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Urgences et indigences

Comme si les heures lui étaient comptées et qu’il lui fallait mettre les bouchées doubles, tirer une dernière salve avant de disparaître dans la trappe, c’est sur une bousculade de spectaculaires développements régionaux que s’achève l’an 2018.


Voilà d’abord que la première puissance mondiale se désengage militairement du Proche et du Moyen-Orient : d’Afghanistan bientôt, mais tout d’abord de Syrie où stationnent quelque 2 000 boys, puisque Donald Trump ne veut plus être le gendarme du monde et que, de toute manière, il en a fini avec un État islamique en pleine déroute. Le président américain semble ainsi laisser le champ libre à l’autre superpuissance, la Russie, maîtresse incontestée de la Syrie dite utile, mais aussi à tout un quarteron de shérifs de moindre envergure.


Entre deux opérations contre les jihadistes, la Turquie a désormais ainsi les coudées franches pour casser du Kurde dans le Nord syrien. Interdit de toute présence à proximité du Golan, l’Iran ne démord pas, quant à lui, de son projet de couloir territorial menant au Liban et qui le mettrait en contact direct avec Israël. En revanche, et pour bien montrer que le départ des Américains n’affecte en rien sa vigilance et ses ressources, l’État hébreu redouble d’entrain dans ses frappes aériennes contre les positions iraniennes, lancées à partir de l’espace aérien libanais : lequel n’en est pas, il est vrai, à sa première violation…


Face à tout ce remue-ménage, l’Arabie saoudite, enfin, se soucie de faire peau neuve en renouant avec un certain pragmatisme. À l’heure où la dictature baassiste est en passe de retrouver grâce auprès de la Ligue des États arabes, c’est apparemment en éclaireur qu’elle envoie les Émirats arabes unis et Bahreïn rouvrir leurs ambassades à Damas. Revenu de sa désastreuse guerre au Yémen, le royaume wahhabite relègue à un poste moins influent son ancien ministre des AE, ennemi juré de l’Iran. Al-Jubeir est remplacé par un émir appartenant à la vieille garde, celle-là même à laquelle s’était brutalement attaqué le prince héritier Mohammad ben Salmane. Voilà qui traduit un souci de ressemelage de la famille royale, qu’auront sans doute hâté les retombées, elles aussi calamiteuses, de l’assassinat du journaliste contestataire Jamal Khashoggi, imputé au même MBS.


Frénétique en diable tout alentour, c’est sur un morne surplace qu’au Liban, l’année s’apprête à tirer sa dernière révérence. À sa décharge, la pauvre, il faut rappeler qu’elle aura déjà perdu les trois quarts de sa durée de vie dans les vaines, irresponsables et fastidieuses manœuvres qui ont entouré la formation d’un gouvernement.


Durant ces sept mois d’âpres marchandages et de vils comptes d’épiciers se déroulant sur fond de grave crise socio-économique, on a vu éclore, comme par magie, des obstacles inédits, créés de toutes pièces, au fur et à mesure qu’étaient éliminés les premiers. Et si cette morne fin de décembre apporte quelque nouveau, c’est la toute récente (et fort tardive) constatation, faite par le président de la République, que d’aucuns s’ingénient à inventer des us et coutumes en lieu et place des dispositions de la Constitution.


Claire est l’allusion du président à ses propres alliés du Hezbollah, auxquels il reproche en effet de saboter le décollage en beauté de son sexennat, entamé il y a déjà plus de deux ans et qui s’éternise au point fixe. On aurait beau jeu de faire remarquer au chef de l’État que ces mêmes us et coutumes, institués par le même Hezbollah, ne sont pas pour peu dans sa propre élection à la magistrature suprême, survenue au bout d’un interminable et fort anticonstitutionnel boycottage de l’élection présidentielle. Mais l’heure n’est pas, n’est plus, au gag de l’arroseur arrosé et des responsables rattrapés par leur coupable recours à la triche.


C’est la toute première fois que Michel Aoun en personne – et non plus son gendre, le remuant ministre Gebran Bassil – figure au centre d’un différend avec l’allié pro-iranien. C’est peut-être là l’occasion pour lui de réaliser sa promesse d’une présidence forte. De se poser en père du peuple tout entier et non plus en beau-père gâteau. De frapper un grand coup, de renvoyer tout le monde dos à dos, d’œuvrer, de concert avec le Premier ministre désigné, à un gouvernement de spécialistes non partisans, exclusivement voués à sortir enfin le pays de l’ornière.


Que l’on cesse enfin de berner le peuple avec ces faux cabinets d’unité, auxquels nous devons nos très authentiques infortunes.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Comme si les heures lui étaient comptées et qu’il lui fallait mettre les bouchées doubles, tirer une dernière salve avant de disparaître dans la trappe, c’est sur une bousculade de spectaculaires développements régionaux que s’achève l’an 2018. Voilà d’abord que la première puissance mondiale se désengage militairement du Proche et du Moyen-Orient : d’Afghanistan...