« Quelques pluies printanières au mois d’avril sont toujours les bienvenues. Mais une telle vague de froid, de gel et de neige durant ce mois est inédite et a causé des dégâts considérables dans les récoltes. » Ces propos d’un agriculteur de Tyr, Adel Yacoub, décrivent parfaitement l’état d’esprit de tout le secteur hier. « La grêle a déjà endommagé de nombreuses cultures d’extérieur, qu’on plante hors des serres à cette période de l’année, explique Antoine Hoyek, président de l’Association des agriculteurs du Liban. Le phénomène s’étend à plusieurs régions du pays, déjà durement frappées. Mais le désastre sera total si le gel frappe encore cette nuit, alors que le ciel s’est dégagé. »
La vague de froid exceptionnelle que le Liban a connu le week-end dernier venait de Russie, en passant par plusieurs pays méditerranéens, ainsi que le confirme à L’Orient-Le Jour Marc Whaïbi, chef du service météorologique à l’aéroport de Beyrouth. Cette année a apporté une abondance de pluies au pays, contrairement aux années précédentes, ce qui a permis le renouvellement des ressources hydrauliques avec des neiges aussi tardives, dit-il. Mais les conséquences auront-elles été aussi clémentes pour l’agriculture ? Rien n’est moins sûr.
Dans un communiqué publié hier, l’Institut des recherches agricoles au Liban (IRAL) a mis les agriculteurs en garde contre « la possibilité de la formation d’une couche de gel en raison des vents froids du Nord-Ouest qui frappent le Liban, dans les deux nuits de lundi à mardi et de mardi à mercredi, atteignant une altitude d’un millier de mètres ». Michel Frem, président de l’IRAL, a demandé aux agriculteurs « de prendre les mesures qui s’imposent, sachant que les vents seront du Nord-Ouest, et qu’il faudra prévoir une source de chauffage ».
Toujours selon les sources de la météo de l’AIB, les températures dans une région comme les Cèdres (Bécharré, 2 000 mètres d’altitude) devront tomber à -4 durant ces deux nuits, et elles seront aussi basses que 3 à Zahlé (chef-lieu de la Békaa), 1 à Qartaba ou encore 4 à Baïssour (850 mètres environ). Dans de nombreuses régions donc, les craintes sont fondées.
Antoine Hoyek explique pourquoi le gel, dans ces circonstances particulières, est si nocif, bien plus que la neige encore. « Si la plante a déjà fleuri ou bourgeonné, et que l’eau qui la recouvre gèle, elle va se fissurer et être définitivement perdue, souligne-t-il. Nous courons le risque de voir une saison entière de légumes et de fruits saisonniers décimée. »
M. Hoyek explique que les agriculteurs n’ont d’autre choix que de se conformer au calendrier agricole, ce qui les oblige à planter à l’extérieur les cultures d’été à partir du 15 avril, voire à partir de début avril pour ceux qui veulent avoir la primeur. « Il existe une technique de petites serres pour protéger les plants dans un premier temps, mais elle reste dérisoire face aux ravages d’une telle vague de gel », déplore-t-il.
Pour effectuer un bilan général, le président de l’association dit attendre des rapports plus détaillés dans les régions. Mais les informations dont il dispose déjà sont éloquentes. « La grêle a déjà fait des ravages dans plusieurs zones du littoral, dans plusieurs montagnes et certaines régions de la Békaa, précise-t-il. Les légumes d’été ont été durement touchés, mais aussi les arbres fruitiers : prunes, abricots, pommes… »
(Pour mémoire : Sur les hauteurs du Liban, Vendredi saint sous la neige)
Le gel, plus nocif que la neige
Nous sommes face à un désastre d’ampleur nationale si le gel persiste, selon Antoine Hoyek. Et la panique gagne effectivement les agriculteurs. Adel Yacoub, qui possède de grandes plantations de fruits et légumes dans la région de Tyr, dont de larges superficies de bananiers et d’agrumes, explique comment sa région a été durement touchée par ces intempéries inattendues. « Les légumes et les pastèques et melons étaient déjà en fleurs, dit-il. Nous aurions dû les récolter au mois de juin. Or même si nous attendons une nouvelle floraison, elle sera plus tardive et pas de la même qualité. »
Même son de cloche du côté de Bécharré, avec Harès Tok qui, comme beaucoup d’agriculteurs de la région, est propriétaire de pommiers et de cerisiers. « Nous avons connu ces derniers jours de la neige, de la grêle et des vents forts, une combinaison qui a eu un effet dévastateur sur les pommiers notamment, dit-il. S’il y a du gel les nuits suivantes, ce sera la fin pour cette saison de fruits du Mont-Liban. Par contraste, nous craignons moins la neige : nos cerisiers dans la région des Cèdres ne sont toujours pas en fleurs, une telle vague de gel ne pourra les affecter. »
Ali Sawan, un agriculteur de la Békaa qui a de nombreuses cultures allant des fruits aux légumes, assure que les récoltes de la région « ont été jusque-là épargnées par la grêle ». « Nous craignons surtout le gel ce soir (la nuit dernière) pour les fruits et les pommes de terre, poursuit-il. Car même si la dépression météorologique est terminée, le froid venant des deux chaînes de montagne enneigée affecte particulièrement la vallée qu’est la Békaa. »
De manière générale, les agriculteurs interrogés estiment que les pertes représentent environ 50 % des récoltes, un taux qui pourrait dramatiquement s’aggraver en cas de persistance du gel.
Si nous sommes face à un tel désastre, qui indemnisera les agriculteurs ? « Nous sommes dans la perspective d’une confrontation avec les autorités, affirme Antoine Hoyek. Nous parlons de pertes en millions de dollars, et potentiellement en dizaines de millions si les pires scénarios se confirment. Or un simple recensement auprès des quelque 100 000 agriculteurs prendrait des mois. Voilà pourquoi notre principale revendication, pour une solution définitive, est l’adoption d’un projet de loi qui dort dans les tiroirs depuis 2005, pour la création d’une Caisse agricole d’indemnités en cas de catastrophes naturelles. »
Pour mémoire
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