Crise de confiance ? Obstruction à la justice ? Au lendemain de l’appel à la reprise des audiences lancé par le chef de l’État, le général Michel Aoun, une centaine de juges « contestataires » ont continué hier à faire la sourde oreille à la consigne de reprise du travail lancée par le Conseil supérieur de la magistrature. Les contestataires ont même outrepassé leur qualité de groupe informel en publiant un communiqué transmis par l’Agence nationale d’information (ANI – officielle) affirmant que « l’assemblée générale des juges du Liban a décidé mercredi de poursuivre son mouvement de grève, entamé le 3 mai, pour protester contre les décisions touchant aux avantages des magistrats ».
La seule « assemblée générale » des magistrats légitime est celle que convoque le Conseil supérieur de la magistrature, a fait valoir une source judiciaire proche du CSM, qui a été jusqu’à parler « d’usurpation de qualité ». « Nous sommes un pouvoir, est-il concevable qu’un pouvoir se mette en grève », s’est même exclamé le président du CSM, cité par des proches.
La persistance de la grève, entamée début mai, avait été critiquée la veille par le président Aoun, qui avait relevé qu’à l’approche des vacances judiciaires (15 juillet), « la grève sape le prestige de la justice, aggravant les souffrances des justiciables et élevant les risques de spoliation de leurs droits ». Hier soir, le ministre de la Justice Albert Serhane a déploré sur son compte Twitter le fait que « les magistrats contestataires n’aient pas répondu positivement à la volonté du chef de l’État que le travail reprenne ». « Je réitère notre souci de préserver les droits des magistrats et leur indépendance, a ajouté le ministre de la Justice. Je souhaite qu’ils révisent leur position dans l’intérêt de tout le monde. »
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Une lutte d’influence
Illégal dans la fonction publique, le mouvement de contestation semblait avoir perdu hier de son élan. Ainsi, en cassation, tous les tribunaux fonctionnaient normalement, le « débrayage » n’affectant qu’un certain nombre de tribunaux de première instance et d’appel.
La grève est loin d’être générale, explique un magistrat qui lui est hostile, mais en raison de la collégialité de ces instances, il suffit que l’un des deux assesseurs du magistrat soit absent pour que le travail de cette Cour soit entravé.
Selon la source judiciaire précitée, le mouvement reflète désormais une lutte d’influence livrée, par le biais d’intérêts corporatistes, au président du CSM, Jean Fahed. Et d’insister sur le fait que l’un des chevaux de bataille de la contestation concernait la caisse mutuelle des magistrats, qu’on a voulu aligner sur celle des fonctionnaires. Or, reprend-on, le ministère des Finances a renoncé à ce projet, sous la pression de tout le corps de la magistrature. Par ailleurs, on estime normal, dans les milieux du CSM, de s’associer par certains sacrifices secondaires à l’assainissement des finances publiques, à l’instar de tous les autres citoyens.
Contactée par L’Orient-Le Jour, une source proche des juges contestataires note que le nouveau budget augmente de 5 % l’impôt sur les salaires des magistrats et supprime des avantages tels que l’exemption du paiement des frais d’enregistrement des voitures et de la taxe mécanique. Des fonds alloués à la caisse de mutualité ont par ailleurs été réduits, notamment les fonds provenant des indemnités imposées par la justice aux contrevenants du code de la route qui n’ont pas payé leurs amendes. Dans le système actuel, la mutuelle recueille 30 % de ces indemnités, alors que le budget 2019 ne lui en accorde que 25 %.
La grève des professeurs à l’UL
Par ailleurs, l’exécutif continue de faire face à un mouvement de grève des professeurs de l’Université libanaise, qui veulent aussi défendre leurs salaires et leurs indemnités de retraite. Le fer de lance de ce mouvement, ce sont les professeurs contractuels, qui voient s’envoler à jamais, avec le vote d’un budget d’austérité, leur rêve d’être cadrés. Près de la moitié des professeurs de l’UL sont des contractuels, relève-t-on.
Le mouvement est par ailleurs appuyé par les professeurs à plein-temps, indignés de voir le peu de cas que le Parlement fait de l’université nationale, dont le budget annuel a été réduit.
Livrés au désœuvrement, les étudiants de l’UL sont partagés, certains étant favorables à une grève qui défend essentiellement l’existence d’une Université libanaise qui accueille à elle seule 80 000 étudiants, alors que d’autres voient s’effilocher l’année universitaire à l’approche de la période d’examens. Dans la journée d’hier, des étudiants du campus de Hadeth et des premières sections ont observé un sit-in, en présence du président de l’UL, Fouad Ayoub, pour réclamer la suspension de la grève des professeurs et la reprise des cours « de manière intensive afin de sauver l’année universitaire ».
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commentaires (3)
DOMMAGE QUE DES GENS INSTRUITS CHOISISSENT DE BOYCOTTER LES MESURES BUDGETAIRES POUR LE SAUVETAGE DE L,ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L,EXISTENCE DU PAYS. QUE DIRE DES GENS ORDINAIRES ?
LA LIBRE EXPRESSION
09 h 25, le 30 mai 2019