebran Bassil, dans la localité, prévue pour dimanche. Des plaintes avaient d’ailleurs été formulées et les soldats de l’armée déployés dans la région avaient procédé à des arrestations dans les rangs des attaquants, mais la région est restée sur le qui-vive. L’argument selon lequel les propos de M. Bassil à Kahalé auraient constitué l’étincelle qui a mis le feu aux poudres à Qabrchmoun ne tient donc pas. De toute façon, l’enquête est en cours et elle devrait mettre en lumière tous les détails de cette tragédie. La tendance générale est d’ailleurs à tenter de circonscrire l’événement.Mais dans les explications politiques, de nombreux analystes considèrent que le problème est bien plus profond qu’une simple visite. Selon ces analystes, le chef du PSP, Walid Joumblatt, considère depuis quelque temps que son leadership est visé. C’est vrai qu’il s’est finalement rallié à ce qu’on appelle « le compromis présidentiel » et qu’il a voté en faveur de Michel Aoun lors de la séance électorale du 31 octobre 2016, mais il n’a jamais cessé de formuler des réserves. Il était par exemple hostile à la nouvelle loi électorale basée sur le mode de scrutin proportionnel, se considérant comme visé par ces nouvelles dispositions, qui étaient effectivement destinées à ne plus favoriser un leadership unique pour une région et pour une communauté. Les élections législatives de 2018 ont certes confirmé le leadership de Joumblatt sur la communauté druze et sur la Montagne en général, mais elles ont malgré tout ouvert une brèche qui s’est traduite par l’élection de deux députés qui ne sont pas sur sa liste à Aley (Talal Arslane et César Abi Khalil) et de deux autres au Chouf ( Mario Aoun et Farid Boustany).
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Toujours selon les mêmes analystes, le plus grave pour Walid Joumblatt c’est qu’il s’est senti isolé, d’abord face à la solidité du partenariat entre le CPL et le courant du Futur, et en particulier entre Saad Hariri et Gebran Bassil, en dépit des couacs et des divergences, et ensuite à cause de l’incapacité des nombreux mécontents de cette alliance d’agir en rangs unis et efficaces pour la contrer. De plus, pour le leader de Moukhtara, la situation régionale n’a pas évolué dans le sens du renforcement de sa position interne, sachant que la plupart des parties libanaises ont souvent bénéficié d’appuis extérieurs, qu’ils soient régionaux ou internationaux, pour consolider leurs positions internes. Or M. Joumblatt, qui sait lire les développements régionaux et internationaux, a compris que le régime syrien resterait en place au moins jusqu’en 2022 (en principe date du prochain rendez-vous électoral), alors que les indices montrent que le spectre d’une guerre américaine contre l’Iran et ses alliés régionaux s’éloigne. À la lumière de ces données, il s’est rapproché du président de la République, mais avec le sentiment qu’il n’avait plus la place privilégiée qu’il occupait auparavant dans le paysage politique. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la perspective des prochaines nominations avec la possibilité de partager les postes qui reviennent à la communauté druze avec l’émir Talal Arslane et l’ancien ministre Wi’am Wahhab. Il y a d’abord eu un premier conflit verbal entre lui et le Hezbollah, apparemment au sujet des fermes de Chebaa, puis avec le courant du Futur. Indépendamment des causes directes de ces conflits, le spectre des nominations est toujours présent et renforce le sentiment d’isolement politique. En dépit de nombreuses tentatives pour rétablir les ponts avec le Hezbollah, les relations entre le PSP et la formation chiite restent tendues et la déclaration du ministre Mahmoud Comati à partir du domicile de Talal Arslane, dimanche soir, est assez significative sur ce sujet. De même, en dépit des tentatives du président de la Chambre d’organiser une rencontre entre Walid Joumblatt et Saad Hariri, les relations entre leurs deux formations restent aussi conflictuelles.
C’est donc dans ce contexte compliqué qu’est intervenue la visite de Gebran Bassil dans la Montagne. C’est comme si la venue du chef du CPL dans la région cristallisait toutes les peurs et les frustrations. Mais si en apparence, la visite de M. Bassil était la cause, en réalité, c’est un conflit interdruze qui a éclaté au grand jour et a même causé des victimes. Ce qui est traditionnellement une ligne rouge, les différentes parties et courants druzes prenant en général soin d’éviter d’en arriver au conflit armé entre eux. La tension était telle que les choses ont dérapé et elle montre que les causes profondes du malaise remontent « au-delà, bien au-delà » d’une visite.
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commentaires (8)
Chère scarlett . Walid Joumblatt chef du parti 1/progressiste 2/ socialiste n'a de rien de ces deux qualificatifs puisqu'il refuse l'idée de perdre un empan de son terrain sachant qu'une partie lui fut arrachée lors des dernières législatives . Le fait qu'il ne fasse plus le poids dans la balance du paysage politique libanais l'a déboussolé davantage. . Cest ce qui explique le comportement impulsif et insensé de ses ouailles et qui a failli mettre pays à feu et à sang dimanche passé .
Hitti arlette
17 h 26, le 03 juillet 2019