Saad Hariri est un drôle de personnage qui n’a pas encore compris que pour avancer, pour progresser, pour prouver qu’il est bien plus qu’un héritier (malgré lui) né avec une tétine en or dans la bouche, il doit absolument tuer le père. Ce père-martyr qu’il adore et que l’histoire a déjà classé, malgré toutes les tares qui étaient les siennes lorsqu’il codirigeait le Liban, parmi les (très) rares bâtisseurs d’un pays bien plus souvent détruit que (re)construit. Tuer le père, encore une fois, c’est comprendre et accepter que s’il n’a pas les qualités de Rafic Hariri – il en a d’autres ; que le contexte a radicalement changé ; qu’il n’a plus le luxe de tergiverser, d’avaler des familles entières de couleuvres, de se laisser marcher sur les pieds ; accepter et comprendre, enfin, que la priorité absolue, avant même que d’appliquer les objurgations de CEDRE, est de changer les mentalités des Libanais – concrètement, par des gestes, par des lois qui seront strictement appliquées, et plus par des mots, par de grandes phrases creuses ou de promesses-slogans stériles et trop souvent entendues.
Dans sa réponse aux interventions des députés avant le vote de confiance, Saad Hariri a montré qu’il commençait à assimiler cette urgence. On le prendra au mot, avec le bénéfice du doute : La décision du gouvernement est de travailler, travailler, travailler. À la bonne heure. C’est la moindre des choses, et c’est exactement et uniquement pour cela que les Libanais paient les salaires de ces ministres. Qui, pour l’immense majorité d’entre eux, actuels et passés, ont tout fait sauf… travailler.
Il y a des signaux encourageants dans le gouvernement Hariri III. Il y a Raya el-Hassan, surtout. Indépendamment du fait qu’elle est la première femme à occuper le ministère de l’Intérieur et que le symbole est fort et doux à la fois, l’ex-ministre des Finances est connue pour son intégrité, sa rigueur et sa détermination à mener à bien et à bout n’importe quel objectif qu’elle se fixe. Travailler, travailler, travailler l’obligera à veiller à la sécurité des Libanais, certes, à s’assurer que la Sûreté générale et les FSI remplissent correctement leurs missions sans outrepasser leurs prérogatives, certes, mais d’abord à s’attaquer au plus urgent, au plus apparent : faire en sorte que nos vaillants daraks se souviennent qu’ils restent à la base d’un ordre public préservé, qu’ils ne peuvent fumer et manger que pendant leurs pauses, qu’ils se doivent de traiter les citoyens avec respect et équitablement, et décupler d’efforts pour en finir avec cette image de paresseux despotes qui se croient tout permis parce qu’ils appartiennent à telle ou telle communauté, tel ou tel parti. En somme, Raya el-Hassan doit s’atteler à changer les mentalités. Sa décision d’enlever barrages et tentes devant son ministère a été une excellente première mesure.
Il y a aussi Camille Abousleiman, le très prometteur et brillant ministre du Travail. Travailler, travailler, travailler, l’obligera à s’attaquer à la modernisation du Code du travail, certes, à combattre la corruption plus ardemment que ses collègues (il a d’ailleurs déjà annoncé la couleur), certes, mais aussi et surtout à dépoussiérer fondamentalement la Sécurité sociale, ce daman pourri jusqu’à l’os – n’en déplaise à Nabih Berry. Il y a également May Chidiac : qu’on l’adore ou qu’on la déteste, cette femme au tempérament d’acier va sans aucun doute, mais à condition qu’on le lui permette, jouer un rôle d’importance dans l’évolution d’un mammouth métastasé : l’administration publique. Il y a enfin de grands bosseurs, mis face à des défis coriaces et titanesques : Waël Bou Faour à l’Industrie, mais surtout Akram Chehayeb, qui devra multiplier les nuits blanches pour trouver des solutions aux cent et une gangrènes qui rongent ce qui reste le cœur de tout changement des mentalités : l’Éducation.
Sans leur faire le moins du monde quelque procès d’intention que ce soit, il est des femmes et des hommes flanqués, jusqu’à nouvel ordre, d’un gros point d’interrogation. Est-ce que Nada Boustani et Jamil Jabak se souviendront qu’ils sont ministres de l’Énergie pour l’une et de la Santé pour l’autre, pour tous les Libanais, et plus du tout une aouniste invétérée ou un hezbollahi uniquement préoccupé par la santé des hommes blessés en Syrie pendant qu’ils combattaient une barbarie (l’État islamique) pour préserver une autre (les Assad) ? Est-ce qu’Albert Serhane saura que le ministère de la Justice est le poumon du moindre changement des mentalités, et que travailler, travailler, travailler veut dire, dans son cas, qu’il est obligé avant toute chose de sacraliser les libertés publiques de l’ensemble des Libanais, et de faire oublier que les deux premières années du mandat Aoun ont été gravement entachées à ce niveau ? Est-ce que Adel Afiouni et Richard Kouyoumjian seront à la hauteur de leur belle réputation et sauront faire de belles choses, aux Affaires sociales loin de tout clientélisme et aux Technologies de l’information, essentielles pour qu’un pays prenne le bon chemin ?
Restent enfin ces inquiétudes profondes. Comment avoir gardé Avédis Guidanian, qui a enfilé bourdes et fautes graves dans le gouvernement Hariri II, au Tourisme, secteur primordial s’il en est de notre économie ? Comment avoir maintenu Ali Hassan Khalil aux Finances – il s’y connaît autant qu’en physique nucléaire ou en ingénierie du tricot ? Heureusement, Mansour Bteich, à l’Économie, semble avoir toutes les qualités, s’il le décide, de contrebalancer tout cela. Comment avoir mis un biologiste, Mohammad Daoud, dont les premières images sur les réseaux sociaux ont fait grincer jusqu’aux dentiers, à la Culture, aussi essentielle pour le Liban que son budget est réduit, surtout que c’était une May Chidiac, ou équivalent, que les Libanais attendaient ? Est-ce parce que Nabih Berry entend gérer comme il le souhaite les 280 millions de dollars alloués par CEDRE à la culture ? Comment avoir nommé un homme aussi politiquement biaisé que Saleh Gharib aux Affaires des réfugiés, ou Mohammad Fneich à la Jeunesse et aux Sports, deux thèmes qui génétiquement n’intéressent en rien un cadre du Hezb ? Et, last but not least, comment n’a-t-on pas compris qu’il était in-dis-pen-sa-ble de mettre Gebran Bassil n’importe où sauf aux Affaires étrangères ? N’importe où…
C’est friable et vulnérable et délicat, un ministre. L’histoire contemporaine du Liban l’a prouvé pratiquement à chaque fois : c’est l’un des postes les plus corruptibles qui soient.
Saad Hariri est un drôle de personnage qui n’a pas encore compris que pour avancer, pour progresser, pour prouver qu’il est bien plus qu’un héritier (malgré lui) né avec une tétine en or dans la bouche, il doit absolument tuer le père. Ce père-martyr qu’il adore et que l’histoire a déjà classé, malgré toutes les tares qui étaient les siennes lorsqu’il codirigeait le...
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leurs nouvelles fonctions
Hitti arlette
18 h 49, le 18 février 2019