En dépit du climat d’accalmie distillé en début de semaine par le président de la République Michel Aoun et le Premier ministre Saad Hariri, c’est une nouvelle querelle qui s’annonce déjà entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises, autour des nominations administratives. Accusant le leader du courant aouniste, Gebran Bassil, de contrôler le pays et de tenter de monopoliser les nominations dans les postes réservés aux chrétiens, les FL ne trouvent de meilleure solution que celle de renvoyer la balle dans le camp du chef de l’État, pour sauver le compromis présidentiel une bonne fois pour toutes.
À la faveur de la rencontre tenue mercredi dernier au palais de Baabda entre Michel Aoun et Saad Hariri, le Conseil des ministres se réunira mardi prochain à 11h30 au Sérail sous la présidence du Premier ministre. Outre le fait qu’elle constitue la concrétisation de l’entente entre les deux pôles de l’exécutif, la tenue de la réunion gouvernementale au Sérail implique un nouveau report sine die des nominations administratives, gelées depuis des mois, notamment pour ce qui est des vice-gouverneurs de la Banque du Liban.
Il n’en reste pas moins que les FL se préparent déjà pour la bataille attendue en Conseil des ministres autour de ces nominations. Après avoir donné le ton lors d’une conférence de presse tenue lundi à Meerab, le leader du parti, Samir Geagea, s’en est pris hier au chef du CPL, Gebran Bassil, à ce sujet. Sans mâcher ses mots, il a déclaré à l’agence locale al-Markaziya : « Le problème réside dans le fait que Gebran Bassil croit que tout comme Saad Hariri tranche dans les nominations sunnites, et que le tandem Amal-Hezbollah se prononce sur les noms chiites, il veut monopoliser les postes chrétiens, oubliant que certains binômes devraient être pris en considération, à l’instar du tandem chiite qui partage ses postes entre deux partis. » « Quoi qu’il en soit, cette approche devrait être changée au profit de l’application d’un mécanisme à même de permettre à des capacités libanaises de faire leur apparition. Celles-ci sont nombreuses, alors pourquoi ne pas en profiter, sachant qu’il revient au gouvernement de trancher la question ? » s’est interrogé le chef des FL.
Mais c’est surtout en répondant à une question portant sur l’avenir du compromis présidentiel que M. Geagea s’est attaqué au chef de la diplomatie. « Nous tentons et œuvrons pour sauver le compromis présidentiel. Mais la majorité des protagonistes estiment que M. Bassil contrôle le jeu politique et qu’il n’y a personne pour lui poser des limites. Même les discussions après la rencontre de Baabda vont se poursuivre, selon nos informations, entre Saad Hariri et Gebran Bassil », a déploré le chef des FL, avant d’enchaîner : « Les choses paraissent difficiles. Mais cela ne signifie pas que nous ne tentons pas de sauver l’entente avec le ministre Bassil. Le compromis était bon, mais ce qui se passe dans son cadre n’est pas sain. »
Selon Samir Geagea, « l’entente élargie n’est pas un moyen d’annuler les autres, ni une course pour la présidence de la République ». Et le chef des FL de renvoyer ouvertement la balle dans le camp du chef de l’État. « Le président de la République Michel Aoun est le seul à pouvoir sauver l’entente et nous misons sur lui dans ce domaine », a-t-il lancé.
(Lire aussi : Les nominations, prochaine bataille de Gebran Bassil)
La réforme électorale
Le leader des FL a par ailleurs évoqué le projet de loi électorale proposé par le président de la Chambre Nabih Berry et prévoyant la proportionnelle avec le Liban comme circonscription unique. En dépit des bons rapports liant Meerab à Aïn el-Tiné, le leader maronite n’a pas manqué de critiquer le projet au vu principalement de son timing. Il a estimé que la proposition de M. Berry relève du « déjà-vu ». « D’autant que les discussions engagées pendant plus de dix ans se sont articulées autour de l’option du Liban en tant que circonscription unique, laquelle a fini par être abandonnée, dans la mesure où des protagonistes comme les FL, le CPL et le Parti socialiste progressiste s’y opposent. Pourquoi alors la remettre aujourd’hui sur le tapis ? » s’est interrogé le chef chrétien.
Exprimant son étonnement de voir le président de la Chambre rouvrir le débat sur la législation électorale, Samir Geagea a souligné que le texte actuellement en vigueur (la proportionnelle à 15 circonscriptions avec vote préférentiel au niveau du caza) a remédié, pour la première fois, au problème de la représentation de toutes les composantes libanaises. Et d’assurer qu’il est impossible de modifier l’essence de la loi électorale, estimant par la même occasion que le projet de Nabih Berry est « mort-né dans la mesure où la circonscription unique obéit à la logique de la démocratie du nombre qui va à l’encontre de l’esprit de Taëf ».
Il est vrai que les propos du chef des FL reflètent ce que des observateurs contactés par L’Orient-Le Jour appellent « des appréhensions chrétiennes » que ne manquerait pas de soulever le projet Berry. Mais les milieux du président de la Chambre minimisent sciemment la portée politique de ces critiques. À L’OLJ, Michel Moussa, député de Zahrani, explique ainsi qu’il est encore tôt de parler d’appréhensions. « L’heure est actuellement à la poursuite des contacts avec les différentes parties, afin de se faire une idée de leurs éventuelles observations. »
Des proches de Aïn el-Tiné cités par l’agence al-Markaziya assurent toutefois que M. Berry est attaché à sa proposition, soulignant qu’à la fin de la tournée, il chargera un comité d’experts de rédiger une nouvelle version qui prendrait en considération les critiques de toutes les parties, avant de la soumettre au Parlement.
(Lire aussi : L’accalmie consolidée par Aoun et Hariri... en attendant des « actes concrets »)
Hariri-Bassil
En attendant, les regards restent tournés sur la rencontre attendue entre les deux piliers de l’entente politique élargie de 2016, à savoir Saad Hariri et Gebran Bassil. Et pour cause : les observateurs estiment que ce meeting est à même de confirmer le climat d’accalmie porté par les deux pôles de l’exécutif.
Les milieux proches de Saad Hariri tentent cependant de minimiser, via L’OLJ, l’importance d’un tel entretien. Selon les haririens, il est tout à fait normal qu’un Premier ministre s’entretienne avec le chef de la diplomatie. Ces mêmes milieux soulignent que lors de sa conférence de presse, mardi dernier, le chef du gouvernement a mis les points sur les « i », une fois pour toutes. Et les proches de la Maison du Centre de faire savoir, par ailleurs, que les nominations ne seront pas évoquées lors de la séance gouvernementale parce qu’« elles ne sont pas encore prêtes ».
Entre-temps, il semble que la page de la colère sunnite suscitée par les propos ayant fuité de Gebran Bassil concernant le sunnisme politique n’est pas encore définitivement tournée. Se félicitant de la visite de Salim Jreissati, ministre d’État pour les Affaires de la présidence, à Dar el-Fatwa lundi dernier, des milieux musulmans cités par al-Markaziya ont critiqué Gebran Bassil « qui n’en finit pas de se lancer dans des aventures », appelant à éviter « les prises de positions à même d’enflammer davantage l’atmosphère politique ».
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commentaires (7)
Au moins vous avez essayez ya Hakim .. c est tout a votre honneur !!
Bery tus
02 h 55, le 16 juin 2019