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Liban - Science

Vers un renforcement du rôle des chercheuses au Liban

L’Observatoire national pour la femme dans la recherche, DAWReK’n, vient d’être lancé au CNRS.

Tamara Zein présentant les résultats des recherches préliminaires de l’observatoire, qui devraient aboutir à un atlas des chercheuses aux données complètes. Photos Marwan Assaf

Évaluer la présence des femmes dans le secteur de la recherche n’est pas chose aisée : les informations manquent, et le sujet a rarement été abordé sous l’angle du genre. Pour la première fois, le tout nouvel Observatoire national pour la femme dans la recherche, lancé lundi au Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) où il sera basé, s’attaquera au problème du soutien aux chercheuses dans un secteur qui ne leur est pas toujours favorable, surtout quand il s’agit de gravir les échelons. Ce projet, qui sera financé durant deux ans par l’Unesco, a un nom évocateur : DAWReK’n, pour « Dynamic Actions for Women in Research and Knowledge », un sigle qui, en arabe, signifie « votre rôle » au féminin pluriel.

Pourquoi un observatoire spécialement conçu pour les femmes, alors que les recherches nécessitent des compétences qui peuvent se trouver chez des individus des deux sexes ? Tamara Zein, coordinatrice de l’observatoire et directrice des bourses de doctorat au CNRS, répond aux questions de L’Orient-Le Jour par des chiffres qui démontrent l’inégalité effective sur le terrain, à capacités égales.

« Depuis que le projet a été accepté en automne dernier, j’ai commencé à contacter les universités pour obtenir les chiffres concernant la participation de la femme dans le domaine de la recherche, dit-elle. Ces chiffres ne sont pas suffisants en soi, mais je me suis appuyée sur quatre indicateurs : le nombre de doctorantes, le nombre de professeures universitaires et chercheuses, le nombre de doyennes et le nombre de présidentes d’université. Qu’est-ce qui explique que parmi les doctorants, les femmes constituent 60 % des effectifs, alors qu’elles ne représentent plus que 40 % des professeurs et 20 % des doyens, sachant que seules quatre petites universités sont présidées par des femmes, alors que les établissements sont au nombre de 47 au Liban ? »

« Nous voulons que la présence féminine s’accentue dans les cercles de la recherche parce que les talents des femmes sont actuellement gaspillés, affirme la chercheuse. Où sont passées les 60 % de doctorantes ? Nous avons remarqué que quand le seul paramètre pris en compte est celui de la compétence et des sciences, et quand la politique et la discrimination ne s’en mêlent pas, les femmes s’affirment sans problème. »

Elle poursuit : « Certains ont pu penser que nous revendiquons une simple augmentation dans les nombres. Ce n’est pas le cas. Quand la femme s’implique dans les recherches, elle apporte une particularité autre, et les résultats s’en ressentent. À titre d’exemple : aux États-Unis, entre 1997 et 2000, dix médicaments ont été retirés des marchés. Huit d’entre eux avaient des effets secondaires néfastes, sinon mortels, pour les femmes en particulier. Il s’est avéré qu’une lacune avait entaché les tests préliminaires : les chercheurs étant des hommes, et les cobayes aussi, ces effets secondaires n’ont pu être constatés à temps. L’approche change quand la femme intègre les cercles de la politique de recherche. »


(Lire aussi : Stéphanie Challita, la jeune Libanaise qui voulait « clarifier le langage des nuages informatiques »)


Mettre au point un système de mentorat
Quel est le plan de travail de l’observatoire, sachant que les cibles de la campagne dont il se fait l’écho sont nombreuses : les chercheurs eux-mêmes, les universités, les politiques, les législateurs ? « Pour être réaliste, on ne peut pas commencer par l’amendement des lois avant d’avoir réalisé des avancées sur le terrain, explique Tamara Zein. Il est obligatoire d’effectuer une étude d’évaluation de la situation, et cela sera fait incessamment dans le cadre de l’atlas des chercheuses au Liban, qui sera un guide complet sur ce sujet avec des recommandations et des analyses approfondies. »

