Avec plus de 70 000 visites par an, le musée Sursock est aujourd’hui un des musées les plus importants du Liban. La collection permanente, composée de tableaux des plus grands peintres libanais, fait incontestablement partie du patrimoine culturel du pays. Des expositions temporaires et des programmes parallèles y sont mis en place, consistant en des projections de films, conférences, ateliers… et toujours gratuitement. « Le musée ne sera jamais payant, il en va du respect du testament de Nicolas Sursock. On aurait pu faire comme aux États-Unis où l’entrée à l’exposition permanente est gratuite et celle des temporaires payante. Mais c’est important d’avoir un lieu entièrement gratuit, public, culturel et accessible à tout le monde. Si on faisait payer l’entrée du musée, on rendrait plus difficile l’accès à la culture pour certaines strates sociales », explique Zeina Arida, sa directrice.
Aujourd’hui, le musée Sursock subit une crise budgétaire sans pareil et n’a d’autre choix que de fermer ses portes les lundis, en plus des mardis déjà chômés. « C’est une décision temporaire en attendant de trouver un mécène, qui accepterait d’investir 100 000 dollars par an pour le musée. C’est ce que cela coûterait de sponsoriser les lundis pour permettre leur réouverture. » Pour réduire les dépenses, le musée a déjà pris plusieurs mesures. Ainsi, si en 2018, quatorze expositions ont été organisées par le musée, il n’y en aura que dix en 2019.
(Pour mémoire : Prix du musée Sursock 2018 : honneur aux dames !)
Et le ministère de la Culture ?
Le musée Sursock, dont le président est l’ancien ministre Tarek Mitri, est financé depuis ses débuts grâce à une loi votée en 1964 lui permettant de recevoir 5 % des taxes appliquées aux permis de construire délivrés par la municipalité de Beyrouth, et par l’intermédiaire de donateurs privés. Or, les revenus générés par les constructions étant fortement mis à mal par la crise économique globale, le musée se tourne actuellement vers les particuliers. « Depuis la réouverture du musée en 2015, nous invitons les visiteurs et les amateurs d’art à faire des donations spontanées, car elles sont nécessaires à la survie du musée », insiste Mme Arida. Espérant renforcer aussi les partenariats et les parrainages, l’institution muséale aimerait créer un comité d’amis du musée, « comme c’est le cas de tous les musées dans le monde. Des individus pourraient contribuer annuellement à la soutenir ».
Le restaurant et la boutique du musée Sursock, qui, eux, resteront ouverts les lundis, sont aussi d’une précieuse aide : leurs gains participent considérablement au financement du musée. « On a par ailleurs des partenaires financiers comme la Banque Libano-Française ou des donateurs, qui sont associés à des expositions. Par exemple, l’entreprise de peinture Tinol nous fournit de la peinture, le vin Marsyas nous offre du vin pour tous les événements depuis la réouverture... Les afficheurs Pikasso aussi nous soutiennent », précise Zeina Arida.
Mais ces aides ne sont toujours pas suffisantes et, malgré le fait que 270 œuvres ont été offertes depuis la réouverture du musée, « nous ne pouvons pas encore nous permettre d’avoir un budget pour les acquisitions, déplore la directrice. Nous n’abandonnons pas l’idée d’être soutenus par le ministère de la Culture, même si son budget est minuscule. On attend que les budgets du nouveau ministère soient votés pour éventuellement faire une demande ».
En attendant que le miracle se produise, il semble que la préservation de la richesse culturelle libanaise devra encore une fois ne dépendre que d’elle-même.
(Pour mémoire : Sang neuf, portraits et discours antipollution au 33e Salon d’automne du musée Sursock)
Mission publique, gestion privée
Lorsqu’il décède en 1952, Nicolas Ibrahim Sursock, un riche collectionneur d’art libanais né en 1875, lègue à la ville de Beyrouth sa maison et sa collection privée pour en faire un musée. Dans son testament, il décide de faire de son legs un waqf civil, c’est-à-dire une fondation à but non lucratif et indépendante, ou « bien de main-morte » dans le jargon juridique. « Sa vision était d’en faire un musée d’art dont les portes seraient ouvertes à tous les Libanais, rappelle Zeina Arida, la directrice du musée Sursock. Pour s’assurer de la pérennité et de la dimension publique de son don, il demande dans son testament que le musée demeure toujours sous la présidence du représentant du conseil de la municipalité de Beyrouth, celui qu’on appelle le “moutawali”. »
L’application du testament de Nicolas Sursock prend neuf ans : le musée verra le jour en 1961. Pendant ces neuf années, le président de la République de l’époque, Camille Chamoun, utilisait le bâtiment en tant que palais d’hôtes, où de nombreuses figures politiques importantes étaient reçues, comme par exemple le chah d’Iran qui y demeura une semaine. « Lorsque le palais ouvre ses portes en qualité de musée en 1961, le “moutawali” était Amine Beyhum. Ce dernier monte un comité présidé par Lady Yvonne Sursock. Or, c’est au président du comité du musée que reviendra la gestion du musée et non pas au “moutawali”, qui se contentera de superviser sans véritablement intervenir. » À l’époque déjà, Amine Beyhum et Yvonne Sursock rencontrent des difficultés pour financer le musée. Amine Beyhum propose alors une loi, qui sera votée en 1964 : 5 % des taxes liées aux permis de construire déposés à Beyrouth financeront le musée Sursock. « C’est grâce à cette loi que le musée a pu survivre jusqu’à aujourd’hui. » Il faut noter qu’on ne peut pour autant pas parler de subvention étatique, étant donné que cette loi est propre à la municipalité de Beyrouth : un caractère public, mais pas tout à fait, car c’est grâce à la loi que le musée vit, mais non pas grâce à la municipalité. « Cela est très positif dans un sens, car c’est un musée dont la mission est publique, mais qui peut être géré de manière privée. C’est probablement ce statut hybride qui a permis au musée d’être aussi durable. »
Entre 2008 et 2015, alors que Ghassan Tuéni est moutawali, le bâtiment est agrandi et rénové grâce à l’argent de la reconstruction de Beyrouth. Lorsqu’il rouvrira, le musée Sursock sera sept fois plus grand. Cette loi des 5 % sera donc une source de financement décisive lorsque l’économie libanaise sera en bonne santé et que les constructions pulluleront dans la capitale de l’après-guerre, mais dès que les investissements diminueront, comme c’est le cas depuis 2015, le musée reçoit moins de fonds et pâtit sévèrement de la crise économique.
Il faudra conserver ce trésor du quartier si chic parmi ces constructions modernes si laides .
23 h 04, le 20 février 2019