La proximité de cheikh Michel Béchara el-Khoury avec la Constitution libanaise de 1926 ne se limite pas à l’âge qu’il partage avec elle. L’ancien ministre connaît aussi personnellement l’un de ses contributeurs les plus célèbres, Michel Chiha. Pour défendre le legs de celui que certains présentent comme le père fondateur du système politique de l’État libanais, Michel el-Khoury est aujourd’hui le vice-président de la fondation éponyme. À l’occasion du concours annuel qu’elle organise, l’homme politique analyse pour L’Orient-Le Jour la pertinence de la pensée de Michel Chiha dans le Liban actuel. Et tente de déceler ce qu’il reste du rêve des géniteurs de l’État confessionnel.
C’est dans le salon de son appartement spacieux d’Achrafieh, entouré de bibliothèques garnies de livres et de disques, que cheikh Michel el-Khoury reçoit. Pour saisir la pensée de Michel Chiha, il invite d’emblée à se plonger dans une époque à laquelle l’existence du Liban actuel (le Grand Liban de 1920) n’était qu’une des options possibles. Car, lors du premier conflit mondial, les promesses de l’Angleterre de créer une entité arabe unifiée en cas de chute de l’Empire ottoman esquissent un destin régional bien différent. Les chrétiens de l’ancien moutasarrifiya du Mont-Liban eux-mêmes sont divisés. « Ce n’était pas une chose facile que d’imaginer le regroupement d’un certain nombre d’ethnies et de rites différents à l’intérieur d’une même entité géographique », rappelle Michel el-Khoury.
(Pour mémoire : Michel Chiha d’hier et d’aujourd’hui)
Michel Chiha est alors déjà connu pour son engagement en faveur d’un pays aux frontières élargies. Mais c’est sous le mandat français que son rôle va s’avérer déterminant. L’intellectuel et journaliste participe en effet à la commission chargée de l’élaboration de la Constitution libanaise. Le texte traduit de manière institutionnelle sa vision d’un État composé de « minorités associées », qu’il défend corps et âme contre les tenants d’un rapprochement avec la Syrie. « Michel Chiha voulait ainsi dire qu’aucune communauté n’était majoritaire et ne pouvait gouverner seule, chacune ayant besoin de l’autre », décrypte Michel el-Khoury.
L’intellectuel souhaitait que la mise sur pied d’un Parlement fort conduise les représentants communautaires à échanger et finalement s’unir autour d’un projet national. Le partage des postes au sommet de l’État entre les communautés n’est alors perçu que comme un outil transitoire pour atteindre cette union. « Dans l’esprit de Michel Chiha, il fallait faire une sorte de rotation des fonctions publiques », rappelle Michel el-Khoury. C’est en réalité le pacte national de 1943 puis les accords de Taëf de 1989 qui graveront dans le marbre la répartition des fonctions pratiquée aujourd’hui.
Une fois la Constitution adoptée, Michel Chiha continue de défendre sa conception du Liban dans les colonnes du journal Le Jour. « C’était un catholique libéral, plutôt un homme de droite, qui avait beaucoup de relations avec Maurice Barrès, avec Charles Maurras (NDLR : extrême droite française) », se souvient Michel el-Khoury. Fervent patriote, il dénonce le zèle dont font preuve les Français dans la gestion du mandat et se fait le fer de lance du Parti destourien de Béchara el-Khoury. L’écrivain francophone y défend aussi son idée de l’identité libanaise comme point de jonction entre l’Occident et l’Orient. « Michel Chiha souhaitait que le Liban devienne un exemple de coexistence, non seulement entre deux religions, mais aussi entre deux civilisations », explique Michel el-Khoury.
(Pour mémoire : La citoyenneté, thème du concours de la Fondation Michel Chiha pour 2019)
Il avait entrevu l’effondrement du système
Que reste-t-il aujourd’hui de cet héritage ? Malgré un optimisme sans faille, le fils du premier président du Liban indépendant est partagé. Les vicissitudes traversées par le pays du Cèdre n’ont que partiellement confirmé l’intuition de ses fondateurs. « Je pense aujourd’hui que les chrétiens qui ont eu la responsabilité du pouvoir l’ont très mal géré et ont largement contribué à faire échouer ce rêve, tranche-t-il, pesant soigneusement ses mots. Mais ils ne sont pas entièrement responsables : les circonstances extérieures ont contribué à détruire dans une certaine mesure la notion de nation libanaise. »
Celui dont le nom fut plusieurs fois évoqué comme candidat à la présidence de la République pointe au premier plan, tout comme Michel Chiha en son temps, les conséquences délétères de la création de l’État d’Israël. « Michel Chiha avait entrevu l’effondrement du système institué en 1943 », écrit-il en préface d’une anthologie consacrée au fondateur du Jour, parue en 2018. Et pointe avec sévérité le rôle du Hezbollah dans le déclin du projet national. Son visage s’anime ainsi joyeusement lorsqu’il évoque la révolution du Cèdre de 2005, avant de froncer les sourcils : « Michel Chiha aurait voulu que le Hezbollah participe à cette alliance .»
Mais en attribuant les fractures nationales à ces influences externes, Michel el-Khoury veut montrer que la voie ouverte par Michel Chiha n’a rien perdu de son actualité : « Quels que soient les accidents de parcours, la formule d’un Liban vivant en bonne intelligence et en bon voisinage avec l’ensemble des communautés est un pays non seulement viable mais souhaitable. C’est la formule idéale pour pouvoir vivre de manière digne. »
Pour mémoire
La confiance, thème central du concours interscolaire de la Fondation Michel Chiha
La Fondation Michel Chiha remet les prix aux lauréats de son concours annuel
commentaires (8)
Bah c’est surtout la preuve que ces “visionnaires” pnt mal vu, car le principe même du visionnaire c’est de voir les choses avant les autres et ce monsieur n’a pas vu que ses amis français s'étaient partagés le gâteau avec les anglais et qui allaient plus tard laisser leur part aux sionistes avec les effets que l’on connait qui étaient plus que prévisibles à l’époque. Bon c’est pas sa faute, c’est celle des gens qui aiment idolâtrer de vieilles reliques inutiles nostalgiques d’un temps où leurs modèles de l’ouest avait encore une certaine sympathie pour eux qui leur conféraient ainsi un certain pouvoir. Yalla meshe l7al c’est pas grave, levez la tête regardez droit devant
Chady
22 h 55, le 03 mai 2019