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À La Une - Proche-Orient

Le gel par Israël des taxes dues aux Palestiniens : une mesure à risques

La crise financière pourrait être encore aggravée si le président Abbas met en œuvre l'ultimatum énoncé mercredi : soit Israël reverse l'intégralité des taxes, soit l'Autorité n'acceptera aucun reversement.

Un membre des forces de sécurité israéliennes monte la garde alors que des employés palestiniens patientent pour pouvoir accéder à la zone industrielle de Barkan, en Cisjordanie occupée, le 9 octobre 2018. Photo d'archives REUTERS/Mohamad Torokman

Israël a décidé de bloquer des dizaines de millions d'euros de taxes dues à l'Autorité palestinienne, en rétorsion aux aides versées par celle-ci aux prisonniers auteurs d'attentats anti-israéliens. Les raisons et les enjeux d'une mesure à risques.


Le contexte

En 1994, Israéliens et Palestiniens signent le Protocole de Paris, ensuite intégré aux accords d'Oslo pour la paix. L'accord régit les relations économiques et instaure une union douanière entre Israël et les Territoires palestiniens, Israël contrôlant les frontières. Israël prélève la TVA et les droits de douane sur les produits importés par les Palestiniens. Il doit les reverser régulièrement à l'Autorité palestinienne. Ces taxes constituent la plus importante source de revenus de l'Autorité, environ 70% de ses recettes, selon le politologue palestinien Jihad Harb.

Le ministère des Finances israélien dit à l'AFP collecter environ 700 millions de shekels (170 millions d'euros) de taxes chaque mois sur les importations palestiniennes, et déduire de cette somme 100 millions de shekels (24 millions d'euros) pour financer certains services délivrés aux Palestiniens.

Le Protocole était censé être provisoire, tout comme le processus de paix était intérimaire. Avec l'enlisement du processus, le Protocole est toujours en vigueur. L'économie palestinienne reste sous la dépendance israélienne.



La décision israélienne

Dans un contexte de conflit persistant et de violences régulières, Israël s'est servi à plusieurs reprises de ces dispositions pour sanctionner l'Autorité.

Le gouvernement de Benjamin Netanyahu a annoncé dimanche qu'il allait geler 138 millions de dollars (122 millions d'euros) destinés à l'Autorité, en vertu d'une loi votée en 2018. La loi permet à Israël de geler le reversement des taxes dues aux Palestiniens à hauteur des allocations que ceux-ci versent aux auteurs des attaques anti-israéliennes ou à leur famille.


(Pour mémoire : Netanyahu veut bloquer des fonds palestiniens après le meurtre d'une Israélienne)



L'argent des prisonniers

L'Autorité palestinienne présidée par Mahmoud Abbas verse des allocations aux familles des Palestiniens tués dans le cadre du conflit, ou détenus par Israël, en fonction des peines qui leur ont été infligées. Ces prisonniers sont largement considérés par les Palestiniens comme des héros de la lutte contre l'occupation israélienne. Le président Abbas justifie le soutien aux familles des prisonniers et des "martyrs" comme "un devoir national".

Sahar Francis, directrice de l'ONG palestinienne Addameer pour les prisonniers, indique que cet argent constitue "une assurance sociale pour garantir leur subsistance". Plus de 5.000 Palestiniens sont détenus en Israël selon Addameer. La pratique scandalise les Israéliens et leurs alliés américains. Elle encourage la violence et discrédite le discours de M. Abbas sur sa volonté de paix, disent-ils.

Le montant de ces aides n'a jamais été divulgué par l'Autorité. Un des députés israéliens à l'origine de la loi de 2018 a estimé qu'elles s'élevaient à 1,2 milliard de shekels l'an dernier (290 millions d'euros).



Les conséquences financières...

Avant la décision israélienne, "l'Autorité palestinienne souffrait déjà de gros déficits", note Robert Tchaidze, représentant du Fonds monétaire international en Cisjordanie et à Gaza. Le FMI prévoyait en septembre un déficit de 620 millions de dollars (548 millions d'euros) en 2018. Pour 2019, en anticipant un gel des transferts israéliens plus important que celui annoncé dimanche, le FMI prédisait un déficit à hauteur d'un milliard de dollars (880 millions d'euros).

A cela s'ajoute une baisse drastique de l'aide étrangère directement versée au budget de l'Autorité, passée en cinq ans de 10% du PIB à seulement 3,5% l'an dernier. En 2018, les Etats-Unis ont coupé des centaines de millions de dollars d'aide aux Palestiniens.


La crise financière pourrait être encore aggravée si le président Abbas met en œuvre l'ultimatum énoncé mercredi : soit Israël reverse l'intégralité des taxes, soit l'Autorité n'acceptera aucun reversement. L'économiste palestinien Nasser Abdelkarim évoque "le début d'une énorme crise financière et économique", avec "un impact sur chaque citoyen de la Cisjordanie occupée et de Gaza".



(Lire aussi : À Hébron, la fin d’une mission d’observateurs ne présage rien de bon)



... et sécuritaires

Israël s'était gardé jusqu'alors d'appliquer la loi de 2018. Les responsables sécuritaires israéliens passent pour s'inquiéter de l'impact qu'elle pourrait avoir sur la stabilité de la Cisjordanie, mais aussi dans la bande de Gaza sous blocus. Le meurtre d'une Israélienne de 19 ans par un Palestinien en février semble avoir précipité les choses. Israël est actuellement en campagne électorale.

L'émissaire de l'ONU pour le Proche-Orient, Nickolay Mladenov, s'est alarmé mercredi d'un gel des transferts qui risque de "mettre en danger la stabilité financière de l'Autorité palestinienne et à terme la sécurité à la fois des Israéliens et des Palestiniens".

Jihad Harb pronostique une baisse sur les salaires des fonctionnaires en Cisjordanie occupée, mais aussi à Gaza, où la situation sécuritaire est hautement volatile, ainsi que des coupes dans les services de santé et d'éducation. Selon lui, même si les pays arabes mettent la main à la poche, la crise menace d'affecter la capacité de l'Autorité à contenir "les violences ou manifestations contre l'occupation israélienne".



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