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Liban - Déchets

L’incinérateur de Beyrouth à l’ordre du jour de la réunion du conseil municipal jeudi

Une grande manifestation menée par des opposants politiques et la société civile est prévue devant le siège de la municipalité le même jour.

Des centaines de personnes avaient répondu à l’appel de six collectifs de la société civile pour exprimer leur opposition au plan de gestion des déchets du conseil municipal de Beyrouth, lors d’une manifestation au centre-ville, le 29 août dernier. Photo Matthieu Karam

L’affaire a été reportée de plusieurs semaines mais l’échéance tant redoutée par beaucoup est arrivée : le président du conseil municipal de Beyrouth, Jamal Itani, a placé à l’ordre du jour de la réunion hebdomadaire du jeudi 4 juillet le vote du cahier des charges d’un incinérateur destiné à la capitale.

Cet incinérateur est d’ores et déjà au centre d’une vive polémique, non seulement au sein de la société civile qui craint son installation en pleine capitale sans contrôle suffisant, avec le risque de pollution qui en découle et le fardeau économique qu’il représente, mais aussi et surtout au sein même du conseil municipal (voir L’OLJ du 10 mai 2019). En effet, ce cahier des charges a été élaboré sans que l’emplacement de l’incinérateur en question n’ait été décidé et, donc, sans qu’une étude d’impact environnemental n’ait été faite et soumise au ministère de l’Environnement. Or toutes les informations mènent à une seule piste depuis longtemps déjà : l’emplacement privilégié serait le secteur de la Quarantaine, du côté est de Beyrouth. Une étude effectuée par plusieurs experts de l’AUB avec une simulation de l’impact de la pollution a montré que de nombreux quartiers à Beyrouth et dans le Mont-Liban seraient frappés de plein fouet en cas de pollution résultant de cet incinérateur.

Selon une source bien informée, la séance de jeudi ne se passerait pas sans heurts. Au moins huit membres du conseil municipal exprimeraient leur opposition au projet, et le président du conseil municipal, qui a multiplié ses visites aux leaders politiques ces derniers temps, aura tendance à privilégier le vote afin de tenter de faire passer le texte du cahier des charges. Et, selon cette même source, pour ce qui est de l’obstacle de l’emplacement, M. Itani compterait… proposer de le confier au Conseil des ministres pour décision finale (à savoir qu’il avait lui-même confirmé cette option à L’OLJ dans l’article du 10 mai). « Ce sera au Conseil des ministres de déterminer l’emplacement, et l’entrepreneur choisi devra s’y conformer, en effectuant lui-même l’étude d’impact », avait-il alors déclaré. Or, se demandent les détracteurs du projet, comment le Conseil des ministres pourrait-il décider de faire une exception pour Beyrouth alors même que cet incinérateur rencontre une telle opposition dans la capitale et au sein du conseil ?

En même temps, les positions des grands partis représentés au sein du conseil municipal et concernés par l’éventuelle installation d’un incinérateur à la Quarantaine ne seraient toujours pas tranchées, ajoute cette même source. Il s’agit notamment des Forces libanaises (qui ont longtemps retardé l’adoption de ce cahier des charges pour y ajouter des garanties de bonne marche de l’incinérateur), du Courant patriotique libre ou encore du Parti socialiste progressiste (dont le leader Walid Joumblatt a récemment tweeté contre l’installation d’un incinérateur au Chouf, sa région – accepterait-il par conséquent la présence d’une telle usine à Beyrouth ?).


(Pour mémoire : Plan de Jreissati pour la gestion des déchets : le ver est-il dans le fruit ?)


Réserves émises par le mohafez
Par ailleurs, les détracteurs de ce projet au sein du conseil municipal, comme le vice-président, Élie Andréa, que L’OLJ avait interrogé précédemment sur ce sujet, mettent en avant non seulement les risques environnementaux et le coût exorbitant du projet, mais aussi le fait que le zoning de la capitale interdit l’installation d’industries lourdes dans son périmètre.

Plus encore, le mohafez de Beyrouth, Ziad Chbib, qui est, rappelons-le, l’autorité exécutive de la municipalité, a envoyé, en date du 27 mai, une lettre au conseil municipal dans laquelle il énonce plusieurs interrogations et réserves concernant le cahier des charges. Ainsi, dans ce document que L’OLJ a pu consulter, il s’attarde sur l’absence d’un emplacement prévu, soulignant que le critère de superficie de 60 000 mètres carrés retenu dans le cahier des charges ne peut être satisfait dans aucun des terrains appartenant à la municipalité, d’où le fait que celle-ci devra soit exproprier un terrain privé, soit demander à l’État de lui en fournir un. Et les terrains de cette superficie appartenant à l’État sont principalement deux dans la capitale : un à Ras-Beyrouth (terrain de la Nahda), et l’autre à Medawar à l’embouchure du fleuve de Beyrouth (en d’autres termes la Quarantaine). Or, poursuit le mohafez, le plan directeur de Beyrouth intra muros interdit l’installation d’industries lourdes et, ajoute-t-il, aucune directive n’a été donnée au bureau légal de la municipalité en vue de résoudre ce problème. Il en conclut qu’il n’est pas possible d’approuver l’utilisation des deux terrains précités à cette fin.


(Lire aussi : Odeurs nauséabondes sur le Grand Beyrouth : quand s’attaquera-t-on aux racines du problème ?)


La lettre de M. Chbib note également l’absence d’une étude d’impact environnemental. Il souligne que la mise en place d’un tel projet nécessite des années – obtention de permis, appels d’offres… – et qu’un plan intermédiaire est donc indispensable. Il remarque surtout que, d’une manière générale, les intérêts du futur entrepreneur sont privilégiés par rapport à ceux de la municipalité : ainsi, écrit-il, le prix du traitement par tonne est d’ores et déjà fixé en dollars américains, alors que la municipalité utilise la devise locale. Si, par malheur, le taux de change de la livre libanaise par rapport au dollar venait à changer, le traitement des ordures deviendrait alors un risque de banqueroute pour la municipalité… De plus, ajoute le mohafez, le volume quotidien des déchets à traiter est estimé, dans le cahier des charges, de 650 à 1 500 tonnes, sachant qu’actuellement, après tri, les déchets de la capitale représentent un volume inférieur à 650 tonnes. Une telle perspective n’encouragerait donc pas au tri et à la réduction des ordures, craint-il. Il a par ailleurs demandé qu’il y ait une comparaison avec les villes de pays voisins à configuration similaire, et s’est demandé si les mécanismes de contrôle du conseil municipal à l’intérieur de l’usine même seront suffisants, estimant là aussi que les intérêts de l’entrepreneur semblent déjà primer.

De telles remarques seront-elles prises en compte ? Le cahier des charges en conseil municipal jeudi semble présager du contraire. De leur côté, les opposants et la société civile se mobilisent. « Le “deal du siècle” libanais ne passera pas ! » s’est écriée la députée Paula Yacoubian sur Twitter. La Coalition civile pour la gestion des déchets, grand rassemblement, mobilise déjà ses troupes. Le parti Sabaa a appelé « à fermer les portes de la municipalité de Beyrouth », soulignant que des statistiques « montrent que les habitants de la capitale sont hostiles à cet incinérateur ». Jeudi sera de toute évidence une journée décisive.


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