Après le choc de la semaine précédente causé par le blocage à la dernière minute de la formation du gouvernement, ce week-end semble marqué par la volonté de toutes les parties de relancer les négociations sur ce sujet. Le directeur de la Sûreté générale a même repris le dossier en main pour une énième tentative de trouver une solution acceptable au « nœud sunnite ». Mais les derniers développements ont quand même laissé des traces au niveau des relations entre le Hezbollah et le Courant patriotique libre.
Si, publiquement, les deux parties sont soucieuses de préciser que la relation entre les deux formations repose sur une vision stratégique commune qui a été initiée lors de la rencontre de Mar Mikhaël le 6 février 2006 et qui s’est consolidée tout au long des douze dernières années, dans les coulisses, une crise de confiance semble se profiler.
En effet, depuis l’élection du général Michel Aoun à la présidence, le 31 octobre 2016, les secousses entre le CPL dirigé par le ministre Gebran Bassil et le Hezbollah se sont multipliées. À chaque crise, les deux parties ont pris soin de régler leur différend dans la plus grande discrétion, évitant de laisser les médias s’en emparer et surtout de laisser le fossé s’approfondir entre elles. Et à chaque fois, elles parvenaient effectivement à préserver leur alliance stratégique, tout en acceptant l’idée d’avoir des divergences sur le plan local et en cherchant à les gérer au mieux.
Toutefois, à chaque nouvelle crise, une nouvelle égratignure apparaît et en raison de l’influence des réseaux sociaux, elle laisse des traces au niveau des bases respectives. Malgré cela, les partisans du CPL et ceux du Hezbollah ont encore du mal à se lancer des critiques réciproques ouvertement, leurs reproches s’inscrivant plutôt dans le cadre de la déception.
Il y a eu ainsi la déception à l’égard de l’inertie du Hezbollah face aux critiques sévères adressées par le courant des Marada et son chef au chef du CPL. De même, il y a eu une autre déception lors de la crise dite du « baltaji » entre le chef du CPL et le président de la Chambre et les tirs contre le siège du CPL à Mirna Chalouhi. Mais il a fallu attendre les élections législatives pour que la première véritable crise entre les deux formations éclate.
(Lire aussi : Une « nouvelle initiative » Ibrahim après le Nouvel An)
Des deux côtés, les reproches sont multiples et mettent en évidence des approches différentes : le CPL était soucieux de constituer à travers les élections un bloc important, qui serait totalement sous sa houlette, pour ne plus avoir à colmater des brèches au sein d’un groupe peu homogène aux allégeances multiples, alors que le Hezbollah avait donné la priorité à la cohésion au sein de la communauté chiite. Considérant que les ennemis de la résistance cherchaient à monter contre elle son environnement populaire chiite, le Hezbollah a donc commencé par verrouiller cette base en cherchant à rafler les 27 sièges parlementaires chiites, avant de se soucier des intérêts de ses alliés dont le CPL. Ces approches divergentes ont eu des conséquences sur les résultats des élections dans plusieurs circonscriptions, comme Kesrouan-Jbeil, Baalbeck-Hermel, Jezzine-Saïda et Bint Jbeil-Marjeyoun-Nabatiyé-Hasbaya.
Malgré cette divergence profonde, les deux parties ont réussi à préserver leur alliance stratégique. Mais la nouvelle secousse est arrivée avec la formation du gouvernement et le nœud dit sunnite. Ce problème, qui a mis en échec ce qu’on a appelé « la médiation présidentielle » véhiculée par le général Abbas Ibrahim, montre en réalité qu’il existe une crise de confiance entre le Hezbollah et le chef du CPL. Les sources proches du Hezbollah précisent à cet égard que le général Ibrahim a bel et bien accepté le nom de Jawad Adra proposé par Gebran Bassil, avec l’accord de Saad Hariri, et a convaincu les six députés de la « Rencontre consultative » de l’accepter à leur tour, à condition qu’il soit leur représentant. Lorsque M. Adra a refusé de se joindre à leur réunion, le Hezbollah et Amal ont poussé les six à retirer son nom, considérant qu’il y avait derrière ce procédé une manœuvre de la part du chef du CPL pour mettre la main sur la part de « la Rencontre consultative ».
(Lire aussi : Urgences et indigences, l'édito de Issa GORAIEB)
Derrière cette manœuvre supposée, les sources du Hezbollah laissent entendre qu’il y aurait la volonté de Gebran Bassil d’obtenir une minorité de blocage au sein du gouvernement, en vue des prochaines présidentielles qui devraient avoir lieu en 2022.
De leur côté, les sources proches du CPL affirment que la manœuvre était celle du Hezbollah qui, sous couvert de donner leur droit aux députés de la Rencontre consultative, a réduit la part du président au sein du gouvernement au lieu de faire pression sur le Premier ministre désigné. Des voix ont même commencé à dire qu’en réalité, le Hezbollah se comporte désormais comme s’il disposait d’un surplus de force et qu’il souhaiterait donc privilégier les alliés qui dépendent de lui au détriment de ceux qui ont une véritable popularité et donc de l’indépendance. Cette logique peut mener loin, jusqu’à soupçonner le Hezbollah de préférer pour la prochaine présidentielle un candidat comme le chef des Marada à un autre ayant le profil du chef du CPL.
Depuis deux jours, les proches des deux camps ne cessent de chercher à circonscrire les conséquences de ces approches différentes et de rappeler que l’alliance de Mar Mikhaël est trop profonde pour être ébranlée par des considérations politiques gouvernementales. Mais selon les bases des deux parties, il faut plus que cela pour revenir à l’harmonie d’avant les élections. Pour les uns, la solution résiderait dans un entretien direct entre le chef de l’État et le secrétaire général du Hezbollah, mais c’est un scénario difficile dans les circonstances actuelles. Il faudra donc se contenter des émissaires... qui devraient être très actifs après le Nouvel An.
Lire aussi
Gouvernement : ce ne sera pas non plus pour le Nouvel An
Salah Honein : Nous sommes en présence d’une dictature collégiale
Gouvernement : derrière le problème de forme, une question de fond
La voix du peuple, En toute liberté de Fady Noun
Les sunnites pro-Hezbollah exigent à nouveau de nommer un ministre
Une querelle Hezbollah-CPL à l’origine du dernier blocage
Pour Raï, les responsables du blocage « ont gâché la joie des fêtes »
commentaires (7)
Tiens, tiens, on se réveille ?
Evariste
16 h 22, le 29 décembre 2018