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Portraits de collectionneurs

Richard Haykel, l’émotion avant tout

Collectionneur d’art libanais depuis près de 30 ans, Richard Haykel milite pour une émancipation des artistes libanais(es). Imprégné de l’amour de l’art qui circule dans sa famille depuis plusieurs générations, il reste toutefois lucide quant aux impitoyables stratagèmes du marché.

Richard Haykel. Photo Anne Ilcinkas

Quand on le rencontre, Richard Haykel est à l’image de la réputation emblématique qui le précède. Brut de décoffrage, cynique et chirurgical de précision dans les informations qu’il veut bien dévoiler. Dans sa famille, on collectionne les objets d’art depuis quatre générations maintenant. Enfant, il a souvent trainé dans les studios des plus grands noms de la peinture moderne internationale. D’ailleurs, un des plus grands peintres américains du XXe siècle sera témoin du mariage de ses parents. Il préfère taire l’identité de l’artiste par humilité ou par peur des regards malveillants…

Son père, médecin de formation, « soignait gratuitement ses amis artistes ». Un père franco-libanais et une mère américano-polonaise, tous deux fervents amoureux et collectionneurs d’œuvres artistiques, lui ont inculqué l’amour de l’art. Pourtant, contrairement à ses parents qui ne collectionnaient que des œuvres produites par des peintres occidentaux, Richard Haykel, « par contre-réaction », comme il l’indique lors d’un entretien avec L’Orient-Le Jour et parce qu’il croit « profondément à la qualité des artistes libanais », s’intéresse aux peintres et artistes de son pays. « J’achète les pièces d’art que j’aime. Je ne peux l’expliquer, mon cœur s’arrête de battre lorsque je vois une œuvre qui me plait », explique celui qui possède quelques centaines de peintures d’artistes libanais. Refusant de dévoiler le nombre exact de peintures de sa collection, il déplore toutefois l’aspect hautement spéculatif de l’obtention de pièces d’art. « Mises à part quelques rares exceptions, très peu de personnes achètent de l’art parce qu’elles sont touchées par l’œuvre elle-même ou par ses qualités esthétiques et artistiques. La plupart des gens acquièrent de l’art pour des raisons spéculatives ou pour des questions de statut social », indique le collectionneur qui, à l’instar de Robert Hughes, sait qu’il n’est plus possible aujourd’hui de se débarrasser de « la malédiction de Mona Lisa » (voir encadré).

Une ode aux femmes

Richard Haykel a commencé à collectionner des œuvres d’art d’artistes libanais en 1991, l’année de son retour à Beyrouth. Celui qui a fait des études d’économie et d’histoire de l’art aux États-Unis et finira par rentrer au bercail pour rejoindre l’entreprise familiale spécialisée dans les soins médicaux se rappellera toujours de sa première acquisition : une toile de Omar Onsi (31x39 cm) A View from Ras Beirut. Lentement mais sûrement, Richard Haykel se constitue une des plus importantes collections d’art libanais. Des artistes libanais, mais aussi des libanaises. « Ma mère nous a inculqué une éducation féministe, et naturellement les femmes peintes par Paul Guiragossian, entre autres, me touchaient beaucoup », explique-t-il. D’ailleurs, sur les murs de sa maison, un accrochage de tableaux exclusivement féminins y figure. « Je change l’accrochage tous les 18 mois en moyenne. En ce moment, c’est un hommage aux artistes libanaises et régionales », ajoute le collectionneur. Des toiles d’Huguette Caland, Helen Khal, de Saloua Raouda Choucair, Rima Amyuni, Etel Adnan, Fadia Haddad, Tagreed Darghouth, Danièle Génadry, Chaza Charafeddine, Mona Hatoum, Yvette Achkar et Caline Aoun, entre autres, tapissent les murs. Parallèlement, des sculptures de Ginane Makki Bacho et un des fameux obus de Katya Traboulsi, entre autres, trônent dans les différentes pièces.

Si Richard Haykel sait que l’art libanais n’a pas fini d’éblouir galeristes et collectionneurs locaux et internationaux, il admet toutefois que les œuvres locales n’ont pas encore trouvé leur place de choix sur le marché de l’art. Un manque de soutien du gouvernement, une absence de législation et de transparence, et un manque d’aide aux jeunes talents émergents, autant de facteurs qui expliqueraient des opportunités manquées, selon le collectionneur. Il se réjouit toutefois de la création, certes tardive, de musées et plateformes culturels régionaux, tels que « le Louvre à Abou Dhabi, le Désert rose au Qatar et bientôt le BeMA à Beyrouth qui promeuvent entre autres un plus grand intérêt pour l’art », indique-t-il.

Une fois l’âge mûr atteint, que compte-t-il faire de sa collection ? « Ma femme et mes enfants en récupéreront sans doute certains. Pour le reste, j’aimerais les donner à des musées à vocation éducatrice avant tout. Des musées qui seront gratuits à tous les jeunes, notamment ceux des écoles publiques », conclut Richard Haykel.




The Mona Lisa Curse, ou La Malédiction de Mona Lisa est une expression du fameux critique d’art australien Robert Hughes qui finira par en faire un documentaire*. Hughes déplore la manière avec laquelle la face de l’art a changé depuis quelques décennies. Les œuvres d’art ne sont plus appréciées pour leur valeur artistique, mais classées selon leur valeur marchande. Par conséquent, Hughes explique dans plusieurs entretiens que le prix d’une œuvre est en rapport direct avec la promotion et la publicité qu’on en fait, et non pas avec sa valeur intrinsèque. Selon l’expert, cette tendance a été confirmée en 1963 lorsque le Mona Lisa de Léonard de Vinci a été exposé à New York. « Les gens ne sont pas venus pour regarder le tableau, mais simplement pour pouvoir raconter qu’ils l’ont vu. Le Mona Lisa était traité comme une star de cinéma. À partir de ce moment, les œuvres d’art sont devenues des célébrités à part entière », expliquera Hughes.

* « The Mona Lisa Curse » (2008), réalisé par Mandy Chang

Quand on le rencontre, Richard Haykel est à l’image de la réputation emblématique qui le précède. Brut de décoffrage, cynique et chirurgical de précision dans les informations qu’il veut bien dévoiler. Dans sa famille, on collectionne les objets d’art depuis quatre générations maintenant. Enfant, il a souvent trainé dans les studios des plus grands noms de la peinture moderne...

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