« Il est vrai que l’Unesco appuie ce projet pour deux ans, mais notre objectif est d’en faire une plateforme continue, car il répond à un besoin, poursuit-elle. Nous avons une lacune au Liban dans le sens où les étudiants, après avoir décroché leur doctorat, ne sont pas préparés à devenir chercheurs. Et cela affecte les hommes tout comme les femmes, mais ces dernières finissent par en souffrir davantage car elles sont soumises à un autre type de pressions sociales (famille, enfants, attentes de la société…) qui les poussent souvent à suspendre leur carrière quelques années. Nous aspirons à améliorer leurs capacités afin qu’elles dépassent leurs appréhensions. Et, surtout, quand leurs réalisations sont mises en valeur, elles sont encouragées à se donner davantage. »

Tamara Zein a elle-même expérimenté cela : être lauréate du prix L’Oréal-Unesco pour les femmes en sciences a boosté sa carrière et en a fait un exemple pour d’autres chercheuses.

Une des missions de cet observatoire sera donc de donner des chances aux femmes de décrocher des financements pour des projets de recherches. N’est-ce pas un autre risque de discrimination ? « Nous ne voulons pas les appuyer simplement parce que ce sont des femmes qui présentent des projets de recherches, précise-t-elle. Nous cherchons simplement à améliorer leur contribution dans ce domaine. D’où l’importance de la culture du mentorat, quand un chercheur senior épaule un chercheur plus jeune pour l’aider à décoller. L’un de nos projets consistera à envoyer deux chercheuses chaque année à Montpellier, afin qu’elles suivent une formation de mentorat, sous condition de servir de mentor, une fois rentrées, à vingt ou vingt-cinq doctorantes ou jeunes chercheuses. »

Dans l’absolu, la chercheuse estime qu’il faut que les différentes institutions au Liban prennent en compte la spécificité des femmes. « Quand la femme éduque ses enfants, elle contribue à l’éducation de toute une société, dit-elle. Il faut, en parallèle, lui permettre de réaliser tout son potentiel et prendre tous les facteurs en considération lors des promotions. »


« La sous-représentation des femmes, une perte pour la société »
L’observatoire sera basé au CNRS, mais sera ouvert à d’autres institutions, comme l’Institut français qui offrira deux bourses de doctorat à des femmes, l’Agence universitaire de la francophonie qui assurera des bourses pour les formations de mentorat à Montpellier, ou encore le DAAD (une association dont les membres sont des établissements d’enseignement supérieur allemands), qui contribuera à l’organisation d’ateliers de travail pour l’écriture de projets de recherches…

Le lancement du projet était placé lundi sous le parrainage et en présence du ministre de la Culture, Mohammad Daoud, et en présence du vice-président du comité national de l’Unesco, le juge Abbas Halabi, du secrétaire général du CNRS, Mouïn Hamzé, ainsi que de nombreux universitaires et chercheurs.

M. Daoud a rendu un vibrant hommage à la femme et à ce projet « pionnier » qui « renforcera la contribution de la femme libanaise dans le secteur de la recherche et des connaissances ». « La contribution de la femme à la recherche n’est pas une faveur qu’on lui fait ni un bonus, elle doit être considérée comme naturelle dans des sociétés qui cultivent l’idée de la citoyenneté », a-t-il ajouté.

M. Halabi s’est, quant à lui, félicité de cette initiative conjointe entre l’Unesco et le CNRS, « une initiative très importante du fait qu’elle permet d’atteindre le cinquième des objectifs de développement durable du millénaire (ONU), celui de l’égalité entre hommes et femmes ».

Dans son mot, M. Hamzé a estimé que cet observatoire « répondra à un besoin national qu’il ne faut plus ignorer, étant donné que la sous-représentation de la femme dans les postes de leadership est une perte pour la société ». Il s’est dit convaincu que « le recul de la présence des femmes dans les hauts postes est dû à leur éloignement relatif des cercles politiques qui prennent les décisions dans les nominations des universités et des centres de recherche ». Il a insisté sur le fait que DAWReK’n sera complémentaire des différentes initiatives concernant les femmes dans le pays.

Évaluer la présence des femmes dans le secteur de la recherche n’est pas chose aisée : les informations manquent, et le sujet a rarement été abordé sous l’angle du genre. Pour la première fois, le tout nouvel Observatoire national pour la femme dans la recherche, lancé lundi au Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) où il sera basé, s’attaquera au problème du...

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