Rechercher
Rechercher

Les collections institutionnalisées - Focus

La collection du musée Sursock appartient à tout le monde et à personne à la fois

Le musée Sursock est l’une des plus anciennes institutions culturelles libanaises et des plus pérennes. Avec sa réouverture au public en 2015 et sa rénovation qui augmente à la fois ses surfaces d’exposition et de préservation des oeuvres, cette institution semi-publique, fondée en 1961, joue le rôle de plateforme, mais également de musée national d’art contemporain puisqu’elle est la seule à avoir une collection permanente qui appartient à la fois à personne et à tout le monde.

Les réserves du Musée Sursock. Photo : Nabû Productions. Avec l’aimable autorisation du Musée Sursock.

« Nicolas Sursock n’était pas un collectionneur d’art, mais il était sûrement un esthète. Il avait quelques tableaux, mais aussi des objets, explique Zeina Arida, directrice du musée Sursock depuis 2014. Comme il vivait entre Paris et Beyrouth, louant un hôtel particulier dans la capitale française, il fréquentait les brocanteurs et rapportait avec lui des objets chinés en provenance de parties diverses du monde. Il comptait notamment parmi sa collection un très beau nu féminin de Georges Sabbagh ainsi que deux portraits de lui-même : l’un exécuté par le peintre libanais Philippe Mourani et l’autre signé Kees van Dongen, l’un des plus importants artistes néerlandais. » « Dans son testament, enchaîne Zeina Arida, il avait offert sa villa aux habitants de Beyrouth afin qu’elle devienne un musée à l’entrée gratuite rendant accessible tout ce qui se trouvait à l’intérieur : objets personnels (binocles) et autres chinoiseries. ».

Tout commence avec le Salon d’automne …

La collection du musée Sursock commence avec l’ouverture du musée. À partir de 1961 et grâce au Salon d’automne (le Salon était une compétition annuelle ouverte à tout artiste actif au Liban, visant à présenter ses dernières oeuvres de l’année précédente ou en cours), le musée commence à constituer sa collection d’art moderne.

Pendant les dix premières années de sa création, jusqu’au début de la guerre, le musée avait les moyens d’acquérir les oeuvres primées du Salon puisque celui-ci distribuait chaque année des distinctions dans les domaines de la peinture et de la sculpture. C’est ainsi que l’œuvre de Saloua Raouda Choucair, Architecture de demain, Grand Prix du musée Sursock au VIe Salon d’automne de 1965, est entrée dans la collection permanente. Les années de guerre étaient des années plus difficiles pour le musée qui, toutefois, poursuivait sa programmation d’expositions.

Le Salon d’automne, à travers ses trente et une éditions entre 1963 et 2018, a pu poser les jalons d’une histoire de l’art contemporain libanais. En cela, la collection du musée Sursock constitue une référence en matière de goût, mais surtout d’avancées picturales des années 60 et 70. À partir des années de guerre, le musée n’avait plus les moyens de faire des acquisitions. Mais il était soutenu par les artistes qui exposaient au Salon d’automne, ou même dans d’autres galeries, et qui faisaient des donations. « Nous avons continué la tradition, poursuit Zeina Arida. Depuis la réouverture du musée, nous perpétuons cette habitude, à savoir trouver un moyen d’acquérir le premier prix du Salon d’automne grâce au soutien du collectionneur ou à la générosité des artistes eux-mêmes. »

« Avant les travaux de rénovation, le musée exposait soit la collection permanente, soit les accrochages temporaires, jamais les deux en parallèle. Sur une initiative de Ghassan Tuéni, président du comité du musée à l’époque, des changements ont été introduits. Ainsi, la collection permanente représente, d’un côté, l’histoire de l’art libanais, mais aussi, d’un autre côté, l’histoire du musée et de sa programmation. » Et de citer en exemple le premier Salon réalisé il y a deux ans, sous le nouveau mandat. « Abdel Kadiri était le premier prix du musée Sursock. Il a pu nous offrir, avec l’aide d’un collectionneur privé, sa peinture intitulée 26 février 2015. Cette année, Lara Tabet a été sollicitée pour offrir l’oeuvre The River et pour qu’elle fasse partie de la collection permanente. »

Miroir de la vie artistique

« La collection est supposée représenter les fluctuations de la vie. Mais pendant quelques années, le Salon n’a pas représenté la réalité de ce qui a été créé au niveau de la scène libanaise. Je pense notamment aux années de reconstruction, c’est-à-dire les années d’après-guerre. Entre 1990 et 2010, le Salon d’automne n’a pas réussi à intégrer les jeunes artistes de la génération d’après-guerre et continuait à attirer plutôt les artistes dont le travail s’inscrivait dans une certaine tradition d’arts plastiques. La génération d’après-guerre n’est donc pas très bien représentée dans la collection permanente du musée Sursock, et nous essayons de combler ces lacunes énormes. Cela est également dû au fait que le musée, par manque de moyens durant de longues années, n’a pas pu acquérir des oeuvres de manière systématique et régulière. »

