La réunion des pôles politiques maronites hier au siège du patriarcat à Bkerké, à l’appel du patriarche maronite Béchara Raï, a débouché sur un net ralliement autour du président de la République, mais a aussi défini des lignes rouges par rapport à toute modification de la formule libanaise à travers des idées évoquées dernièrement dans les médias ou dans le débat général, notamment en raison de l’incapacité de former un gouvernement. Des idées telles que la nécessité de tenir une Constituante pour modifier le régime politique, que le patriarche a évoquée avec inquiétude dans son mot d’ouverture. « Personne ne peut fabriquer une nouvelle identité au Liban qui soit contraire à la sienne », ont affirmé hier les responsables maronites, qui ont ainsi « refusé de consacrer les violations de la Constitution qui pourraient se transformer en coutumes » et ont fait savoir que « seules les institutions étatiques sont le cadre adéquat pour discuter des crises politiques ».
Les députés se sont également opposés à « tous les procédés qui visent à se soulever contre l’État et à mettre la main sur sa décision ». Ils ont par ailleurs exprimé leur attachement à « l’indépendance de la décision nationale et au fait que le Liban soit maître de sa politique étrangère en accord avec son appartenance arabe, de sorte à ce que la réputation du pays ne soit pas ternie et que le Liban ne soit pas mis à l’écart de son environnement arabe ». Ils ont réaffirmé leur « attachement à l’union nationale, au pacte national, au vivre-ensemble (...) et au respect de la Constitution et de la souveraineté de l’État, en refusant tout ce qui porterait atteinte à l’équilibre des institutions étatiques et des prérogatives de chacune d’elles, à leur tête la présidence de la République, le symbole de l’union nationale ». Ils ont surtout appelé à l’accélération de la formation du gouvernement.
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Les députés maronites, qui ont également condamné les agressions israéliennes, ont par ailleurs appelé au retour des réfugiés syriens. Comme ils se sont prononcés pour la lutte contre la corruption et en faveur du développement économique et ont déclaré souscrire entièrement au discours prononcé par le patriarche en début de réunion. Mgr Raï avait déclaré que la réunion « est organisée pour le bien du Liban et des Libanais, sans intention d’exclure qui que ce soit ou de parler de sujets qui ne concernent que nous ».
« Il y a de grandes inquiétudes vis-à-vis de ce que l’on entend sur le changement de régime et d’identité du pays, l’Assemblée constituante ou l’idée des trois tiers dans le partage communautaire du pouvoir, a déploré le prélat. Il est triste de voir que nous revenons en arrière après les réalisations effectuées. »
« Tout ce que nous voulons, c’est travailler avec l’ensemble des responsables d’une seule main pour protéger le Liban », a-t-il ajouté, dénonçant les « dangers » de la situation économique et financière, ainsi que celui de la présence des réfugiés syriens. « Aujourd’hui, l’unité libanaise est menacée, a déclaré le patriarche. Nous voulons un sursaut national unitaire. »
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Un émissaire de Berry
Le consensus autour du discours du patriarche, et autour de l’appui à la présidence de la République, était d’autant plus marquant que des 36 personnalités invitées, seules trois s’étaient excusées : le chef des Forces libanaises Samir Geagea et son épouse, la députée Sethrida Geagea, pour cause de voyage (le vice-président du parti, le député Georges Adwan, était présent), ainsi que l’ancien député Jean Obeid. Le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, le chef des Marada, Sleiman Frangié, et le chef des Kataëb, Samy Gemayel, ont notamment assisté à cette réunion, ainsi que de nombreux députés.
Le suivi des décisions de cettre réunion sera assuré par un comité formé des députés Ibrahim Kanaan, Georges Adwan, Samy Gemayel, Estephan Doueihy, Michel Moawad, Farid Haykal el-Khazen et Hadi Hobeiche, qui représentent les différents blocs.
Si cette réunion était destinée aux seuls responsables maronites, elle semble avoir eu une résonance immédiate en dehors de cette communauté. L’un des premiers à avoir « salué » les prises de position du patriarche et son appel à accélérer la formation du gouvernement est le chef du Parlement Nabih Berry. Celui-ci a dépêché le soir même le député Anouar el-Khalil, membre de son groupe parlementaire, pour s’entretenir avec Mgr Raï à Bkerké. L’ancien Premier ministre Nagib Mikati a salué pour sa part dans un tweet « le discours du patriarche Raï qui a défini les causes de la crise politique actuelle, notamment la non-application des dispositions de la Constitution émanant de l’accord de Taëf ». Il a affirmé sa « conviction que toute solution doit être en phase avec la Constitution ».
« Si le CPL enlève un nom… »
Le consensus qui s’est dégagé autour des grandes questions soulevées par le patriarche n’a pas empêché des discussions autour de l’épineuse question du retard dans la formation du gouvernement, plus de huit mois après les élections législatives. Si la poignée de main entre le chef des Marada Sleiman Frangié et le chef du CPL Gebran Bassil a été très remarquée, les deux parties étant en froid depuis longtemps, le premier ne s’est pas privé de lancer au député Ziad Assouad, du CPL, que « nous ne sommes pas réunis pour soutenir l’octroi du tiers de blocage au chef de l’État ». « Le gouvernement sera formé si le CPL enlève un nom », a-t-il ajouté. Ce à quoi les députés de ce parti ont rétorqué que le tiers de blocage accordé au président de la République est au bénéfice de tous les chrétiens, selon les sources de la réunion.
Un député, ayant requis l’anonymat, souligne qu’une telle réunion était de nature à aborder de grands sujets en relation avec le régime politique et la Constitution, sachant que de tels thèmes sont fédérateurs et que leur discussion dans le cadre de Bkerké rend difficile, par la suite, de ne pas en tenir compte. Par rapport aux craintes exprimées par le patriarche au sujet d’un éventuel changement de régime politique, le député souligne qu’il y a eu « un profond débat ». « Pour ce qui est de notre problème ponctuel, la formation du gouvernement, les calculs politiques priment de nouveau, dit-il à L’Orient-Le Jour. Le cadre de Bkerké ne peut, de ce point de vue, remplacer la diversité politique des partis. »
Interrogé sur le comité de suivi, le député souligne que « tous les grands problèmes ne pourront être résolus en une seule discussion ». « Dès que ce comité de suivi aura atteint un certain objectif, nous pourrons nous rassembler à nouveau, mais aucune réunion de cette envergure n’est prévue jusque-là », a-t-il précisé.
Interrogé par L’OLJ sur les sujets d’inquiétude évoqués par le patriarche, le député Fadi Saad, bloc des Forces libanaises, déclare : « Il faut se souvenir que (les maronites) sont à l’origine de la création de ce pays. Plutôt que de discuter des bruits qui courent dans les médias, nous avons défini ce que nous voulons. » Selon lui, l’attachement à l’accord de Taëf et aux institutions, seules garantes de la présence chrétienne au Liban, font l’unanimité entre tous les présents. « La question plus pointue de la formation du gouvernement divise davantage, et c’est normal, affirme-t-il. Mais même à ce niveau, il n’y a pas eu de grand conflit, juste une discussion, sachant que l’appel à accélérer la formation du gouvernement fait partie du communiqué final. »
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commentaires (7)
On peut être ni terroriste, ni dépendant ou libéré, ou torturé par quelqu'un. Ni prétendre être plus intelligent ou futé que les autres. Mais juste avoir une opinion forgée par l'expérience et les événements que nous voyons tous les jours, depuis des années, dans ce malheureux pays détruit lentement par ses propres citoyens. Irène Saïd
Irene Said
21 h 21, le 17 janvier 2019