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Culture - Rencontre

Marcel Khalifé cherche toujours...

Le compositeur, oudiste virtuose et chanteur libanais donne le coup d’envoi, vendredi 5 juillet, du Festival international de Baalbeck 2019. À soixante-neuf ans, et après de nombreuses tournées dans les salles les plus prestigieuses du monde, il sera dès 20h dans l’antique temple de Bacchus accompagné de 80 musiciens de l’Orchestre philharmonique national – dont son fils Rami Khalifé – et 70 chœurs de l’université Notre-Dame de Louaïzé.

« Le sens de la vie ? La beauté rencontrée au cours du voyage d’ici vers l’horizon. Et dans le recommencement le lendemain. » Joseph Eid/AFP

Est-il encore nécessaire de présenter Marcel Khalifé ? Monument de la musique libanaise et arabe originaire de Amchit, compositeur de génie, porte-parole engagé des idées gauchistes, défenseur de la cause palestinienne, interprète du poète palestinien Mahmoud Darwish (1941-2008), mais pas seulement, poète lui-même, exilé en France pendant vingt ans durant la guerre civile pour cause de confession religieuse, père de deux musiciens en vogue (Rami et Bachar Khalifé, nés respectivement en 1981 et 1983), théoricien de la musique arabe et du oud – son instrument de prédilection, poursuivi en justice au début de notre siècle pour avoir chanté deux lignes de versets du Coran... Quoi d’autre ? Rien que deux éléments, peut-être encore plus importants que tout : l’amour et le beau. « La musique de Marcel Khalifé fait partie de ces rares signes culturels qui contribuent à créer une forme de renaissance spirituelle. (...) Au milieu de la destruction, son chant vient au secours du cœur », écrivait Mahmoud Darwish en prologue de l’album Promises of the storm, paru en 1976. Dans cet album, les titres qui ont marqué à jamais toute une génération et qu’il continue à chanter : « Il y a des chansons qui restent, certaines depuis plus de quarante ans et qui sont toujours là : Rita, Oummi, Passeport… Il faut traverser le temps, parce que l’amour existe toujours, parce que la mère reste la mère. Aujourd’hui, je cherche l’humanité. Est-elle là ? Est-ce que ça existe ? Je crois à l’impossible, je veux continuer, je veux lutter, je veux travailler et continuer à écrire et composer, malgré les guerres, malgré la misère. »

Marcel Khalifé est animé, son phrasé est opaque et mystique à la fois, hermétique, suggestif, il se transporte ailleurs, comme une sorte de symphonie qui cherche à retrouver l’un, sa langue est celle de ceux qui cherchent la convergence absolue : « Peut-être qu’au Festival de Baalbeck on pourra créer cette patrie qui nous manque aujourd’hui, peut-être pour deux heures, et après ? Chacun rentrera dans sa vie une fois le concert terminé. Comment conserver cette unité qu’on aura créée sur scène, à travers la musique, à travers les poèmes, à travers le chant? » À l’aube de sa soixante-dixième année d’existence, Marcel Khalifé est toujours en quête d’harmonie, il espère la cohérence des choses, l’égalité la plus pure, il s’évertue dans sa quête de l’amour universel par le chant, par l’écriture, par une foi inébranlable dans la vie : « J’ai perdu ma mère étant très jeune. Mais l’amour de ma mère est resté en moi, je parle avec elle chaque jour. Parfois, je regarde à travers ses yeux la beauté du monde qui m’entoure. Elle regarde avec moi. C’est ça l’amour, c’est comme l’esprit, ça ne finit pas. C’est quelque chose qui dépasse les individus. Non, je ne cherche pas Dieu. Il y a l’amour de ma mère, la musique, les poèmes, la culture, la nature… Certes, la spiritualité existe, mais à côté de la politique. Je n’aime pas quand les partis politiques et la religion sont confondus. Moi, j’ai ma propre religion, très ouverte, très pure. Je refuse toute inclusion à un parti politique. Ça ne veut pas dire que j’ai perdu mes idéaux socialistes et communistes. Dans la théorie, j’essaye de les conserver : je crois qu’on ne peut vivre sans socialisme. Peut-on vivre sans regarder les plus pauvres ? »


(Pour mémoire : Marcel Khalifé : Moi je combats la barbarie par la musique, je n’ai pas le choix...)


Marcel Khalifé est-ce qu’on peut sans crainte appeler un génie créatif, ses compositions sont souvent d’une complexité parfaite et telles que se répondent merveilleusement les mots, les idées et la musique ; il est peut-être à la chanson arabe ce que Bob Dylan est à la chanson anglo-saxonne, si l’on se penche sur la poéticité des textes (mais qu’on s’attarde sur la partition et la structure des chansons dans un album comme Concerto al-Andalus, 2002 et l’on trouvera davantage de ressemblances avec certains grands compositeurs du XIXe siècle comme Liszt, Tchaïkovski ou Isaac Albeniz). Toutefois, avec ce talent, ce succès et cette reconnaissance, Marcel Khalifé a su garder une forme d’humilité innocente, qui fait de lui un homme conscient des défis de son temps, et qui se sent impliqué dans le monde qui l’entoure. « La vie continue. Il y a toujours beaucoup d’artistes, des jeunes qui écrivent, qui font de la musique, du cinéma, etc. Moi je suis avec le présent, avec les jeunes. On dit que c’était mieux avant, je ne suis pas d’accord. La vie marche vers l’avant, pas en arrière. Et malgré toute la médiocrité qu’on a pu voir dans la télévision, dans les programmes, dans le commerce, malgré tout cela, la beauté perdure. Même dans la nature, bien qu’on l’ait tuée en grande partie, on trouve jusqu’à maintenant de la beauté. J’essaye d’être toujours dans le présent », affirme-t-il. Malgré toute cette volonté de se maintenir dans la vie, cette dernière est loin d’être toujours facile, et Marcel Khalifé le sait mieux que personne : « Je cherche des racines dans mon village natal. Je marche dans les rues la nuit, mais je constate que tout est cassé, que les gens sont partis. Sans parler de la liberté d’expression aujourd’hui chez les artistes libanais… C’est simple, il n’y en a pas. Ce n’est pas un pays qui peut exister. L’année passé, des milliers de jeunes sont partis à l’étranger après avoir été diplômés. C’est dommage. C’est un pays qui ne mérite pas. Les gens qui partent cherchent la liberté, le calme, la joie, ces gens-là vont chercher une sécurité sociale qu’on n’a pas ici », s’indigne-t-il.

Tant pis, dirait presque Marcel Khalifé, puisqu’on est dans la vie on n’a pas le choix : il faut continuer, il faut se battre, vivre, travailler, garder son âme d’enfant, chercher le beau, le créer, l’écouter, chercher tous ces horizons qui se recommencent, et puis embrasser cet amour, ou ce qui en reste, comme ce qui reste de la nature, cette nature que nous avons nous-mêmes presque effacée, parce que demain est toujours une promesse et qu’une promesse ça ne se refuse pas.


Pour mémoire
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