Depuis le « nouveau mandat », l’accrochage de la collection permanente change chaque année selon « une narrative différente, et c’est à chaque fois l’occasion de faire de la recherche ainsi que de belles rencontres avec les artistes ou leurs familles », indique la directrice du musée. C’est le cas de l’importante toile de Saïd Akl, Florilège (1960) présentée à la Biennale de Paris en 1961 et offerte au musée récemment grâce à l’intervention de l’artiste et critique Laure Ghorayeb qui l’avait aperçue dans le bureau de François Akl au journal an-Nahar. En 2016, la famille de Willy Aractingi offre au musée un lot de 224 toiles dépeignant les Fables de La Fontaine par l’artiste. Jusqu’en 2018, le musée n’avait aucune œuvre de Nabil Nahas dans ses collections, et cela s’explique par la pratique artistique américaine de l’artiste libanais qui, comme d’autres, n’a pas eu l’occasion ou n’a pas souhaité participer au Salon d’automne – qui était alors la seule exposition d’art contemporain collective –organisée par le musée. « Aujourd’hui, nous sommes heureux de compter au moins une peinture de Nabil Nahas dans nos collections et de constater la confiance de certains galeristes qui nous proposent aussi des donations. Le musée est soutenu par les artistes, familles d’artiste et professionnels de la culture. »

Une ressource pour les chercheurs

Au-delà de la collection permanente, il y a au musée Sursock des oeuvres qui ont fait l’objet d’un dépôt de longue durée (dix ou vingt ans). C’est le cas des 828 peintures à l’huile, dessins au charbon, au pastel ou sanguines de Georges Corm (1896-1971), conservés au musée et faisant l’objet d’un accord sur dix ans renouvelables. Ces oeuvres en dépôt agrandissent la collection, mais constituent surtout un corpus de référence pour tout chercheur désireux de comprendre la pratique d’un artiste. Et si elles continuent d’être la propriété des prêteurs, c’est bien le musée qui en est responsable.

La collection permanente compte à peu près 1 200 œuvres d’art (entre peintures, sculptures, documents graphiques, oeuvres audio, vidéos et textiles…). En 2018, 49 donations ont été faites et, jusqu’à présent, on dénombre six oeuvres pour 2019 ainsi qu’un dépôt important d’oeuvres et d’archives. 859 oeuvres sont dans les dépôts et sont traitées de la même manière que la collection. Le musée compte aussi des pièces importantes d’art islamique et des icônes melkites.

Deux oeuvres importantes de Cici Sursock et certaines d’Etel Adnan se sont surajoutées à la collection existante grâce aux donations.

« Pendant la durée des travaux de rénovation, la collection du musée n’a jamais quitté le bâtiment, signale Zeina Arida. Elle bougeait d’espace en espace selon les travaux, mais la stabilité climatique était assurée le mieux possible grâce à un équipement qui régulait la température et l’humidité. Quatre campagnes de restauration ont été nécessaires avant la réouverture du musée, la première concernant uniquement les sculptures et objets tridimensionnels, la deuxième traitant les oeuvres choisies pour le premier accrochage des collections (2015), la dernière ayant eu lieu après la réouverture (2015-2016). » La dernière campagne n’était composée que de documents graphiques. Il s’agissait d’abord d’inspecter chaque oeuvre, de la dépoussiérer et parfois d’intervenir légèrement pour la stabiliser. Quelques rares oeuvres ont fait l’objet d’une intervention.

« Mais le musée a eu une politique non interventionniste et se suffit de restaurer simplement pour préserver l’oeuvre. On a fait une restauration d’oeuvres graphiques et de sculptures avec Isabelle Doumet et Nathalie Hanna. Le musée jouit également de deux réserves, l’une qui a des conditions climatiques spécifiques aux photographies et aux arts graphiques, et l’autre, plus grande, pour les peintures, les textiles et les œuvres tridimensionnelles. Enfin un espace pour la reproduction et la numérisation de la collection. Un monte-charge permet d’accéder à chacun des niveaux du sous-sol. La circulation y est très fluide et le bâtiment est équipé selon les standards des musées internationaux », ajoute Zeina Arida.

Aujourd’hui le musée Sursock est une institution habilitée à faire des emprunts aux musées internationaux. Comme l’exposition Picasso qui va se faire avec le musée national Picasso-Paris dans le cadre du projet Picasso-Méditerranée. Un travail très important autour des archives et une bibliothèque achèvent de faire du musée Sursock une ressource majeure pour les chercheurs.

« Nicolas Sursock n’était pas un collectionneur d’art, mais il était sûrement un esthète. Il avait quelques tableaux, mais aussi des objets, explique Zeina Arida, directrice du musée Sursock depuis 2014. Comme il vivait entre Paris et Beyrouth, louant un hôtel particulier dans la capitale française, il fréquentait les brocanteurs et rapportait avec lui des objets chinés en...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut